mardi 5 mai 2015

SI ON POUVAIT REMONTER LE TEMPS !




« J’crois plus, moi, à tes promesses, non ! »  hurlait Désirée Constance, face à son mari qui essayait de la calmer.

Les deux époux, face à face, se regardaient. Le silence était revenu, Pierre L fit un pas vers sa femme qui aussitôt recula.

« T’approches pas !
-          T’as peur de moi maint’nant !
-          Je n’veux plus qu’ tu m’ touches. Va-t-en !
-          Tu m’ chasses, à présent. Mais, j’ suis ton mari.
-          J’ai pu d’ mari, d’puis ben longtemps. Mon mari, celui en qui j’ croyais, il est mort !

A ces mots, l’homme éclata de rire.

« Mais c’est qu’ tu déraisonnes, ma parole !
-          Non, hurla Désirée Constance, non. Mon mari, il est ben mort, oui, le jour où j’ai appris ce qu’il était vraiment. Quand les voisins m’ont r’gardé avec haine ou pis encore, avec c’t’ pitié dans les yeux. Va-t-en !
-          Et mon fils ?
-          T’as p’us d’ fils !
-          Tu m’ tiens tête à c’t heure, sacré nom ! Qui c’est qu’est l’ maître ?

Désirée Constance se raidit en voyant son mari serrer les poings, mais elle ne baissa pas le regard.
C’en était fini de leur histoire. Elle ne reviendrait pas en arrière. Elle lui tiendrait tête, même sous les coups !

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Leur histoire avait commencé comme bien d’autres. Les premiers sourires, les premiers émois, les échanges de promesses, les fiançailles, puis le mariage, célébré en janvier 1808.
Marie Anne Désirée naquit en juillet 1809. La mort la ravit quatorze mois plus tard[1].
Deux mois après ce douloureux évènement, arriva Pierre Edouard[2], puis en juillet 1812, un autre garçon prénommé Louis Armand.

Entre temps, Jean baptiste L, le père de Pierre L, décéda[3].
En cette année 1810, Pierre L dut faire face à la mort de son premier enfant et à celle de son père. Il encaissa le coup. Il fallait bien. N’était-ce pas le lot de tous sur cette terre ?
Devenue veuve, Marie Anne F, sa mère vint vivre dans son foyer, occasionnant des dépenses imprévues auxquelles il fallait faire face.
La discorde entre les époux L commença à compter de ce moment.
La pauvre aïeule voyait bien qu’elle gênait, même si sa belle-fille lui faisait bonne figure. Pourtant, elle aidait de son mieux, se faisait discrète.
Devant cette situation, lorsque Louis B, veuf pour la seconde fois, lui proposa le mariage, ce fut tout naturellement qu’elle accepta. Non par dépit, car elle savait que le Louis était un brave homme, mais elle voyait en cette union, la possibilité d’avoir un chez-soi et de ne plus encombrer le ménage de son fils.

Ce remariage, Pierre L le prit très mal. Il était, pour lui, une trahison à la mémoire de son père. A bien réfléchir, il pensa que sa mère avait entendu ses querelles avec son épouse, le soir, alors que tous dormaient. Disputes qui prenaient inévitablement naissance en raison du manque d’argent au foyer.

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Ce jour-là, en voyage d’affaires, n’était-il pas marchand briquetier comme son père, il découvrit, sur le bord de la route, comme abandonnés, des effets et de l’argent.

« Sacré nom ! C’est quoi ça ? » se demanda-t-il surpris.

Aucun nom, rien pour identifier le propriétaire. Jetant un regard alentour, il ne vit personne. Le cœur battant à se rompre, les mains tremblantes, les jambes flageolantes, il pesait le pour et le contre. Si il s’emparait de tout cela, qui le saurait ? Alors, il emporta sa découverte et poursuivit son chemin.

Ne disait-on pas que l’occasion faisait le larron ?

Le hasard fit que quelqu’un l’aperçut et qu’il fut appréhendé par la maréchaussée.

Pas de pitié pour les voleurs ! Direction le bagne !
Août 1814, la Cour du Tribunal de Seine-et-Oise avait statué :
Pierre L était condamné pour soustraction frauduleuse d’argent et d’effet sur un grand chemin.

Désirée Constance se battit, un temps, croyant à l’innocence de son mari. Elle fit écrire des lettres[4] aux juges attestant que ce « vol » n’avait été qu’un moment de faiblesse, mettant en avant la vie sans ombre de « son homme » depuis sa naissance, son courage au travail. Bon père, bon époux étaient les mots qui revenaient dans les courriers.
Mais les années passaient. Seule à faire face au quotidien, elle ne cessait de penser. Et puis, il y avait toutes ces réflexions du voisinage qui lui venaient aux oreilles et celles, plus insistantes, provenant de sa famille :
« Tu n’ vas pas gâcher ta vie ! T’es jeune, et lui il en a pour des années de bagne. Et puis maint’nant, i’ s’ra marqué à vie avec cet’ affaire. T’imagines un peu la vie qu’ tu auras, quand i’ r’viendra, si i’ r’vient ! Pense à ton fils, il y est pour rien, lui ! »

Alors, peu à peu, le doute s’insinua en elle, détruisant tout le bien qu’elle pensait de l’homme qu’elle avait épousé, qu’elle avait aimé et qu’elle avait tant défendu au moment de sa condamnation.
La solitude est souvent mauvaise conseillère. Les propos des autres, trop souvent entendus, influencent même les plus déterminés.

Les courriers, emplis de suppliques de l’épouse éplorée, furent, tout de même, pris en considération, car Pierre L bénéficia d’une remise de peine. Ses pas le ramenèrent alors en son foyer à Louviers, au début de l’hiver 1828, où il ne pensait pas être accueilli à bras ouverts, mais au moins pardonné. Il souhaitait reprendre sa vie d’avant, comme si rien ne s’était passé, mais ce ne fut pas le cas !

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Constance Désirée attendait les coups qui, bien heureusement, ne vinrent pas.

Ce jour-là, elle lui avait jeté pêle-mêle, tout ce qu’elle avait gardé en elle pendant toutes ces années, lui avait craché au visage sa haine. Tout y était passé, et pour finir, elle l’avait accusé de la mort de « leur » fils Louis Armand[5] et refusé qu’il voie le seul enfant qui leur restait, Pierre Edouard.

La main levée, prête à frapper, Pierre L, laissa retomber son bras et, anéanti, sortit de la maison, de ce foyer qui n’était, à présent, plus le sien.

Commença alors, pour lui, une vie d’errance surveillée, car il devait obtenir pour le moindre de ses déplacements une autorisation et faire valider régulièrement sa feuille de surveillance d’ancien forçat.
Il vivait de petits boulots, ici ou là.
Il séjourna à Evreux quelques années. On le vit à Louviers, fin janvier 1838, juste quelques jours avant de prendre le chemin de Dreux. De Dreux il se rendit à Chartres, puis revint à Dreux.
Régulièrement, il passait quelques jours à Louviers, pour embrasser sa mère. Elle seule acceptait encore de le voir. Ce fut par sa bouche qu’il avait appris la demande en divorce[6] de sa femme, enfin, de celle qu’il avait épousée un certain jour de janvier 1808. Le divorce, il l’avait accepté. Tout n’était-il pas cassé, alors ? Ce qui lui avait fait très mal, ce fut lorsque sa mère lui avait annoncé que son fils, son unique fils, Pierre Edouard, l’avait renié en demandant à porter le nom de sa mère[7]. Là, il se sentit rejeté, piétiné, sali.

Sa mère ! Il s’était précipité lorsqu’il avait appris, au milieu de l’été 1840, qu’elle allait mal. Elle l’avait à peine reconnu. Il lui avait fermé les yeux et n’avait pas voulu assister à son inhumation. Avait-il encore sa place auprès de ses frères et sœurs, même en ces circonstances ?

Désormais seul, sans parent, sans épouse, sans enfant, marqué à vie par une feuille de route « F » et d’un passeport d’indigent, il se laissa couler encore un peu plus.

Qui était-il ? Plus rien !

Désœuvré,  imbibé d’alcool, il oublia, un jour de faire pointer sa feuille. Accusé de rupture de ban, il écopa de trois mois de prison ferme[8].

« Au moins, se dit-il, j’s’rai au chaud pour l’hiver et j’aurais d’ quoi manger ! »


Si ses pas continuaient à le mener régulièrement à Gaillon, Amiens, Dreux, il revenait périodiquement à Louviers où il trouvait refuge chez un lointain parent, impasse des hautes rues. Un semblant de chaleur familiale, juste le temps de reprendre un peu de  forces.

Des forces, il n’en avait plus guère.
Fin avril 1848, il s’arrêta enfin, miné par la vie.
Indigent, il fut admis à l’hospice civil de Louviers où il décéda, seul, début juin, à l’âge de soixante-et-un ans.

Toute cette existence de misère pour avoir ramassé, des effets et de l’argent, qu’il croyait abandonnés. Si il avait su ! Mais, il est impossible de remonter le temps[9].



[1] Sur l’acte de décès, en septembre 1810, l’enfant s’est vu attribuer les prénoms de sa mère, Constance Désirée.
[2] Pierre Edouard né en Novembre 1810
[3] Décès en janvier 1810
[4] Une jolie lettre que je n’ai pu retrouver dans la multitude de documents des archives de Louviers.
[5] Décès de Louis Armand, survenu  en décembre 1818. L’enfant venait de fêter son sixième anniversaire..
[6] Aucune trace du divorce dans les actes de louviers.
[7] Jugement du tribunal civil de Louviers en date  du 12 décembre 1835
[8] Condamnation par le tribunal d’Evreux le 13 janvier 1842.
[9] Désirée Constance et son fils, Pierre Edouard, n’apparaissent plus sur les actes de louviers. Ils ont dû quitter la ville pour effacer de leur vie ce triste épisode, sans doute après le jugement accordant à Pierre Edouard le droit de porter le nom de sa mère, en 1835.

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