« J’crois
plus, moi, à tes promesses, non ! »
hurlait Désirée Constance, face à son mari qui essayait de la calmer.
Les
deux époux, face à face, se regardaient. Le silence était revenu, Pierre L fit
un pas vers sa femme qui aussitôt recula.
« T’approches
pas !
-
T’as peur de moi maint’nant !
-
Je n’veux plus qu’ tu m’ touches.
Va-t-en !
-
Tu m’ chasses, à présent. Mais, j’ suis
ton mari.
-
J’ai pu d’ mari, d’puis ben longtemps.
Mon mari, celui en qui j’ croyais, il est mort !
A
ces mots, l’homme éclata de rire.
« Mais
c’est qu’ tu déraisonnes, ma parole !
-
Non, hurla Désirée Constance, non. Mon
mari, il est ben mort, oui, le jour où j’ai appris ce qu’il était vraiment.
Quand les voisins m’ont r’gardé avec haine ou pis encore, avec c’t’ pitié dans
les yeux. Va-t-en !
-
Et mon fils ?
-
T’as p’us d’ fils !
-
Tu m’ tiens tête à c’t heure, sacré
nom ! Qui c’est qu’est l’ maître ?
Désirée
Constance se raidit en voyant son mari serrer les poings, mais elle ne baissa
pas le regard.
C’en
était fini de leur histoire. Elle ne reviendrait pas en arrière. Elle lui
tiendrait tête, même sous les coups !
-=-=-=-=-=-=-
Leur
histoire avait commencé comme bien d’autres. Les premiers sourires, les
premiers émois, les échanges de promesses, les fiançailles, puis le mariage,
célébré en janvier 1808.
Marie
Anne Désirée naquit en juillet 1809. La mort la ravit quatorze mois plus tard[1].
Deux
mois après ce douloureux évènement, arriva Pierre Edouard[2],
puis en juillet 1812, un autre garçon prénommé Louis Armand.
Entre
temps, Jean baptiste L, le père de Pierre L, décéda[3].
En
cette année 1810, Pierre L dut faire face à la mort de son premier enfant et à
celle de son père. Il encaissa le coup. Il fallait bien. N’était-ce pas le lot
de tous sur cette terre ?
Devenue
veuve, Marie Anne F, sa mère vint vivre dans son foyer, occasionnant des
dépenses imprévues auxquelles il fallait faire face.
La
discorde entre les époux L commença à compter de ce moment.
La
pauvre aïeule voyait bien qu’elle gênait, même si sa belle-fille lui faisait
bonne figure. Pourtant, elle aidait de son mieux, se faisait discrète.
Devant
cette situation, lorsque Louis B, veuf pour la seconde fois, lui proposa le
mariage, ce fut tout naturellement qu’elle accepta. Non par dépit, car elle
savait que le Louis était un brave homme, mais elle voyait en cette union, la
possibilité d’avoir un chez-soi et de ne plus encombrer le ménage de son fils.
Ce
remariage, Pierre L le prit très mal. Il était, pour lui, une trahison à la
mémoire de son père. A bien réfléchir, il pensa que sa mère avait entendu ses
querelles avec son épouse, le soir, alors que tous dormaient. Disputes qui
prenaient inévitablement naissance en raison du manque d’argent au foyer.
-=-=-=-=-=-=-
Ce
jour-là, en voyage d’affaires, n’était-il pas marchand briquetier comme son
père, il découvrit, sur le bord de la route, comme abandonnés, des effets et de
l’argent.
« Sacré
nom ! C’est quoi ça ? » se demanda-t-il surpris.
Aucun
nom, rien pour identifier le propriétaire. Jetant un regard alentour, il ne vit
personne. Le cœur battant à se rompre, les mains tremblantes, les jambes
flageolantes, il pesait le pour et le contre. Si il s’emparait de tout cela,
qui le saurait ? Alors, il emporta sa découverte et poursuivit son chemin.
Ne
disait-on pas que l’occasion faisait le larron ?
Le
hasard fit que quelqu’un l’aperçut et qu’il fut appréhendé par la maréchaussée.
Pas
de pitié pour les voleurs ! Direction le bagne !
Août
1814, la Cour du Tribunal de Seine-et-Oise avait statué :
Pierre
L était condamné pour soustraction frauduleuse d’argent et d’effet sur un grand
chemin.
Désirée
Constance se battit, un temps, croyant à l’innocence de son mari. Elle fit
écrire des lettres[4]
aux juges attestant que ce « vol » n’avait été qu’un moment de faiblesse,
mettant en avant la vie sans ombre de « son homme » depuis sa
naissance, son courage au travail. Bon père, bon époux étaient les mots qui
revenaient dans les courriers.
Mais
les années passaient. Seule à faire face au quotidien, elle ne cessait de
penser. Et puis, il y avait toutes ces réflexions du voisinage qui lui venaient
aux oreilles et celles, plus insistantes, provenant de sa famille :
« Tu
n’ vas pas gâcher ta vie ! T’es jeune, et lui il en a pour des années de
bagne. Et puis maint’nant, i’ s’ra marqué à vie avec cet’ affaire. T’imagines
un peu la vie qu’ tu auras, quand i’ r’viendra, si i’ r’vient ! Pense à
ton fils, il y est pour rien, lui ! »
Alors,
peu à peu, le doute s’insinua en elle, détruisant tout le bien qu’elle pensait
de l’homme qu’elle avait épousé, qu’elle avait aimé et qu’elle avait tant
défendu au moment de sa condamnation.
La
solitude est souvent mauvaise conseillère. Les propos des autres, trop souvent
entendus, influencent même les plus déterminés.
Les
courriers, emplis de suppliques de l’épouse éplorée, furent, tout de même, pris
en considération, car Pierre L bénéficia d’une remise de peine. Ses pas le
ramenèrent alors en son foyer à Louviers, au début de l’hiver 1828, où il ne
pensait pas être accueilli à bras ouverts, mais au moins pardonné. Il
souhaitait reprendre sa vie d’avant, comme si rien ne s’était passé, mais ce ne
fut pas le cas !
-=-=-=-=-=-=-
Constance
Désirée attendait les coups qui, bien heureusement, ne vinrent pas.
Ce
jour-là, elle lui avait jeté pêle-mêle, tout ce qu’elle avait gardé en elle
pendant toutes ces années, lui avait craché au visage sa haine. Tout y était
passé, et pour finir, elle l’avait accusé de la mort de « leur » fils
Louis Armand[5]
et refusé qu’il voie le seul enfant qui leur restait, Pierre Edouard.
La
main levée, prête à frapper, Pierre L, laissa retomber son bras et, anéanti,
sortit de la maison, de ce foyer qui n’était, à présent, plus le sien.
Commença
alors, pour lui, une vie d’errance surveillée, car il devait obtenir pour le
moindre de ses déplacements une autorisation et faire valider régulièrement sa
feuille de surveillance d’ancien forçat.
Il
vivait de petits boulots, ici ou là.
Il
séjourna à Evreux quelques années. On le vit à Louviers, fin janvier 1838,
juste quelques jours avant de prendre le chemin de Dreux. De Dreux il se rendit
à Chartres, puis revint à Dreux.
Régulièrement,
il passait quelques jours à Louviers, pour embrasser sa mère. Elle seule
acceptait encore de le voir. Ce fut par sa bouche qu’il avait appris la demande
en divorce[6] de
sa femme, enfin, de celle qu’il avait épousée un certain jour de janvier 1808.
Le divorce, il l’avait accepté. Tout n’était-il pas cassé, alors ? Ce qui
lui avait fait très mal, ce fut lorsque sa mère lui avait annoncé que son fils,
son unique fils, Pierre Edouard, l’avait renié en demandant à porter le nom de
sa mère[7].
Là, il se sentit rejeté, piétiné, sali.
Sa
mère ! Il s’était précipité lorsqu’il avait appris, au milieu de l’été
1840, qu’elle allait mal. Elle l’avait à peine reconnu. Il lui avait fermé les
yeux et n’avait pas voulu assister à son inhumation. Avait-il encore sa place
auprès de ses frères et sœurs, même en ces circonstances ?
Désormais
seul, sans parent, sans épouse, sans enfant, marqué à vie par une feuille de
route « F » et d’un passeport d’indigent, il se laissa couler encore
un peu plus.
Qui
était-il ? Plus rien !
Désœuvré, imbibé d’alcool, il oublia, un jour de faire
pointer sa feuille. Accusé de rupture de ban, il écopa de trois mois de prison
ferme[8].
« Au
moins, se dit-il, j’s’rai au chaud pour l’hiver et j’aurais d’ quoi
manger ! »
Si
ses pas continuaient à le mener régulièrement à Gaillon, Amiens, Dreux, il
revenait périodiquement à Louviers où il trouvait refuge chez un lointain
parent, impasse des hautes rues. Un semblant de chaleur familiale, juste le
temps de reprendre un peu de forces.
Des
forces, il n’en avait plus guère.
Fin
avril 1848, il s’arrêta enfin, miné par la vie.
Indigent,
il fut admis à l’hospice civil de Louviers où il décéda, seul, début juin, à
l’âge de soixante-et-un ans.
Toute
cette existence de misère pour avoir ramassé, des effets et de l’argent, qu’il
croyait abandonnés. Si il avait su ! Mais, il est impossible de remonter
le temps[9].
[1]
Sur l’acte de décès, en septembre 1810, l’enfant s’est vu attribuer les prénoms
de sa mère, Constance Désirée.
[2]
Pierre Edouard né en Novembre 1810
[3]
Décès en janvier 1810
[4] Une
jolie lettre que je n’ai pu retrouver dans la multitude de documents des
archives de Louviers.
[5] Décès de
Louis Armand, survenu en décembre 1818.
L’enfant venait de fêter son sixième anniversaire..
[6] Aucune
trace du divorce dans les actes de louviers.
[7] Jugement
du tribunal civil de Louviers en date du
12 décembre 1835
[8]
Condamnation par le tribunal d’Evreux le 13 janvier 1842.
[9] Désirée
Constance et son fils, Pierre Edouard, n’apparaissent plus sur les actes de
louviers. Ils ont dû quitter la ville pour effacer de leur vie ce triste
épisode, sans doute après le jugement accordant à Pierre Edouard le droit de
porter le nom de sa mère, en 1835.
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