Après
quelques nuits de terreur, protégé par ses couvertures, Justin finit par
s’armer de courage.
Doucement
à l’écoute du plus petit bruit, il descendit, une à une, les marches qui
menaient au rez-de-chaussée. Il se dirigea lentement, retenant son souffle, vers le salon.
La
lune projetait sa pâle lumière blafarde par la fenêtre et éclairait le piano d’une manière inquiétante.
« C’est
un signe, pensa Justin, le fantôme doit être là. »
Et
son cœur se mit à cogner si fort dans sa poitrine que les battements
résonnaient dans ses oreilles. Son souffle était court. Ses jambes tremblaient.
Une
furieuse envie de fuir le prit, mais il resta un instant immobile, pétrifié.
Petit
à petit, il se raisonna et reprit son calme.
« Les
fantômes, ça n’existent pas ! Les fantômes, ça
n’existent pas ! Les fantômes, ça
n’existent pas ! »
Il
poursuivit sa marche vers le majestueux
instrument en répétant cette
phrase comme une litanie.
Tout
à coup, il s’immobilisa. Les bruits inexplicables avaient repris et ils
venaient bien du piano.
« Ah !
te voilà enfin ! dit une petite voix, enflée par la caisse de
résonance de l’instrument. Tu en as mis du temps à me trouver. »
Sortant
de son effroi, l’enfant articula difficilement :
« Qui es-tu ? Que veux-tu ? »
Après
un long silence, pendant lequel Justin avait peine à respirer, apparut de
derrière le piano une minuscule petite souris d’un gris argenté parsemé de
poils blancs, aux longues moustaches majestueuses, aux yeux noirs pétillants de
malice, aux oreilles arrondies et transparentes. Son corps avait une jolie
rondeur et se terminait par une longue queue fine et rose.
Chose
curieuse, elle portait sur le bout de son nez un lorgnon attestant qu’elle
avait la vue un peu basse, et entre ses pattes de devant aux petites mains
fines, elle tenait un livre.
L’enfant
se frotta les yeux. Etait-il en train de rêver ? Il alla même jusqu’à se
pincer, ce qui lui fit mal bien entendu, puisqu’il était éveillé.
Revenu
de sa surprise, Justin lança furieux :
« Une
souris !! Une souris qui parle !! Ce n’est pas possible, ça n’existe
pas ! Tu n’es qu’une simple souris et tu finiras croquée par le chat ou
dans un piège, car toutes les souris finissent ainsi. »
Heureux
de sa tirade, il inspira profondément.
« Tu
as raison, Justin, malheureusement beaucoup de souris se laissent prendre de la
sorte… Les chats sont nos pires ennemis et les pièges nous laissent peu de
chances… »
Comment
une souris pouvait-elle parler ?
C’était
impensable !
L’enfant
ne s’en laisserait pas conter, c’était-une-chose-qui-ne-pouvait-pas-exister …..
Devant
l’air perplexe de l’enfant, la souris avait marqué un point, aussi elle
poursuivit :
« Je
ne suis pas n’importe quelle souris, dans mon pays j’ai un grade de
« grand dignitaire ». Je suis donc un émissaire très âgé, possédant
une grande expérience et je suis venu pour toi.
-
Les
souris ne parlent pas, répétait sans cesse le garçonnet, totalement hermétique
au discours de cet étrange animal.
- Mais arrête un peu, ne nies pas l’évidence… Je parle
… La gente des souris est très réglementée. Il y a les souris communes, certes,
celles qui ne parlent pas aux humains et qui sont nos émissaires. Présentes
dans tous les foyers, elles font régulièrement des rapports à notre Haute
Administration qui en fonction des besoins, voire des urgences, délègue des agents. C’est ainsi, par exemple,
que nous sommes au courant lorsqu’un enfant perd une dent …
A
cet exemple Justin arrêta sa monotone litanie et se mit à écouter, sans en
avoir vraiment l’air, on a sa fierté tout de même.
La
souris poursuivait son explication tout en observant, mine de rien, l’attitude
de l’enfant, ce qui était, il faut le dire, une marque de grande
professionnalisation.
-
…. Dans la nuit
qui suit cet événement, un agent est délégué pour venir récupérer la dent
tombée et un autre pour déposer une petite pièce ou un cadeau. Nos agents font
également des rapports lorsqu’un enfant est capricieux ou difficile. Dans ce
cas également un agent spécialisé est envoyé pour faire une enquête plus
approfondie et aider l’enfant à mieux grandir. C’est ton cas et c’est pour cela
que …..
- Je n’ai
besoin de personne ! lança le gamin, coupant la parole à son interlocuteur, tu peux rentrer chez
toi. Une-souris-qui-parle-ça-n’existe-pas !!!
- Attends un peu s’il te plait …..
- Non, je n’ai pas à attendre.
Une-souris-qui-parle-ça-n’existe-pas !!! Je n’ai pas besoin de toi, ni de
personne. Je retourne me coucher.
Et
sans un « bonne nuit » qui aurait été fort poli, Justin regagna sa
chambre et se coucha, mais il n’éteignit pas la lumière cette nuit-là encore.
Il
dormit mal. Il rêva d'une souris. Il rêva d'une multitude de petites souris
remplissant une multitude de rapports et envoyant des ordres de mission à des
agents délégués afin de résoudre grand nombre de problèmes.
Il
y avait des souris rapportant des centaines de dents. Il y avait des souris
emportant des centaines de pièces. Il y avait des souris muettes souriantes. Il
y avait des souris qui parlaient un langage incompréhensif en remuant leurs
moustaches.
La
ronde nocturne incessante de ces petits rongeurs donna au petit dormeur une
telle migraine qu’il dut garder le lit
toute la journée suivant sa première rencontre avec la-petite-souris-qui-parlait-alors-qu’une-souris-qui-parle-ça-n’existe-pas.
A
ne pas en douter, c’est la maîtresse d’école de Justin qui dut fortement
apprécier cette journée sans le terrible garnement.
Toute
cette journée, entre deux sommeils tourmentés par son horrible mal de tête,
l’enfant réfléchit à son aventure….
Etait-il
le jouet de son imagination ?
Cette
petite souris était-elle réelle ?
Entre crédulité et scepticisme, l’enfant ne
savait que penser.
Il n’osait pas plus en parler à Papa et Maman,
très inquiets pour l’instant de l’état de leur enfant. Vous imaginez, si en
plus, Justin leur parlait de la-petite-souris-qui-parlait-alors-qu’une-souris-qui-parle-ça-n’existe-pas !
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