Scapin est un petit lutin, mais pas n’importe quel
petit lutin.
Scapin est un petit lutin pas comme les autres, et
c’est bien ça le drame ……
Dans le vaste pays de Kohlkopfland, vivent des lutins.
Kohlkopfland est un vaste pays vert où tout pousse en
abondance, fruits sucrés, légumes tendres, fleurs parfumées.
Kohlkopfland est un vaste pays où l’eau jaillit
fraîche et transparente.
Kohlkopfland est un vaste pays où la vie s’écoule
douce et radieuse.
Kohlkopfland est un vaste pays où tout vit en
harmonie.
Kohlkopfland est entouré d’une vaste forêt, profonde
et sombre dans laquelle il est interdit de s’aventurer, car elle serait peuplée
d’esprits maléfiques.
Aussi, les habitants de ce beau pays surveillent-ils
leurs enfants afin qu’aucun ne se dirige vers ce lieu maudit.
D’ailleurs, afin de localiser facilement tous leurs
petits, ils ont eu l’idée de coudre sur leurs bonnets, de nombreux grelots et
clochettes qui sonnent et tintent à chaque mouvement. Les éventuels polissons
aventureux sont, grâce à ce stratagème, aussitôt repérés et ramenés au sein du
village.
Bien entendu, comme tous les lutins, les habitants de
Kohlkopfland possèdent des pouvoirs magiques qu’ils peuvent mettre en pratique dès
leur naissance.
Aussi, dés leur plus jeune âge s’exercent-ils à lancer
des charmes et à réaliser des tours, et cela fait plaisir à les voir
jouer, cabrioler, sauter en lançant des éclairs magiques.
Les petits lutins ont, de ce fait, de multiples talents
dans tous les domaines artistiques, et aucun, vous entendez, aucun ne fait
exception.
Aucun ?
Regardez là-bas, cet attroupement !
Ecoutez ces éclats de rires moqueurs !
Approchez un peu….
- Ah, regardez
… ! pouffe un lutin, tout de vert
vêtu.
- Oh ! Que
c’est drôle, je n’ai jamais vu pareil maladroit ! s’esclaffe un autre.
Un troisième, légèrement en retrait, se tient les
côtes, plié de rire, et manque s’étouffer.
C’est tout simplement un cours de dessin.
Chaque petit lutin a dessiné et peint un tableau du
meilleur effet.
Difficile de départager les petits génies, même pour
l’œil attentif d’un expert.
Mais, au milieu du groupe, un petit lutin a renversé
toutes ses couleurs, il en est d’ailleurs complètement recouvert. Quant à sa
feuille barbouillée, elle ne ressemble en rien au travail soigné et parfait de
tous les autres.
Et qui a réalisé ce désastreux chef-d’œuvre ?
C’est Scapin, encore lui !
Scapin n’a pas son pareil. Maladroit, renversant tout
sur son passage, gauche, sans aucune grâce pour la danse, malhabile avec les
instruments de musique et chantant affreusement faux de surcroît.
Pauvre Scapin !
Mais que s’était-il passé ?
En fait, le jour de la distribution des dons par le
«grand magicien » du peuple des lutins, Scapin, déjà fort distrait,
s’était baissé pour cueillir une fleur. L’éclair divin, distributeur de pouvoirs
magiques lui passa tout simplement au-dessus de la tête sans l’atteindre.
Scapin est donc un petit lutin qui n’a aucun pouvoir.
Triste état, en vérité, dans ce pays où chacun est si
parfaitement doté.
Scapin est la risée de tous.
Malgré ses efforts, il ne réussit rien, et souvent, il
court se réfugier dans les bras de sa maman.
-
Ne pleure pas,
dit maman en câlinant son bambin de lutin, tu es mon petit Scapinou, et pour
moi, même si tu n’as pas de pouvoir, tu es le plus beau de tous les petits
lutins du monde.
Bercé par les bras maternels, Scapin, suçant son
pouce, car même les petits lutins sucent leur pouce, s’endort, apaisé.
Mais, lorsque Scapin s’éloigne de l’amour maternel, de
la petite maison familiale au toit de chaume où il fait bon vivre protégé des
sarcasmes des autres, il se sent perdu et malheureux. Aussi, la plupart du
temps, il se met à l’écart, et n’ose rien faire, car chacun de ses gestes
déclenche catastrophes et cascades de fous rires railleurs.
Son désir d’isolement l’éloigne fréquemment du village
et le rapproche inévitablement de la masse sombre des arbres de l’inquiétante
forêt.
Celle-ci attire Scapin par l’interdit d’y pénétrer et
les légendes que les anciens chuchotent loin des oreilles des plus jeunes.
Ne dit-on pas que cette forêt est habitée par un
esprit qui manifeste sa présence par la sonorité mélodieuse de son
violon ?
Dans l’esprit de Scapin, cet esprit musicien pouvait sûrement
lui redonner les dons qui lui étaient bêtement passés au-dessus des oreilles.
Ne dit-on pas aussi, que ce génie des bois, charme les
enfants avec sa musique pour les attirer dans la profondeur ténébreuse des
lieux, les enfermer et peut-être les manger, car en fait, aucun n’étant revenu,
on ne savait pas ce qu’ils étaient devenus.
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