jeudi 14 juin 2018

HISTOIRE DE VILLAGE - Une certaine nuit à Ecquetot.


Il y a parfois de mauvaises rencontres .....



Le chemin commençait à lui sembler bien long. Pourtant, il l’avait fait à maintes reprises, ce trajet. Mais, sans raison apparente, une angoisse l’étreignait, aussi était-il sur ses gardes et impatient de regagner au plus vite son logis.
La clarté d’une lune blafarde, masquée au gré de la progression des nuages, projetait des formes fantasmagoriques sur le sol, transformant l’ombre du moindre petit bosquet ou des plus petits arbres, en monstres gigantesques et menaçants.

« Voyons, se rassura Ismaël Gustave Barge, tu vas point être effrayé comm’ une fillette !! Bientôt, tu s’ras ben au chaud dans ton lit ! »

La vue des premières masures d’Ecquetot lui donna un regain de courage, aussi força-t-il le pas.
Toutefois, la perspective d’être bientôt chez lui ne le rassura pas pour autant. Au creux de  son estomac, l’angoisse, déjà très  poignante, montait en intensité.
Lorsqu’il s’engagea dans la rue du Bout de la Ville, menant au Centre Bourg d’Ecquetot, instinctivement, Ismaël ralentit son allure, cherchant protection dans les coins d’ombre. A quelques mètres de lui, des voix d’hommes l’avaient mis en alerte. Une mauvaise querelle, apparemment, opposait des individus, et Ismaël ne souhaitait nullement y être mêlé. Ce qu’il souhaitait ardemment, en cet instant présent, c’était la chaleur d’un bon lit. Et puis, ce n’était pas son affaire.

Se cachant dans un renfoncement que lui procurait une haie, Ismaël observait, et surtout, attendait que les deux hommes qui, à quelques mètres de lui, s’expliquaient hautement, aient achevé leur querelle et s’en aillent, pour poursuivre sa route en toute quiétude. Mais, leur discussion animée n’en finissait pas. Et, à ce que Ismaël comprenait, il était question d’argent.
L’argent ! Toujours l’argent !
Mais, le discours de part et d’autre des deux protagonistes était tellement confus qu’il était bien difficile au pauvre Ismaël qui à cette heure avancée de la nuit n’avait qu’une idée en tête, aller se reposer, d’en comprendre les tenants et les aboutissants.

Ce fut à ce moment que l’un des deux hommes se retourna et l’aperçut. Se dirigeant vers cet espion pris en flagrant délit de surveillance, furieux, l’homme que Ismaël reconnut pour être Jacques Hilaire Duval, fonça sur lui, l’air belliqueux.

« Ah ! Tu nous espionnes, hein ? A la solde de qui ? Mais, je vais t’en donner moi ! Tu ne sais pas à qui t’as affaire ! »

Puis, Jacques Hilaire Duval leva vers Ismaël une main armée d’une lame, prêt à frapper. Ismaël eut le réflexe d’arrêter la main de son agresseur, puis, le saisissant par son abondante chevelure, le fit tomber.
Le second homme, ne voulant pas que la bagarre s’envenime, s’était élancé afin d’arrêter Jacques Hilaire Duval, mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’était que son intervention avait fait diversion, donnant ainsi au sieur Duval le temps de se relever et de mettre sa menace à exécution en enfonçant la lame de son couteau dans le flanc gauche d’Ismaël.

Un moment, saisis par ce geste criminel, les deux hommes observèrent Ismaël qui, plié en deux, regardait d’un air incrédule le sang couler de la plaie, avant de prendre la fuite.
A peine revenu de son étonnement, malgré la douleur lancinante que lui procurait la blessure, Ismaël regagna péniblement son logis, ne pouvant se redresser, la main gauche plaquée sur la plaie qui saignant abondamment.

Seul chez lui, Ismaël sentait son angoisse s’accroitre de plus bel. Et si Jacques Hilaire Duval, de peur d’être inquiété par la justice, venait achever le travail commencé, afin de le faire taire, définitivement !
Ismaël se voyait déjà allongé, baignant dans son sang, au milieu de sa chambre. Agonisant ! Mort !
Alors, un sursaut de courage mena ses pas vers la demeure du sieur Allix, maire d’Ecquetot. Devant le logis, Ismaël cogna des deux poings sur la porte, afin d’éveiller les habitants. Au bout de quelques minutes, une voix cria de derrière les volets du rez-de-chaussée.
« Qui va là, à cette heure de la nuit ?
-          C’est Ismaël Barge, m’sieur l’maire !
-          Ismaël ! Mais, t’es pas fou de me réveiller à pareille heure !
-          C’est que j’ suis blessé !
-          Blessé ! En pleine nuit ? Tu pouvais point dormir, comme tout le monde ?
-          C’est qu’ j’aurai ben voulu ! C’est l’ Jacques Duval. I’ m’a planté !

A cette dernière phrase, la porte s’ouvrit, découvrant Monsieur le Maire dans une tenue peu digne de sa fonction, mais compatible avec l’heure avancée de la nuit.
Monsieur le Maire était en chemise !

Devant le côté ensanglanté de Ismaël, le maire alla réveiller sa domestique afin qu’elle donnât les premiers soins au blessé. Celle-ci arriva échevelée, les yeux bouffis, et baillant à s’en décrocher la mâchoire.
Puis, le sieur Allix, maire, écouta le récit de la mésaventure et de l’agression que son hôte de la nuit venait de subir. Ismaël relata donc tout avec moult détails, tout en en ajoutant un peu, toutefois, mais pas plus qu’il n’en fallait..... Il fallait rester dans le plausible.
Trop de détails nuisent à la vérité. Pas vrai ?

Lorsque Ismaël Barge eut achevé de rapporter les évènements dont il avait été victime, le maire déclara :
« Nous ne pouvons rien faire pour l’instant. Dans quelques heures, le jour se lèvera et nous tirerons cette affaire au clair. »

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Jacques Hilaire Duval avait vu le jour à Canappeville, le 25 juin 1828. Il exerçait le métier de tailleur d’habits. Sa mère, Henriette Barge, était décédée alors qu’il n’avait pas encore onze ans.
Garçon ombrageux et turbulent, il avait été confié à son oncle, Auguste Hubert Duval qui habitait Ecquetot.
Ce fut donc pour cela que le lendemain matin, le maire, accompagné du garde-champêtre, alla quérir le dit sieur Duval Jacques Hilaire, chez Auguste Hubert Duval son oncle, afin qu’il soit entendu par le maire sur les faits qui s’étaient produits la nuit précédente, faits rapportés par le blessé et plaignant, Ismaël Gustave Barge.
Ce fut Hilaire Chrétienne Darcy qui leur ouvrit la porte. Elle semblait de fort méchante humeur.
Sur la demande des deux hommes, elle alla réveiller son neveu qui, visiblement, n’avait pas pris le temps de se dévêtir avant d’aller se coucher.
Après un bref entretien, sur les évènements de la nuit, le maire conclut :
« Alors, vous ne niez pas l’agression de cette nuit ?
-          Bah non ! mais, j’ me souvens de ren !
-          Pouvez-vous nous remettre le couteau avec lequel vous avez frappé Ismaël Barge ?
-          Quel couteau ? J’ai point d’ couteau !
-          Où l’avez-vous caché ou jeté ?
-          J’ sais point moi !
-          Cette arme était bien à vous ?
-          J’sais point non plus ! J’ai un couteau, oui, mais j’ sais point où i’ s’ trouve !
-          Puisque c’est ainsi, nous le découvrirons bien. Nous allons perquisitionner le domicile de votre oncle où vous logez actuellement.

Au mot « perquisition », Hilaire Chrétienne Darcy se rembrunit de plus belle et commença à émettre quelques oppositions.
Elle dut pourtant se résigner, affichant, tout de même, son mécontentement à cette intrusion dans sa vie privée.
« C’ gamin, i’ nous apporte que des ennuis ! J’ savais qu’en l’ prenant, c’était point une riche idée ! »

Elle regardait, tout à tour, les deux représentants de l’ordre fouiller ses affaires et son neveu, d’un œil noir ! Furieuse, elle ne put s’empêcher de lancer :
« Et c’est qui, qui va ranger tout c’ désordre, hein ? Vous croyez qu’ j’ai qu’ ça à faire ? »
Puis elle quitta la pièce, y revenant quelques minutes plus tard, en s’écriant :
« C’est y pas ça qu’ vous cherchez ? »
Dans sa main, se trouvait un couteau dont la lame était maculée de traces de sang.

L’affaire était réglée.
Cet objet était la preuve que Jacques Hilaire Duval était bien le coupable.

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La plainte n’alla pas plus loin.
Tout cela n’était qu’une affaire de famille comme il y en avait tant !

Les familles Barge, Darcy, Duval et Mettayer avaient, toutes, un lien de parenté, à divers niveaux.
Dans les villages, on ne va pas chercher bien loin pour se marier. Pas vrai ?

D’ailleurs, pour vous le prouver, je peux vous attester que :

Jacques Hilaire Duval épousa, le 2 décembre 1865, à Ecquetot, Désirée Ephémie Mettayer, fille de François Vincent Mettayer et Marguerite Darcy.
Qui étaient les témoins ?
Pierre François Mettayer et Benjamin Théophile Mettayer, deux des frères de la mariée.


Ismaël Gustave Barge, né le 13 mai 1825, à Ecquetot, fils de Louis Modeste Barge et Agathe Aimée Augustine Martin, était un petit neveu de Henriette Barge, mère de Jacques Hilaire Duval.

Alors ?  C’était bien une histoire de famille ? Oui ? Non ?

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Et comme il est fortement conseillé de ne jamais se mêler des histoires de famille, laissons-les tous à leurs querelles, se critiquer, se rabibocher, s’insulter, se poignarder et s’inviter...... et ainsi de suite.......
N’est-ce pas cela le plaisir de la famille ?



Ecquetot, une plainte trouvée dans les pages du registre
des délibérations du Conseil Municipal.
Un évènement qui s’est produit
le 10 juin 1850, à deux heures du matin.

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