mardi 31 décembre 2019

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES


DES SIÈCLES  D'EMPOISONNEUSES

L'AFFAIRE LAFARGE





Chapitre 11

Audience du 3 septembre 1840

Pas besoin de préciser que la salle d’audience  était pleine à craquer.
La « voleuse », condamnée lors d’un précédent procès, comparaissait à présent sous l’inculpation d’homicide volontaire sur la personne de son époux.

Le président de Gaujal interrogea l’accusée, lui demandant de décliner son état-civil, puis sans autre préambule demanda des précisions sur l’achat de poudre d’arsenic.
Mairie Fortunée Capelle ne nia pas, précisant que c’était pour se débarrasser des rats qui pullulaient au Glandier.
Le président en vint aussitôt après à la fabrication des gâteaux préparés et envoyés à son mari, Charles Lafarge, en déplacement à Paris :
«  Ne préparâtes-vous pas un gâteau que vous adressâtes à M. Lafarge qui se trouvait à Paris ?
-          Non, je me rappelle seulement qu’au moment où je m’occupais de faire un envoi à mon mari, on me remit quatre à cinq petits gâteaux  qu’on appelle choux, qui avaient été préparés par Mme Lafarge, ma belle-mère. Je plaçai ces gâteaux dans le caisson.
-          Ne plaçates-vous pas dans cette même caisse un gâteau de la grandeur d’une assiette ?
-          Je suis assurée de n’avoir placé dans cette caisse que quatre ou cinq petits gâteaux, ayant la forme d’une orange.
-          Lorsque vous fîtes cet envoi, n’engageâtes-vous pas votre belle-mère à écrire un billet à son fils, dans lequel elle lui disait que c’était elle-même qui avait préparé les gâteaux ?
-          Non, je n’ai jamais demandé cela.

Le président de Gaujal mentionna également que Marie Fortunée Capelle aurait eu quelques mauvais pressentiments et craignait de recevoir une lettre annonciatrice de mauvaise nouvelle. Marie Fortunée Capelle démentit formellement.
Et puis, le Président parla du soir où Charles Lafarge revint au Glandier.
« Je me rappelle, répondit l’inculpée, que le soir de l’arrivée de M. Lafarge, il se mit immédiatement dans son lit ; que je pris mon repas à côté de lui. Je ne lui ai rien proposé à manger, sachant qu’il avait vomi toute la journée. Les vomissements violents ne reprirent que le lendemain et ce fut à ce moment que nous avons fait appeler M. Bardou. Ce médecin arriva dans la nuit. »
Le président reprit :
« Pendant  que votre mari était dans cet état, ne vous opposiez-vous pas à ce que d’autres personnes que vous lui donnassent des soins, et notamment votre belle-mère, avec laquelle vous eûtes, à ce sujet,  une querelle assez vive en présence de M. Bardou ?
-          C’est ma belle-mère et les personnes de la maison qui donnaient leurs soins à M. Lafarge ; ce ne fut que lorsque je m’aperçus que ma belle-mère, qui déjà avait passé plusieurs nuits auprès de son fils, voulait continuer, que je l’engageai à aller se reposer. Au reste, dans les soins que j’ai donnés à M. Lafarge, j’ai toujours été assistée par une ou deux personnes.

Madame veuve Lafarge démentit avoir demandé au médecin de lui faire une ordonnance afin qu’elle puisse obtenir de l’arsenic chez le pharmacien. Elle confirma, cependant, avoir demandé au sieur Denis, employé dans l’usine, de lui rapporter de Brives de l’arsenic et des ratières, mais que ce ne fut nullement sous le sceau du secret.

Autre demande :
« Après avoir reçu cet arsenic, ne fîtes-vous faire un lait de poule pour vous, et ne le partageâtes-vous pas, ou n’en donnâtes-vous pas une partie à votre mari ?
-          Voici ce que je me rappelle ; je me suis mise dans mon lit, étant très fatiguée ; ma belle-mère me sollicita pour prendre un lait de poule, ma belle-mère ne voulut pas que ma femme de chambre le fit, et c’est ma belle-mère qui le prépara ; on me le porta dans mon lit. Je pris ce lait de poule, dans lequel j’avais mis de la gomme ; mon mari manifesta le désir de prendre une partie de ce lait de poule. Je l’avais déjà achevé ou pris entier, lorsque mon mari en fit la demande ; on en fit un autre, c'est-à-dire ma belle-sœur en prépara un autre ; elle me le porta auprès de mon lit pour faire en sorte de persuader  M. Lafarge que c’était une partie de celui qu’on avait préparé pour moi. J’y mis de la gomme, comme j’avais fait dans celui que j’avais pris.
-          Ne vous rappelez-vous pas que ce même jour, c’est-à-dire le 11 janvier, on prépara une boisson pour M. Lafarge, dans laquelle on avait mêlé un peu de vin, que vous prîtes le verre dans lequel était cette boisson ? Ne vous souvenez-vous pas avoir ouvert le tiroir de votre commode, d’en avoir retiré une substance quelconque et de l’avoir mise dans cette boisson en la mêlant avec une cuiller ?
-          Je ne me rappelle pas avoir vu préparer, ni avoir préparé aucune boisson pour M. Lafarge dans laquelle on eut mêlé du vin.
-          Vous rappelez-vous avoir donné cette boisson à M. Lafarge, et qu’en la buvant, il vous ait observé que cela lui brûlait le gosier ?
-          Je ne me rappelle pas avoir donné cette boisson à M. Lafarge ; tout ce que je me rappelle, c’est que M. Bardou soufflait de l’alun en poudre à M. Lafarge, et qu’en recevant cette espèce de poussière dans le gosier, M. Lafarge disait à M. Bardou : « Cela me brûle le gosier. »


M. de Gaujal poursuivit, évoquant un verre empli d’eau sur laquelle Mlle Brun remarqua une pellicule de poudre blanche. Devant l’insistance de Mlle Brun, Marie Fortunée aurait bu le contenu du verre. Peu de temps après, elle fut prise de coliques et de vomissements.
Marie Fortunée précisa que ce n’était que de l’eau gommée, et qu’ayant à cette époque l’estomac fragile, elle en fut incommodée.

Ce premier interrogatoire s’acheva sur les derniers moments de Charles Lafarge, entouré de sa famille, Marie Fortunée ayant quitté la chambre.


L’assistance, sur laquelle régnait un silence pesant, apprit, à la fin de l’audience, que Marie Fortunée Capelle, veuve Lafarge, avait pris comme défenseurs Maîtres Pailler, Bach et Lachaud, tous trois avocats.

Marie Fortunée Capelle, venait de faire les mêmes déclarations qu’en janvier dernier, juste après son arrestation.
Elle confirma l’exactitude de ses propos.

Une bataille allait donc se mener entre elle et sa belle-famille qui assurément ne reviendrait pas non plus sur « SA vérité ».

Ce qui va suivre risque de ne pas être inintéressant......... Mais bien malin, celui qui décèlera la vérité dans tous les propos qui vont suivre.......


Audience du 4 septembre
Le journal de Rouen du 8 septembre concernant cette audience titre :
« Audition des témoins – dépositions des médecins – Lettre de M. Orfila – Incidents. »

Toujours beaucoup de curieux, mais pas les mêmes, les billets d’entrée – comme au théâtre – ne servant que pour une seule audience. Un seul petit problème, la « pièce » jouée chaque jour n’étant pas identique à la précédente, le « spectateur » amputé d’une partie de l’histoire se sentait très frustré.
La presse, bien évidemment, palliait à ce manque, mais saisir sur le vif les répliques, les haussements de ton des parties adverses, les frémissements et murmures du public, les rappels à l’ordre du Président, avait ce petit quelque chose d’existant irremplaçable, même par le plus talentueux des journalistes.


Mme Lafarge entra encadrée par deux gendarmes. Elle semblait épuisée, toujours malade. Son visage livide et émacié faisait ressortir le noir profond de ses yeux et de ses cheveux.

Le Président de séance annonça qu’il serait auditionné les « témoins de moralité ». Il avertit que Mme Lafarge-mère souffrante, ne pouvant soutenir un interrogatoire, la concernant, celui-ci serait remis à plus tard.
Le Président appela alors à la barre, le directeur du haras de Pompadour, M. Lespinas, afin de le libérer au plus vite, ce dernier ayant quelques obligations familiales urgentes[1].
M. Lespinas était âgé de trente-cinq ans.
Il déposa, d’un ton calme et pondéré, comme un texte mûrement réfléchi, que le 12 janvier, il s’était rendu au Glandier pour prendre des nouvelles du sieur Lafarge qu’il savait malade. Introduit dans sa chambre, il était resté un quart d’heure près de lui. Charles Lafarge était très mal et ne lui avait pas parlé, juste serré la main. Son épouse lui avait paru très affectée.
Il précisa que Charles Lafarge était un homme très-bien. Très attentionné pour sa mère et sa sœur auxquelles il portait une très vive affection. Il était bon et généreux. Un ami inestimable.
Puis il ajouta :
« C’était un homme fort intelligent ; sans être homme d’esprit, il avait une certaine instruction et beaucoup de bon sens naturel. 
-          Ce n’était donc pas un homme commun et grossier. Il avait de l’intelligence et beaucoup de bon sens, ce qui vaut assurément mieux que l’esprit parfois trop abondant ; sans voir de l’élégance dans les manières, il n’en était pas moins un homme plein d’urbanité et de bonnes manières auprès d’une femme ?
A cette précision proférée par le Président, M. Lespinas répondit par l’affirmatif, avant de poursuivre :
«  Ce n’était pas un homme à user de brutalité, de procédés choquants avec les femmes. Il était, au contraire, très liant, faisant beaucoup de frais pour plaire aux dames. »

Les questions portèrent sur le Glandier et M. Lespinas répondit au Président :
« Si l’accusée, habituée, à ce qu’il parait, à la vie de château, avait cru pouvoir établir une comparaison  entre un château et le Glandier, elle a dû trouver une grande différence ; mais, en résumé, le Glandier n’avait rien, de l’extérieur ou de l’intérieur, qui fût repoussant à la vue. L’appartement était très convenablement et agréablement  meublé. M. Lafarge y avait fait faire quelques travaux avant l’installation de son épouse. »

Mettant en avant les accusations de Marie Fortunée Capelle-Lafarge de brutalité lorsque son mari s’enivrait, M. Lespinas répliqua :
« J’ai beaucoup reçu M. Lafarge chez moi, j’ai été chez lui, et je l’ai toujours connu pour un homme très sobre. »
Avant de quitter la barre, M. Lespinas acheva sa déposition par :
«  Je suis retourné chez M. Charles Lafarge quelques jours après ma visite. Il venait de mourir. Sa mère très affectée me manifesta ses craintes d’un empoisonnement, me montrant certains vases supposés contenir de l’arsenic. Melle Brun fit de même avec un verre contenant un restant de lait de poule. »



Fin de la déposition de M. Lespinas qui par ses propos nous a révélé un Charles Lafarge bien différent.........

Nous allons entendre maintenant le témoignage de M. Bardou, médecin de la famille Lafarge.



[1] L’épouse de M. Lespinas était très malade et il devait retourner auprès d’elle au plus vite.

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