jeudi 4 juin 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES


HISTOIRE VRAIE
LES  EMPOISONNEUSES

Affaire Lacoste -  Vergès

 


Chapitre 4

La première audience[1] débuta par l’exposé des faits, puis l’interrogatoire des accusés.
Honneur, si on pouvait dire, à Joseph Meilhan petit homme à la chevelure grise coupée ras, aux yeux ronds et vifs, au teint coloré,  à l’esprit vif et rusé, qui déclina son identité.

Il précisa qu’avant de s’établir, il y avait six années déjà, à Riguepeu, il demeurait à Breuzeville dans la commune de Saint-Chabans où il exerçait comme instituteur.
Mais avant, bien avant, il avait servi dans l’armée où il avait roulé sa bosse. Quand à Carcassonne, le représentant du peuple lui avait signifié son congé, il décida de se rendre à Bordeaux et d’entreprendre des études en pharmacie. Suite à cela, il embaucha à l’hôpital militaire de Bayonne où il exerça quelque temps. Il revint alors chez lui, à Vic-Fezensac, où il apprit le décès de ses parents.
Comme il fallait bien vivre, il ouvrit un commerce de grains, se maria et eut un fils, un seul, pour lequel il se sacrifia, l’envoyant à Paris étudier la pharmacie. Lorsque ce fils revint, diplôme en poche, en père attentionné, il l’établit à Vic-Fezensac.
Il lui avait tout donné à son fils, jusqu’à son dernier sou, contre promesse d’une rente de cent-cinquante francs.
Un peu maigre toutefois, d’autant plus que ce fils qui avait toujours eut ce qu’il souhaitait demandait toujours de l’argent à son père. Alors, Meilhan avait pris un poste d’instituteur qui lui rapportait deux-cents francs par an et une indemnité de logement de quarante francs, sommes auxquelles venaient s’ajouter les indemnités des parents pour l’instruction de leurs enfants, soit entre deux et trois francs par élève et par mois. Des élèves qui ne fréquentaient pas régulièrement l’école, en fonction des travaux saisonniers. Bien sûr, il y avait aussi la classe d’adultes le soir, mais les grands élèves n’étaient pas plus assidus que les mouflets.

Les questions du juge se firent plus précises lorsqu’il évoqua un fait qui s’était produit au moment de l’installation de Meilhan à Riguepeu, lorsque celui-ci demeurait à l’auberge Lescure. A ce moment-là, une des filles Lescure était décédée et l’on chuchotait, un peu fort toutefois, que cette jeune fille était enceinte et que son décès était survenu suite à une fausse-couche. Une fausse-couche provoquée par une potion abortive qui aurait été fournie, justement, par le sieur Meilhan en personne.
A cette accusation à peine déguisée, Joseph Meilhan répliqua :
« On dit tant de choses. Mais on peut dire ce que l’on veut.
- Pourtant, poursuivit le juge, n’est-ce pas à la suite du décès de sa fille que Lescure vous a chassé de chez lui ?
- Pour sûr ! Il était comme cela Lescure. Un jour, il s’en prenait à sa femme, un autre, à quelqu’un d’autre, et ce jour-là, ce fut à moi. Et voilà qu’il me chasse, venant le lendemain me sauter au cou  et me demander de revenir chez lui. Un impulsif !
- N’était-ce pas sur l’intervention de Mme Lacoste que Lescure est revenu vous voir ?
- Je n’en sais rien !
-     De quelle façon êtes-vous entré en relation avec la famille Lacoste ?
-     C’est venu comme ça. On a discuté avec Lacoste, puis il m’a invité, une fois, deux fois... rien de mystérieux !
-     Vous souvenez-vous avoir vu M. Lacoste le 16 août, à la foire ?
-     Je ne l’ai pas vu ce jour-là. J’ai passé la journée avec le capitaine Mothe.
-     Donc, vous n’avez pas bu un verre ensemble ?
-     Puisque je ne l’ai pas vu.....
-     Quand vous avez appris la maladie de Lacoste, puisque c’était un ami, pourquoi n’êtes vous pas allé prendre de ses nouvelles ?
-     Mme Lescure que j’avais rencontrée m’avait dit qu’il ne voulait voir personne.
-     Pourtant, le lendemain du décès, vous mangiez à la table de la veuve.
-     Je n’étais pas le seul. C’est une habitude par chez nous, après un décès.
-     Mais vous y étiez aussi le surlendemain.... Une autre habitude, sans doute ! Passons..... Pourquoi cette pension viagère de quatre-cents francs signée de la main de Mme Lacoste ?
-     C’est bien embrouillé tout cela....
-     En effet ! Quels étaient les rapports d’argent entre vous et Mme Lacoste ?

En effet, bien embrouillé tout cela !
Contre une somme de mille-sept-cent-soixante-douze francs, remise à Mme Lacoste, celle-ci avait signé un billet à ordre de la même somme au nom de Meilhan.
Pourquoi ce versement ?
Un placement selon Joseph Meilhan.
D’autre part, il y avait, en effet, cette pension viagère dont la véracité pouvait être certifiée par le maire de la commune, d’un montant de quatre-cents francs et signée « Euphémie Lacoste ».
L’accusé s’en expliqua  en affirmant que ce document était un faux écrit et signé de sa main.
En fait, c’était très simple. Son fils le sollicitait toujours et encore dernièrement afin de subvenir aux besoins de l’un de ses enfants qui se trouvait au séminaire de Vic-Fezensac. Il ne se sentait plus très jeune, Meilhan, et il fallait bien qu’il pensât à ses vieux jours, lorsqu’il ne pourrait plus travailler.
Alors, cette pension viagère  n’était autre qu’un stratagème face aux demandes financières incessantes de son unique fils.
Ainsi, il justifiait qu’il n’avait plus un sou, toutes ses économies placées contre cette rente.

Ce fut avec cette question que s’acheva l’interrogatoire de Joseph Odillon Meilhan.


Euphémie Lacoste fut ensuite introduite dans le box des accusés pour être interrogée à son tour.
De taille moyenne et très élégante, le léger voile noir transparent recouvrant son visage laissait transparaître des traits dignes et des yeux expressifs et beaux.
Comme l’avait fait précédemment Joseph Meilhan, Euphémie Lacoste déclina son identité.

Elle précisa qu’avant son mariage, elle demeurait avec ses parents à Mazerolles, et que sa fortune s’élevait à douze-mille francs. Cette union avec le sieur Lacoste, elle ne l’avait pas souhaitée, loin de là, la décision en venait de ses parents.

N’y aurait-il pas eu un amoureux, avant ces épousailles ? Un amoureux qu’elle aurait continué à voir....
-           Non, démentit-elle. Ni avant. Ni après.
Mais cette jeune femme ne nia nullement avoir eu quelques rapports amoureux avec un jeune homme de Tarbes, environ six à huit semaines après son veuvage.

La jalousie de son époux ?
-          Je faisais en sorte de ne pas le contrarier, répondit-elle.

L’avarice de son époux ?
-          Je ne manquais de rien, affirma-t-elle.

Le juge en vint au jour de la foire.
Euphémie Lacoste  précisa que ce n’était pas le jour-même que son mari s’était plaint de maux de tête et de ventre, mais le mercredi. C’était elle qui l’avait soigné. D’ailleurs, il ne voulait personne d’autre et surtout pas de médecins. Il les avait en horreur. Elle l’avait soigné avec de la mauve, de la limonade et de la gomme.
Son mari prenait des médecines depuis plusieurs années, souffrant de dartres et d’une hernie. Mais elle ne pourrait dire qu’elles étaient ces médecines et où son époux se les procurées, car il les prenait en cachette.

Concernant les mille-sept-cent-soixante-seize francs, elle les avait reçus en liquide contre un billet de même valeur.
La rente de quatre-cents francs ? Elle n’était pas au courant.

Revenant sur la résidence des époux Lacoste  à Tarbes, le juge demanda quelques précisions :
« Pourquoi avoir quitté le logement juste après la mort de Lacoste ?
-          Il était trop petit, aussi j’en ai trouvé un autre, plus vaste et  plus à mon goût.

D’ailleurs, l’information  des soirées animées et de la venue d’un jeune homme dans les lieux émanait de la femme du propriétaire, madame Fourcade.

La séance prit fin et fut suspendue pendant une heure, dans l’attente de la lecture des analyses post-mortem, effectuées par les différents experts.



[1] Sources : journal « la démocratie pacifique » - juillet 1844.

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