HISTOIRE VRAIE
LES EMPOISONNEUSES
Affaire Lacoste -
Vergès
Chapitre 4
La
première audience[1]
débuta par l’exposé des faits, puis l’interrogatoire des accusés.
Honneur,
si on pouvait dire, à Joseph Meilhan petit homme à la chevelure grise coupée
ras, aux yeux ronds et vifs, au teint coloré,
à l’esprit vif et rusé, qui déclina son identité.
Il
précisa qu’avant de s’établir, il y avait six années déjà, à Riguepeu, il
demeurait à Breuzeville dans la commune de Saint-Chabans où il exerçait comme
instituteur.
Mais
avant, bien avant, il avait servi dans l’armée où il avait roulé sa bosse. Quand
à Carcassonne, le représentant du peuple lui avait signifié son congé, il
décida de se rendre à Bordeaux et d’entreprendre des études en pharmacie. Suite
à cela, il embaucha à l’hôpital militaire de Bayonne où il exerça quelque
temps. Il revint alors chez lui, à Vic-Fezensac, où il apprit le décès de ses
parents.
Comme
il fallait bien vivre, il ouvrit un commerce de grains, se maria et eut un
fils, un seul, pour lequel il se sacrifia, l’envoyant à Paris étudier la
pharmacie. Lorsque ce fils revint, diplôme en poche, en père attentionné, il
l’établit à Vic-Fezensac.
Il
lui avait tout donné à son fils, jusqu’à son dernier sou, contre promesse d’une
rente de cent-cinquante francs.
Un
peu maigre toutefois, d’autant plus que ce fils qui avait toujours eut ce qu’il
souhaitait demandait toujours de l’argent à son père. Alors, Meilhan avait pris
un poste d’instituteur qui lui rapportait deux-cents francs par an et une
indemnité de logement de quarante francs, sommes auxquelles venaient s’ajouter
les indemnités des parents pour l’instruction de leurs enfants, soit entre deux
et trois francs par élève et par mois. Des élèves qui ne fréquentaient pas
régulièrement l’école, en fonction des travaux saisonniers. Bien sûr, il y
avait aussi la classe d’adultes le soir, mais les grands élèves n’étaient pas
plus assidus que les mouflets.
Les
questions du juge se firent plus précises lorsqu’il évoqua un fait qui s’était
produit au moment de l’installation de Meilhan à Riguepeu, lorsque celui-ci
demeurait à l’auberge Lescure. A ce moment-là, une des filles Lescure était
décédée et l’on chuchotait, un peu fort toutefois, que cette jeune fille était
enceinte et que son décès était survenu suite à une fausse-couche. Une
fausse-couche provoquée par une potion abortive qui aurait été fournie,
justement, par le sieur Meilhan en personne.
A
cette accusation à peine déguisée, Joseph Meilhan répliqua :
« On
dit tant de choses. Mais on peut dire ce que l’on veut.
- Pourtant, poursuivit le juge, n’est-ce pas à la suite du décès
de sa fille que Lescure vous a chassé de chez lui ?
- Pour sûr ! Il était comme cela Lescure. Un jour, il s’en
prenait à sa femme, un autre, à quelqu’un d’autre, et ce jour-là, ce fut à moi.
Et voilà qu’il me chasse, venant le lendemain me sauter au cou et me demander de revenir chez lui. Un
impulsif !
- N’était-ce pas sur l’intervention de Mme Lacoste que Lescure est
revenu vous voir ?
- Je n’en sais rien !
-
De quelle façon êtes-vous entré en relation avec la famille
Lacoste ?
-
C’est venu comme ça. On a discuté avec Lacoste, puis il m’a
invité, une fois, deux fois... rien de mystérieux !
-
Vous souvenez-vous avoir vu M. Lacoste le 16 août, à la
foire ?
-
Je ne l’ai pas vu ce jour-là. J’ai passé la journée avec le
capitaine Mothe.
-
Donc, vous n’avez pas bu un verre ensemble ?
-
Puisque je ne l’ai pas vu.....
-
Quand vous avez appris la maladie de Lacoste, puisque c’était un
ami, pourquoi n’êtes vous pas allé prendre de ses nouvelles ?
-
Mme Lescure que j’avais rencontrée m’avait dit qu’il ne voulait
voir personne.
-
Pourtant, le lendemain du décès, vous mangiez à la table de la
veuve.
-
Je n’étais pas le seul. C’est une habitude par chez nous, après un
décès.
-
Mais vous y étiez aussi le surlendemain.... Une autre habitude,
sans doute ! Passons..... Pourquoi cette pension viagère de quatre-cents francs
signée de la main de Mme Lacoste ?
-
C’est bien embrouillé tout cela....
-
En effet ! Quels étaient les rapports d’argent entre vous et
Mme Lacoste ?
En
effet, bien embrouillé tout cela !
Contre
une somme de mille-sept-cent-soixante-douze francs, remise à Mme Lacoste,
celle-ci avait signé un billet à ordre de la même somme au nom de Meilhan.
Pourquoi
ce versement ?
Un
placement selon Joseph Meilhan.
D’autre
part, il y avait, en effet, cette pension viagère dont la véracité pouvait être
certifiée par le maire de la commune, d’un montant de quatre-cents francs et
signée « Euphémie Lacoste ».
L’accusé
s’en expliqua en affirmant que ce
document était un faux écrit et signé de sa main.
En
fait, c’était très simple. Son fils le sollicitait toujours et encore
dernièrement afin de subvenir aux besoins de l’un de ses enfants qui se
trouvait au séminaire de Vic-Fezensac. Il ne se sentait plus très jeune,
Meilhan, et il fallait bien qu’il pensât à ses vieux jours, lorsqu’il ne
pourrait plus travailler.
Alors,
cette pension viagère n’était autre
qu’un stratagème face aux demandes financières incessantes de son unique fils.
Ainsi,
il justifiait qu’il n’avait plus un sou, toutes ses économies placées contre
cette rente.
Ce
fut avec cette question que s’acheva l’interrogatoire de Joseph Odillon Meilhan.
Euphémie
Lacoste fut ensuite introduite dans le box des accusés pour être interrogée à
son tour.
De
taille moyenne et très élégante, le léger voile noir transparent recouvrant son
visage laissait transparaître des traits dignes et des yeux expressifs et
beaux.
Comme
l’avait fait précédemment Joseph Meilhan, Euphémie Lacoste déclina son identité.
Elle
précisa qu’avant son mariage, elle demeurait avec ses parents à Mazerolles, et
que sa fortune s’élevait à douze-mille francs. Cette union avec le sieur Lacoste,
elle ne l’avait pas souhaitée, loin de là, la décision en venait de ses
parents.
N’y
aurait-il pas eu un amoureux, avant ces épousailles ? Un amoureux qu’elle
aurait continué à voir....
-
Non, démentit-elle. Ni avant. Ni après.
Mais
cette jeune femme ne nia nullement avoir eu quelques rapports amoureux avec un
jeune homme de Tarbes, environ six à huit semaines après son veuvage.
La
jalousie de son époux ?
-
Je faisais en sorte de ne pas le contrarier, répondit-elle.
L’avarice
de son époux ?
-
Je ne manquais de rien, affirma-t-elle.
Le
juge en vint au jour de la foire.
Euphémie
Lacoste précisa que ce n’était pas le
jour-même que son mari s’était plaint de maux de tête et de ventre, mais le
mercredi. C’était elle qui l’avait soigné. D’ailleurs, il ne voulait personne d’autre
et surtout pas de médecins. Il les avait en horreur. Elle l’avait soigné avec
de la mauve, de la limonade et de la gomme.
Son
mari prenait des médecines depuis plusieurs années, souffrant de dartres et d’une
hernie. Mais elle ne pourrait dire qu’elles étaient ces médecines et où son
époux se les procurées, car il les prenait en cachette.
Concernant
les mille-sept-cent-soixante-seize francs, elle les avait reçus en liquide
contre un billet de même valeur.
La
rente de quatre-cents francs ? Elle n’était pas au courant.
Revenant
sur la résidence des époux Lacoste à Tarbes,
le juge demanda quelques précisions :
« Pourquoi
avoir quitté le logement juste après la mort de Lacoste ?
-
Il était trop petit, aussi j’en ai trouvé un autre, plus vaste
et plus à mon goût.
D’ailleurs,
l’information des soirées animées et de
la venue d’un jeune homme dans les lieux émanait de la femme du propriétaire,
madame Fourcade.
La
séance prit fin et fut suspendue pendant une heure, dans l’attente de la
lecture des analyses post-mortem, effectuées par les différents experts.
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