les empoisonneuses
L'affaire Lacoste
Chapitre 6
Dès
six heures du matin, le lendemain, 11 juillet, la foule s’était amassée devant
le palais de justice, afin d’avoir une
place assise. De plus en plus de dames endimanchées comme à la promenade.
Quelques
minutes avant sept heures, les accusés furent introduits dans le prétoire et
prirent place non loin l’un de l’autre.
Meilhan,
le regard scrutant la salle, faisait des signes de la main aux personnes de sa
connaissance, comme au théâtre avant la levée du rideau.
Euphémie
Lacoste, très pâle, semblait souffrante.
Au premier rang du public, la sœur et la servante de l’accusée la rassuraient
d’un sourire.
Sept
heures tapantes, la cour entrait en séance, et le défilé des témoins débuta.
Ce
fut, en premier, M. Vignes, médecin à
Tarbes qui confirma avoir était appelé par le sieur Lacoste pour des douleurs dans les reins, lui
demandant de le saigner, ce qu’il refusa dans un premier temps ne jugeant pas
cet acte nécessaire. Devant la vive insistance du malade, il obtempéra, non
sans avoir longuement argumenté. Ce
praticien affirma avoir aperçu sur le bras du patient quelques petites tumeurs.
« Vous
habitez Tarbes, demanda ensuite le juge, n’avez-vous pas su que Mme Lacoste
recevait des visites masculines dans son appartement ?
-
Je l’ai entendu dire, mais ce ne sont que des
rumeurs, répondit le médecin.
-
Justement, dites-nous ce que disent ces
rumeurs !
-
Que Mme Lacoste, en effet, avait quelques
visites, en soirée. Il y avait beaucoup de prétendants à sa main.
-
Nous avons reçu soixante-huit demandes de ce
genre, M. le juge, se précipita d’ajouter maître Alem-Rousseau, défenseur de
l’accusée.
Cette
précision sur le nombre de prétendants amena quelques murmures de surprise, et
peut-être même d’admiration, parmi les personnes présentes. En effet, quel
succès !! Succès dû, en grande partie pour certains galants, à la fortune
de la jeune veuve que chacun disait qu’elle n’était, en plus, pas vilaine. Deux
atouts appréciables.
Le capitaine Mothe fut
rappelé à la barre.
Il
lui fut demandé de préciser la date exacte de sa rencontre avec son ami
Meilhan. Le brave capitaine s’emmêla. Tantôt, il affirmait que c’était le 30
avril, tantôt que c’était le 16 mai.
Sa
mémoire, défaillante, lui jouait bien des farces. Tout cela n’était pas en
faveur de Meilhan.
M. Larrieu, Jean de son prénom,
cultivateur à Riguepeu.
Le
19 mai, il avait rencontré Lacoste qui rentrait chez lui. Ce devait être vers
les trois ou quatre heures après midi. Ils s’étaient salués et avaient échangé
quelques mots. Lacoste lui avait dit qu’il ne se sentait pas très bien, un peu
dérangé, et que c’était depuis que Meilhan l’avait fait boire.
Pierre Cournet, maçon demeurant à
Bazian.
Jacquette
Larrieu, la servante des Lacoste, lui avait dit que son maître avait commencé à
vomir, le soir même de la foire, soit le 16 mai.
Bernard Daste, également maçon, mais
exerçant à Riguepeu, confirma les dires du précédent témoin,
Pierre Cournet.
Milhas, domestique chez les Lacoste, vint
déposer à son tour.
Il
eut bien du mal à prêter serment, se trompant de main. Il dut s’y reprendre à
plusieurs fois avant d’arriver à lever la main droite.
Y
étant enfin arrivé, il déclara :
« C’est
que le maître, le lendemain matin du 16 mai, m’a dit en se levant « j’ai
des dispositions à vomir », mais c’est par madame... ou bien la fille de
service.... je sais plus, que j’ai appris que le maître vomissait. »
Il
ajouta ensuite qu’on l’avait envoyé porter une lettre à M. Roubée, médecin à
Vic-Fezensac, le lundi soir et été allé chercher M. Lesmolles, chirurgien, le
mardi soir. Ce praticien avait posé des sangsues au malade. Et le surlendemain,
c’était M. Lignac, médecin à Vic-Fezensac, à qui il était allé demander de
venir, mais celui-ci était arrivé trop tard, le sieur Lacoste n’ayant plus
besoin de ses soins....
Joseph Navarre, menuisier à
Vic-Fezensac.
« Quelques
jours avant la foire, M. Lacoste est venu me voir. Il se plaignait d’être
indisposé, disait avoir des maux d’estomac et de ventre. Pourtant, nous avons
mangé ensemble et il eut bon appétit. Le jour de la foire, le matin, je le vis
et il me dit avoir envie de manger de l’ail. Il aimait beaucoup l’ail. Je le
revis dans la soirée, il se plaignait d’un grand mal à la tête. Mais, il ne me
dit pas avoir de coliques. »
Après
un court silence, Joseph Navarre poursuivit :
« J’oubliais.....
M. Lacoste avait des dartres sur la figure sur lesquelles il mettait une
pommade.
-
Qui lui fournissait cette pommade ?
demanda la juge.
-
Je sais pas.... une espèce de devin du côté
d’Auriébal.
-
A votre connaissance, en avait-il ailleurs
qu’à la figure ?
-
Je sais pas, peut-être en avait-il à
l’estomac.
Une
remarque qui déclencha quelques rires.
Le
magistrat après avoir demandé le silence continua :
« Vous
semblez connaître bien des choses ? Vous n’en avez pas autant dit lors des
premiers interrogatoires.
-
Dam, c’est que j’avais oublié !
-
Puisque vous semblez bien connaître le couple
Lacoste. M. Lacoste était-il jaloux ?
-
Oh oui, beaucoup ! s’exclama le témoin.
Il disait qu’il ne confierait pas sa femme à tout le monde.
Décidément
Joseph Navarre avait l’art de la formule. Quelques rires fusèrent encore, mais
le juge n’y prêta, cette fois, aucune attention, enchaînant la question suivante :
« Que
savez-vous des relations de Mme Lacoste depuis son veuvage ?
-
Oh ! Y avait des prétendants, des amants,
qui cherchaient à la voir. Y en a qui venaient me voir pour que je parle d’eux
à Madame.
-
Y-avait-il un jeune homme de Tarbes ?
-
Oui, et ce n’était pas du meilleur choix. Je
l’ai même dit à Madame.
Nouveaux
rires !!! Pour certains « spectateurs », venus là comme au
théâtre, ce témoignage fut des plus amusants. Ils ne s’étaient pas déplacés
pour rien !
Gabriel Navarre, fils du précédent, confirma
les dires de son père, mais précisa avoir rencontré M. Lacoste au soir du 16
mai.
« Il
était bien en forme. Nous avons discutait un bon moment et puis plaisanté
aussi. A un moment, il a même entonné une chanson et s’est mis à danser. Nous
avons bien ri. »
Cette
famille Navarre, assurément de bons vivants !!
Toutefois,
le juge s’étonna de ce témoignage, allant à l’encontre de tous les autres. Mais
Gabriel Navarre persista dans sa déposition.
Jacquette Larrieu – servante
chez les Lacoste au moment du décès de son maître.
Ce
fut un joli brin de fille qui s’approcha de la barre, avec un joli minois et
coquettement vêtue.
Elle
avait, à présent, dix-huit printemps.
Tout
intimidée, elle déposa avec une voix toute fluette.
« Le
maître était souffrant en rentrant de la foire. Il s’est mis au lit aussitôt.
C’est Madame qui m’a
dit
le lendemain qu’il avait vomi dans la nuit.
-
Les vomissements, c’était le soir même ou le
lendemain ?
-
Je sais pas bien.
-
C’est important. Il faudrait le savoir.
-
C’était le lendemain..... mais, j’en suis pas
sure. C’était Madame qui s’occupait de Monsieur.
-
Vous étiez la seule domestique ?
-
Oui, monsieur.
-
Après la mort de M. Lacoste, que dit sa
femme ?
-
Elle versa quelques larmes.
-
Ensuite ?
-
Ensuite, elle alla chercher le testament.
-
Son chagrin semblait-il avoir diminué ?
-
Oui, le soir, elle était moins chagrine.
Les
questions portèrent alors sur un possible premier amour que Euphémie aurait eu
avant son mariage. A cela la jeune fille répondit :
« Oui,
elle l’avait connu avant son mariage. Il était de Tarbes.
A
la demande du juge : « Savez-vous le nom de ce jeune
homme ? »
Jacquette
répondit : « Oui. Hippolyte Berin. »
Bien
évidemment, il fut question de la conduite plus que libertine du maître de
maison avec certaines filles à son service, et des tentatives à son égard.
Jacquette
Larrieu, baissant les yeux, acquiesça : « C’est vrai, Monsieur, il
m’a cherché. »
Et
la jeune fille raconta qu’un jour, dans le salon, M. Lacoste lui avait dit que
si elle voulait l’écouter, il lui ferait 2 000 francs de rente. Et le
voilà, qu’il lui montre un document. Jacquette avait refusé ce marché qu’elle
trouvait honteux, alors cet homme bafoué se fâcha et jeta le document au feu.
Confrontée
à la déclaration de son ancienne servante, impliquant « le jeune homme de
Tarbes », la veuve Lacoste démentit formellement. Jamais, elle n’avait
connu de jeune homme avant son mariage. Après ses épousailles, un jeune homme
de Tarbes venait quelques fois à son domicile, mais il s’agissait d’un
fournisseur, épicier-droguiste, afin de livrer une commande.
Monsieur Pouy-Lateulère, propriétaire
à Tarbes.
Cet
homme avait vu M. Lacoste quelques jours avant sa mort. Il se plaignit ce
jour-là de coliques, mal qu’il attribuait à sa hernie. Il l’avait revu le
lendemain, mais il était tout guilleret. En effet, il lui confia que
c’était sa femme qui le rasait et que sa
main était légère et fort douce, ajoutant : « C’est un trésor que ma
femme ».
En
discutant de choses très personnelles, Henry Lacoste avait ajouté :
« Elle m’a fait la barbe toute ma vie et pas que cela, elle me lave aussi
les pieds et me rogne les ongles. »
Cette
dernière remarque déclencha l’hilarité dans la salle d’audience. Pour faire
cesser moqueries et quolibets qu’il trouvait terriblement déplacés en raison du
contexte, maître Alem-Rousseau, forçant la voix, lança avec panache :
« C’est
là ce que l’accusation qualifie d’abjection et ce que nous appelons, nous, du
dévouement. »
Sur
le même ton et avec beaucoup d’ironie, le procureur du roi ajouta :
« Et
ce que nous appelons, nous, du calcul. »
M. Bordes, aubergiste à Riguepeu.
Lui,
il avait entendu dire que la maladie de Lacoste s’était déclarée suite à
l’absorption d’une potion chez Meilhan et préparée par lui.
Larmalles, métayer de M. Lacoste, demeurant
à Riguepeu.
On
lui avait dit que Henry Lacoste avait mangé des haricots et que c’était à la
suite de ce repas que les vomissements s’étaient produits. Apprenant que son
maître était malade, il s’était rendu au château de Philibert[1], pour prendre des nouvelles. Il n’avait pu le
voir, le malade refusant toute visite.
Après
une pause d’une heure, les témoignages reprirent.
M. André Sabazan – capitaine en
retraite – maire de Riguepeu – officier de la Légion d’Honneur.
Les
dires de cet homme, ayant de lourdes responsabilités dans la commune, ne
pouvaient être que crédibles.
D’ailleurs,
tout ce qui se passait à Riguepeu lui revenait aux oreilles et dans les cas
délicats, il se devait d’établir un procès-verbal.
Il
avait donc su, André Sabazan, qu’après avoir bu un verre chez Meilhan, Lacoste
s’était senti indisposé.
Ce
même Meilhan, après le décès de Lacoste était venu lui demander des
renseignements sur un certain Castera, et notamment si celui-ci était solvable,
car Meilhan avait en sa possession un
effet de 1 772 francs, cadeau de Mme Lacoste, sur le nom de Castera. Il
avait appris, toujours de la bouche de Meilhan, que Mme Lacoste était disposée
à lui faire une pension viagère de 400 francs. D’ailleurs, au mois d’août suivant,
il avait rencontré Joseph Meilhan qui arborait un large sourire. Il venait, lui
a-t-il appris, de percevoir le premier terme de sa pension. C’est en août qu’il
s’était rendu aux eaux de Bagnères-Bigorre, les personnes qui l’avaient croisé
là-bas dirent qu’il avait sur lui plus de mille francs.
Ce
ne fut qu’en septembre qu’il perçut les premières rumeurs attestant que Henry
Lacoste était mort empoisonné.
Suite
à la déposition de monsieur le maire, Meilhan fut de nouveau interrogé sur les
sommes d’argent en sa possession. Son discours ne varia pas. Il avait fabriqué
un faux pour cacher ses ressources à son fils qui ne cessait de lui demander de
financer ses nombreuses dépenses.
Mais
le juge n’en avait pas fini avec M. Sabazan et il le questionna alors sur les
visites d’un jeune homme de Tarbes au Hameau de Philibert.
« En
effet, confirma André Sabazan, il y avait un jeune homme qui venait dans cette
maison juste après le décès de Lacoste. Un jeune homme de Tarbes. D’ailleurs,
il est ici !! »
Stupeur
générale !! Le jeune homme était présent, parmi le public, dans la salle
d’audience !!!
«
Oui ! s’exclama le témoin, pas peu fier de son petit effet, en désignant
du doigt un jeune dans la salle, c’était Monsieur Montaigu[2] ».
Soulagement !!
Il
ne s’agissait pas « du jeune homme de Tarbes », mais, « d’un
jeune homme de Tarbes ».
Tout
dans la nuance !!
Vint
ensuite, pour déposer, M. Noël, curé de Riguepeu.
Lui,
il avait entendu dire que M. Lacoste était décédé d’une hernie et que depuis
son décès, son épouse, était irréprochable. Aucun rapport contre elle. Elle lui
avait confié ne pas souhaiter se remarier rapidement.
Il
affirma que le couple Lacoste s’était uni religieusement.
Quant
à M. Meilhan, un brave homme selon lui, qui se trouvait dans son école du matin
au soir.
« Et
du soir au matin ? demanda le juge.
-
Je ne l’ai vu qu’une seule fois le soir,
lorsqu’il est venu me demander asile.
Brandissant
un document, le procureur du roi lança :
« J’ai
là une attestation par laquelle les époux Lacoste ne se sont pas unis
religieusement. Ni chez un prêtre, ni à Tarbes, ni ailleurs ..... »
Maître
Alem-Rousseau renchérit alors :
« Aux
documents du Ministère public, j’oppose les miens. »
Et
voilà que Euphémie Lacoste se sentit un tantinet épuisée..... Ses forces
venaient de l’abandonner.
Elle
se sentait perdue. Que venait faire la bénédiction religieuse de son mariage
dans cette affaire ?
Etait-on
coupable lorsque l’on n’était pas passé devant le curé ?
Une
petite pause s’imposait.
L’audience
fut suspendue.
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