Thérèse Laborde-Line avait emménagé,
depuis le mois d’avril 1914, dans un petit appartement au premier étage du 95
rue Patay, dans le 13ème
arrondissement de Paris.
Elle se sentait bien seule.
Heureusement, elle pouvait toujours
tailler une petite bavette avec la concierge de l’immeuble, madame Tréborel[1]. Il faut bien passer le
temps…..
Il y avait aussi Madame Rozière, la
gérante du dépôt de vin avec qui elle bavardait aussi de temps à autre.
Oui, mais tout cela n’y faisait rien,
Thérèse Turan, veuve Laborde-Line souffrait de solitude.
Une veuve bien agréable et à la jolie
tournure.
Ne disait-on pas d’elle, qu’elle portait
bien son âge, malgré la cinquantaine approchante ?
Sa petite taille, ses cheveux bruns
légèrement crêpés, son teint hâlé, son visage agréable et son corsage bien
rempli faisaient que bien des hommes se retournaient sur son passage.
Et puis, elle ne souhaitait pas,
Thérèse, finir sa vie seule.
Ne pouvait-elle pas, encore à son âge,
rendre un homme heureux ?
C’en était fini de cette solitude.
Depuis son installation à Paris, 72 rue
des Gobelins, avec son fils,
Depuis le départ de son fils qui avait
convolé le 19 février 1914, avec Adrienne Marie Louise Giroud, puis sa mutation
à Nancy,
Et enfin, depuis son emménagement, dans
le petit appartement de la rue Patay, elle avait fait le point sur sa vie et
tout lui était revenu en mémoire, et cela depuis le jour de sa naissance.
Sa naissance !!! Elle avait vu le
jour le 12 août 1868 à Chacornus, non loin de Buenos-Aires, en Argentine[2].
La mort de son père, le 7 septembre 1880
à Lay-Lamidou (Pyrénées Atlantique).
Son mariage avec Adrien Laborde-Line à
Oleron-Sainte-Marie dans les Pyrénées, en juin 1886.
L’auberge familiale où il n’y avait
aucun jour de repos.
La naissance de son petit, baptisé
Vincent Laurent, dans cette même
auberge, le 22 octobre 1887. Un fils qu’elle n’avait pas vu grandir, tant la
besogne était lourde.
Sa séparation d’avec Adrien, son époux
et le décès de celui-ci[3].
Sa venue à Paris avec son fils et son
installation rue des Gobelins. Ses multiples différends avec ce fils.
La vie était ainsi faite…
Avait-elle échoué dans cette vie ?
Elle ne pouvait le dire.
Un regret, assurément, celui d’avoir vu
son fils partir au moment de la mobilisation générale d’août, sans avoir pu le serrer
dans ses bras. Le voir, encore partir sous les drapeaux après avoir déjà
effectué son service armé obligatoire d’octobre 1908 à septembre 1910, mais
cette fois, face aux obus ennemis.
Le reverrait-elle ?
Si un malheur devait arriver, sa bru la
préviendrait-elle ?
« Faut pas penser à tout ça, Madame
Laborde, ça va vous ronger les sangs, lui répétait la concierge de l’immeuble.
Y’a assez de malheur comme ça ! Et puis, vot’ fils, il est au télégraphe,
il est pas en première ligne. »
Alors, comme ses moyens fondaient comme neige au soleil,
Thérèse Turan décida de chercher un emploi. Ce fut ainsi, qu’en consultant les
annonces du « Petit Journal »,
son regard fut attiré par un petit encadré.
Un monsieur[4], esseulé lui aussi,
chercher à rencontrer une dame……
« Pourquoi pas ! » pensa
la veuve Laborde-line.
Elle répondit à l’annonce, courant mai,
et début juin 1915, une rencontre, en tout bien tout honneur, fut programmée.
« C’est un monsieur très bien, sous
tout rapport, affirma Thérèse Turan à sa concierge. J’ai l’impression d’avoir
retrouvé mes vingt ans. Et prévenant avec ça, si vous saviez….. »
Et avec un sourire éclatant de bonheur,
elle ajouta : « Nous allons nous mettre en ménage, en attendant les
papiers que je dois demander en Argentine, pour que nous puissions nous marier.
Nous allons nous installer dans une petite maison à la campagne. Je vous
donnerai ma nouvelle adresse. »
Madame Tréborel s’étonna toutefois de
cette précipitation et osa conseiller :
« Déjà ! Vous ne pensez pas
que c’est un peu tôt, non ? »
Thérèse Turan, tout à son nouveau
bonheur, haussa les épaules, pensant que cette réflexion n’était que jalousie
de femme.
Et Thérèse Turan quitta son petit
logement de la rue Patay. Le 15 juillet
1915, une voiture vint prendre tous ses meubles et effets.
Madame Rosière, dans son commerce de
vin, fut étonnée que Thérèse ne fût pas venue la saluer avant son départ, elles
avaient tant discuté de nombreuses fois.
« Les gens sont ainsi,
pensa-t-elle, lorsqu’ils n’ont plus besoin de nous……. »
Vincent Laurent Laborde-Line trouva
étrange de ne pas recevoir de réponse à ses lettres et de ne pas avoir eu un
avis de réception de la somme de deux cents francs qu’il avait fait parvenir à
sa mère, la sachant plus ou moins dans le besoin.
« Elle m’en veut encore », s’était-il
dit avec une pointe de regret.
Et il ne chercha pas plus avant.
Le mystère du silence de Thérèse
Laborde-Line, née Turan, depuis fin juin 1915, trouva son explication quelques
année plus tard, au printemps 1919, dans la petite ville de Vernouillet.
[1] Dans certains journaux de l’époque la concierge de l’immeuble est aussi nommée : Thécharel…..
[2] Thérèse Turan avait vu le jour en Argentine. Je n’ai pu découvrir pourquoi ses parents, Jean Turan et Madeleine Laborde, tous deux originaires du sud-ouest de la France, étaient allés dans ce pays. Avaient-ils émigrés comme beaucoup d’Européens à cette époque, espérant trouver en Amérique du Sud une vie meilleure ?
[3] Malgré des heures de recherches, je ne peux donner aucune information sur la date et le lieu du décès de Adrien Laborde-line.
[4] Aucun nom concernant le monsieur de cette annonce.
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