mercredi 8 décembre 2021

LA BETE HUMAINE

 


 

La fin de Lison

La pauvre Lison n'en avait plus que pour quelques minutes. Elle se refroidissait, les braises de son foyer tombaient en cendres, le souffle qui s'était échappé si violemment de ses flancs ouverts s'achevait en une petite plainte d'enfant qui pleure. Souillée de terre et de bave, elle toujours si luisante, vautrée sur le dos, dans une mare noire de charbon, elle avait la fin tragique d’une bête de luxe qu’un accident foudroie en pleine rue. Un instant, on avait pu voir, par ses entrailles crevées, fonctionner ses organes, les pistons battre comme deux cœurs jumeaux, la vapeur circuler dans les tiroirs comme le sang de ses veines ; mais pareilles à des bras convulsifs, les bielles n’avaient plus que des tressaillements, les révoltes dernières de la vie ; et son âme s'en allait avec la force qui la faisait vivante, cette haleine immense dont elle ne parvenait pas à se vider toute. La géante éventrée s'apaisa encore, s'endormit peu à peu d'un sommeil très doux, finit par se taire. Elle était morte. Et le tas de fer, d'acier et de cuivre qu'elle laissait là, ce colosse broyé avec son tronc fendu, ses membres épars, ses organes meurtris, mis en plein jour, prenait l'affreuse tristesse d'un cadavre humain, énorme, de tout un monde qui avait vécu et d’où la vie venait d’être arrachée, dans la douleur.





Un extrait de la « Bête humaine » d’Emile Zola, celui de la « mort » de la Lison, suite à son déraillement sur la ligne Paris-Le Havre.

Une entrée en matière pour vous annoncer qu’à partir de la semaine prochaine, je vous parlerai des catastrophes ferroviaires !!!



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