L’été avait affiché ses couleurs, en ce mois de juin 1822.
Il
s’annonçait torride.
Le
moindre effort faisait transpirer et l’on craignit la sécheresse.
« I’
faudrait ben un peu d’pluie pour abattre la poussière ! disaient les
ménagères le balai à la main.
- ça pour sûr ! Et ça f’rait pas d’mal au jardin, répondaient
quelques autres, inquiètes de voir dépérir un apport de nourriture non-négligeable.
Dans
les champs, les agriculteurs, soucieux, scrutaient le sol craquelé et le ciel
vide de formations nuageuses annonciatrices de pluie.
Les
conversations tournaient à longueur de temps autour de l’avenir incertain des
cultures, si ce temps se maintenait.
Seuls, les enfants, heureux de cette chaleur, en profitaient pour patauger à
loisir dans l’eau fraîche de la rivière, se moquant bien des recommandations de
prudence de leurs parents.
Dans
les débits de boissons où les hommes se rassemblaient pour partager un verre,
afin de se rafraîchir, l’ambiance était à l’inquiétude.
« Si
les récoltes donnent pas, sûr que les prix vont grimper, et qu’on va
manquer !
- Avec une
chaleur pareille, ça va craquer !
- Faudrait
pas qu’ ça fasse comme l’année dernière !
- ça pour sûr, ce fut l’ déluge !
- J’ y ai
perdu toutes mes récoltes. ça, si
j’ m’en souviens !
- C’est qu’
ça dévalait dru par la côte du Banquet. ça
charriait d’ la boue et d’ la caillasse !
- Que
misère !
Oui,
quelle misère de perdre tous ses biens, tout le fruit d’une année de travail,
mais que faire contre les intempéries ?
Le
mardi 11 juin 1822, la chaleur était intolérable et l’air irrespirable.
Sur
le chemin, un agriculteur, menant son cheval jusqu’à la ferme, rencontra un
voisin. Tous deux se saluèrent et échangèrent quelques mots :
« Alors,
voisin, c’est y vot’ temps ?
L’autre,
sortant un mouchoir de sa poche, s’épongea le front et hocha la tête avant de
répondre :
« ça va changer, pour sûr. L’père m’ la
dit c’ matin. Fils, j’ peux plus m’ bouger, l’ temps est à la flotte. »
Le
cheval se mit à renâcler en tirant sur sa longe.
« J’
l’ crois ben. Regarde c’t animal, il est nerveux comme une jeune mariée,
répondit l’agriculteur.
- Les
poules, c’ matin, renchérit le voisin, grattaient la terre pour chercher la
fraîche et à présent, elles s’ rentrent. Elles sentent que’qu’ chose !
Eh
oui, l’observation de la nature apportait beaucoup. Les anciens avaient, depuis
longtemps, repéré les signes néfastes de la nature, les attitudes des bêtes.
Vers
les quatre heures après midi, le ciel s’assombrit d’un coup. L’atmosphère devint
oppressante.
Les
regards inquiets observaient le ciel devenu de plomb.
Une
brise chaude s’éleva, remplacée peu à peu par des coups de vent de plus en plus
brusques.
Quelques
grosses gouttes tombèrent éparses, soulevant un peu de poussière en éclatant
sur le sol.
Le
ciel se zébra de quelques éclairs. Le tonnerre gronda sourdement dans le
lointain.
Quelques
rafales tourbillonnèrent encore, malmenant les branches des arbres, leur
arrachant des feuilles balayées avant d’atteindre le sol.
Soudain,
un bruit fracassant. Accompagnée d’un coup de tonnerre, la foudre venait
d’atteindre un arbre à l’entrée de la ville, sectionnant une de ses plus
grosses branches qui s’abattit avec fracas. Puis ce fut une trombe d’eau, aux
gouttes lourdes et serrées....
Un
rideau d’eau, cognant les toits, frappant les vitres, accompagné de coups de
tonnerre et d’éclairs. Un cataclysme apocalyptique.
Ce
trop-plein d’eau, ne pouvant être absorbé par la terre, ruisselait, profitant
du moindre passage en pente pour prendre de la vitesse. Ces ruisseaux
bouillonnaient, grossissaient, forcissaient de plus belle, emportaient tout sur
leur passage.
Quelques
passants, surpris par l’averse,
couraient, cherchant l’abri le plus proche. Les autres, protégés,
regardaient impuissants, attendant que le ciel s’éclaircisse. L’estomac serré,
ils évaluaient les pertes que cela allait générer.
« Pas
une année de paix ! se souvenaient les uns, évoquant les années
précédentes.
- ça va t’y durer longtemps c’te vie d’ misère ? pensaient les
autres.
Les
femmes priaient, priaient avec ferveur, quémandant à ce Dieu de miséricorde qui
ne semblait ne pas vouloir l’être en ce moment présent, le privilège de ne pas
être trop touchées par ce désastre.
Combien
de temps dura l’orage ? Peu importe, car pour tous, cela sembla une
éternité.
Lorsque
le ciel se dégagea, enfin, chacun sortit, hébété, encore sous le choc.
L’heure
était maintenant au constat.
Par
la côte du Banquet, en pente accentuée, l’eau avait charrié boue et cailloux
qui s’étaient amoncelés depuis l’embranchement du chemin allant de
La-Haye-Leconte jusqu’à la rue de Beaulieu.
Il
a fallu des bras - mais dans ce cas-là
il y a en avait toujours - pour déblayer trente mètres carrés de caillasse.
Dans
les rues de Beaulieu et de la Ravine, les ménagères nettoyaient, balai à la
main, l’eau mêlée de boue qui avait envahi leur demeure.
La
rivière Eure avait débordé en raison de l’afflux soudain d’eau, inondant les
prairies.
Le
meunier, Pierre Baze, à Folleville, avait subi de lourds dommages. Il avait vu
le courant envahir son moulin, emportant dans sa course folle un grand nombre
d’ustensiles lui servant à l’exercice de son métier. Bringuebalés, chahutés,
ceux-ci avaient été retrouvés dans un tel état qu’ils n’étaient plus
utilisables.
Le
toit de certaines maisons n’avait pas résisté, quelques vitres également.
Les
jardins potagers, prometteurs, furent réduits à néant et bien évidemment les
champs de cultures et les vergers environnants.
L’entraide
fonctionna comme à chaque catastrophe. En pareils moments, les rancunes tombaient,
on se serrait les coudes, et puis, on relevait ses manches, on crachait dans
ses mains et on nettoyait, colmatait, réparait.
Le
lendemain, l’air plus frais laissait penser que la chaleur de l’été deviendrait
plus supportable et que cet épisode orageux n’aurait pas de suite.
Mais
voilà, à peine tout remis en ordre, le dimanche suivant, 16 juin 1822, le
ciel s’assombrit à nouveau et se déversa
en misère. Tout était à refaire.
L’être
humain se sent bien humble devant les forces de la nature !
Ce texte a été rédigé à
partir d’un petit compte-rendu
recueilli dans un des registres de
délibération
du Conseil Municipal de
Louviers.
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