mercredi 1 décembre 2021

Que d’eau ! Que d’eau !

 


L’été avait affiché ses couleurs, en ce mois de juin 1822.

Il s’annonçait torride.

Le moindre effort faisait transpirer et l’on craignit la sécheresse.

 

« I’ faudrait ben un peu d’pluie  pour abattre la poussière ! disaient les ménagères le balai à la main.

-      ça pour sûr ! Et ça f’rait pas d’mal au jardin, répondaient quelques autres, inquiètes de voir dépérir un apport de nourriture non-négligeable.

 

Dans les champs, les agriculteurs, soucieux, scrutaient le sol craquelé et le ciel vide de formations nuageuses annonciatrices de pluie.

 

Les conversations tournaient à longueur de temps autour de l’avenir incertain des cultures, si ce temps se maintenait.


Seuls, les enfants, heureux de cette chaleur, en profitaient pour patauger à loisir dans l’eau fraîche de la rivière, se moquant bien des recommandations de prudence de leurs parents.

 

Dans les débits de boissons où les hommes se rassemblaient pour partager un verre, afin de se rafraîchir, l’ambiance était à l’inquiétude.

 

« Si les récoltes donnent pas, sûr que les prix vont grimper, et qu’on va manquer !

-      Avec une chaleur pareille, ça va craquer !

-      Faudrait pas qu’ ça fasse comme l’année dernière !

-      ça pour sûr, ce fut l’ déluge !

-      J’ y ai perdu toutes mes récoltes. ça, si j’ m’en souviens !

-      C’est qu’ ça dévalait dru par la côte du Banquet. ça charriait d’ la boue et d’ la caillasse !

-      Que misère !

 

Oui, quelle misère de perdre tous ses biens, tout le fruit d’une année de travail, mais que faire contre les intempéries ?

 

Le mardi 11 juin 1822, la chaleur était intolérable et l’air irrespirable.

 

Sur le chemin, un agriculteur, menant son cheval jusqu’à la ferme, rencontra un voisin. Tous deux se saluèrent et échangèrent quelques mots :

« Alors, voisin, c’est y vot’ temps ?

 

L’autre, sortant un mouchoir de sa poche, s’épongea le front et hocha la tête avant de répondre :

« ça va changer, pour sûr. L’père m’ la dit c’ matin. Fils, j’ peux plus m’ bouger, l’ temps est à la flotte. »

 

Le cheval se mit à renâcler en tirant sur sa longe.

 

« J’ l’ crois ben. Regarde c’t animal, il est nerveux comme une jeune mariée, répondit l’agriculteur.

-      Les poules, c’ matin, renchérit le voisin, grattaient la terre pour chercher la fraîche et à présent, elles s’ rentrent. Elles sentent que’qu’ chose !

 

Eh oui, l’observation de la nature apportait beaucoup. Les anciens avaient, depuis longtemps, repéré les signes néfastes de la nature, les attitudes des bêtes.

 

Vers les quatre heures après midi, le ciel s’assombrit d’un coup. L’atmosphère devint oppressante.

Les regards inquiets observaient le ciel devenu de plomb.

 

Une brise chaude s’éleva, remplacée peu à peu par des coups de vent de plus en plus brusques.

Quelques grosses gouttes tombèrent éparses, soulevant un peu de poussière en éclatant sur le sol.

Le ciel se zébra de quelques éclairs. Le tonnerre gronda sourdement dans le lointain.

 

Quelques rafales tourbillonnèrent encore, malmenant les branches des arbres, leur arrachant des feuilles balayées avant d’atteindre le sol.

 

Soudain, un bruit fracassant. Accompagnée d’un coup de tonnerre, la foudre venait d’atteindre un arbre à l’entrée de la ville, sectionnant une de ses plus grosses branches qui s’abattit avec fracas. Puis ce fut une trombe d’eau, aux gouttes lourdes et serrées....

 

Un rideau d’eau, cognant les toits, frappant les vitres, accompagné de coups de tonnerre et d’éclairs. Un cataclysme apocalyptique.

 

Ce trop-plein d’eau, ne pouvant être absorbé par la terre, ruisselait, profitant du moindre passage en pente pour prendre de la vitesse. Ces ruisseaux bouillonnaient, grossissaient, forcissaient de plus belle, emportaient tout sur leur passage.

 

Quelques passants, surpris par l’averse,  couraient, cherchant l’abri le plus proche. Les autres, protégés, regardaient impuissants, attendant que le ciel s’éclaircisse. L’estomac serré, ils évaluaient les pertes que cela allait générer.

 

« Pas une année de paix ! se souvenaient les uns, évoquant les années précédentes.

-      ça va t’y durer longtemps c’te vie d’ misère ? pensaient les autres. 

 

Les femmes priaient, priaient avec ferveur, quémandant à ce Dieu de miséricorde qui ne semblait ne pas vouloir l’être en ce moment présent, le privilège de ne pas être trop touchées par ce désastre.

 

Combien de temps dura l’orage ? Peu importe, car pour tous, cela sembla une éternité.

 

Lorsque le ciel se dégagea, enfin, chacun sortit, hébété, encore sous le choc.

L’heure était maintenant au constat.

 

Par la côte du Banquet, en pente accentuée, l’eau avait charrié boue et cailloux qui s’étaient amoncelés depuis l’embranchement du chemin allant de La-Haye-Leconte jusqu’à la rue de Beaulieu.

 

Il a fallu des bras - mais dans ce  cas-là il y a en avait toujours - pour déblayer trente mètres carrés de caillasse.

 

Dans les rues de Beaulieu et de la Ravine, les ménagères nettoyaient, balai à la main, l’eau mêlée de boue qui avait envahi leur demeure.

 

La rivière Eure avait débordé en raison de l’afflux soudain d’eau, inondant les prairies.

 

Le meunier, Pierre Baze, à Folleville, avait subi de lourds dommages. Il avait vu le courant envahir son moulin, emportant dans sa course folle un grand nombre d’ustensiles lui servant à l’exercice de son métier. Bringuebalés, chahutés, ceux-ci avaient été retrouvés dans un tel état qu’ils n’étaient plus utilisables.

 

Le toit de certaines maisons n’avait pas résisté, quelques vitres également.

Les jardins potagers, prometteurs, furent réduits à néant et bien évidemment les champs de cultures et les vergers environnants.

 

L’entraide fonctionna comme à chaque catastrophe. En pareils moments, les rancunes tombaient, on se serrait les coudes, et puis, on relevait ses manches, on crachait dans ses mains et on nettoyait, colmatait, réparait.

 

Le lendemain, l’air plus frais laissait penser que la chaleur de l’été deviendrait plus supportable et que cet épisode orageux n’aurait pas de suite.

 

Mais voilà, à peine tout remis en ordre, le dimanche suivant, 16 juin 1822, le ciel  s’assombrit à nouveau et se déversa en misère. Tout était à refaire.

 

L’être humain se sent bien humble devant les forces de la nature !

 

Ce texte a été rédigé à partir d’un petit compte-rendu

 recueilli dans un des registres de délibération

du Conseil Municipal de Louviers.

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