jeudi 20 avril 2023

L’aubergiste de Sotteville-lès-Rouen - Neuvième partie : Face à face

 


 



Lorsque Félix Joseph rentra au domicile rue du cimetière, Émilie Adélaïde  s’affairait dans la cuisine. Ce soir-là, autour de la table, s’il n’y avait pas eu les bavardages du père Delmotte et les fous rires de Louis Alexandre et de Élise Albertine, le repas aurait été bien morose.

Émilie Adélaïde  arborait une mine des mauvais jours.

Félix Joseph, taciturne, affichait une attitude détachée et indifférente.

 

Restés seuls, les deux époux se firent face. Les reproches, demeurés jusqu’à présent au bord des lèvres, fusèrent de part et d’autre.

Félix Joseph n’en démordait pas, il voulait que son épouse lui donne ses économies.

 




Pourquoi laisser cet argent dormir alors que nous en avons besoin. Et puis, c’est aussi mon argent. On est marié sous l’ régime de la communauté, lança-t-il.

     Rien ! Tu n’auras rien ! J’va m’en aller. D’ailleurs, tu n’ seras pas longtemps seul, vu qu’ tu cours le cotillon.

     C’est quoi, c’t’ histoire ? Tu partiras point. J’ suis ton mari !

     Pas pour bien longtemps encore !

     Pauvre folle ! j’ saurai bin t’en empêcher.

 

Le ton allait crescendo.

Émilie Adélaïde  finit par lancer ce qu’elle avait sur le cœur depuis bien longtemps :

« Tu veux mon argent et c’est pour ça qu’ tu m’as épousée. Ose dire l’ contraire ! Et moi, oui, pauvre folle, comme tu l’dis si bin, j’ai cru à tes belles promesses. J’ai pas su voir en toi l’homme qu’ t’ étais vraiment. Mais maintenant, j’ vois clair et surtout depuis ma p’tite visite à la gendarmerie ce tantôt. »

 

Félix Joseph resta un moment interloqué. Pour quelle raison son épouse s’était-elle rendue à la gendarmerie dans l’après-midi ?

 

« Ah, tu dis rin, à présent !

     Et qu’est-ce que j’aurai à dire ?

     Je sais pas, moi, t’as pas une p’tite idée ?

     Paroles de femme qui déraisonne, voilà ce que j’ peux dire.

     Et si je te dis : Elise Virginie Lucas. T’as toujours rien à m’ dire ?

     Qui c’est ? J’ connais pas ! Encore une de tes inventions de femme jalouse.

     Folle. Jalouse. En v’là des paroles de tendresse. Bah moi, j’ va t’ dire qui c’est. Elise Virginie Lucas a porté plainte contre toi, car t’as voulu la violer.

     Ah ! En v’là une autre, et bien bonne celle-là ! C’est elle qui m’a fait des avances, et pas qu’un peu. Et après m’avoir émoustillé, elle a fait sa pimbêche.

     Bah voyons ! Bin sûr, tu vas pas avouer, mais moi, j’ la crois cette fille, car j’ me souviens qu’ t’ avais essayé d’ séduire ma fille, afin qu’en j’ dis séduire...

     Et c’est r’parti. Tu m’ fatigues avec tes reproches.

     Des reproches, oui, car moi aussi, j’ suis fatiguée d’ subir tes cris, tes infidélités et tes coups. C’est décidé, j’ va divorcer !

 

La dernière phrase avait à peine franchi le bord de ses lèvres qu’Émilie Adélaïde regretta de l’avoir prononcée. La colère fait dire des mots que la raison aurait retenus.

Un silence pesant suivit.

Attendant quoi.....

Les coups assurément pleuvant sur Émilie Adélaïde.

Quant à Félix Joseph, il réfléchissait.

« Elle veut divorcer. A-t-elle déjà fait les papiers nécessaires ? Si c’est l’ cas, ça doit pas être d’puis longtemps. Il m’ reste alors que peu de temps pour mettre main basse sur son magot. » 

 

Le lendemain matin, le père Delmotte qui logeait dans la mansarde se leva comme à son habitude, à cinq heures. En arrivant dans le couloir du premier étage, il vit que le plancher commençait à brûler, juste devant la porte du petit cabinet servant de chambre à coucher à la petite Élise Albertine. Il se précipita pour chercher un seau qu’il remplit d’eau avec laquelle il s’empressa de circonscrire le début d’incendie.

Plus de peur que de mal !

Il lui fallait, à présent, relater le fait à ses logeurs.

Au rez-de-chaussée, le café était désert et encore plongé dans le noir. Les volets n’avaient pas encore été ôtés.

Pourtant, Émilie Adélaïde  se levait de bonne heure pour ouvrir le commerce afin d’accueillir les ouvriers partant embaucher.

 

Ce fut à ce moment qu’entra, en provenance de la petite cour à l’arrière de la maison, Félix Joseph Alavoine.

 

 

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