Lorsque Félix Joseph rentra au
domicile rue du cimetière, Émilie Adélaïde
s’affairait dans la cuisine. Ce soir-là, autour de la table, s’il n’y
avait pas eu les bavardages du père Delmotte et les fous rires de Louis
Alexandre et de Élise Albertine, le repas aurait été bien morose.
Émilie Adélaïde arborait une mine des mauvais jours.
Félix Joseph, taciturne,
affichait une attitude détachée et indifférente.
Restés seuls, les deux époux se
firent face. Les reproches, demeurés jusqu’à présent au bord des lèvres,
fusèrent de part et d’autre.
Félix Joseph n’en démordait pas,
il voulait que son épouse lui donne ses économies.
Pourquoi laisser cet
argent dormir alors que nous en avons besoin. Et puis, c’est aussi mon argent.
On est marié sous l’ régime de la communauté, lança-t-il.
— Rien ! Tu n’auras
rien ! J’va m’en aller. D’ailleurs, tu n’ seras pas longtemps seul, vu qu’
tu cours le cotillon.
— C’est quoi, c’t’ histoire ?
Tu partiras point. J’ suis ton mari !
— Pas pour bien longtemps
encore !
— Pauvre folle ! j’ saurai bin
t’en empêcher.
Le ton allait crescendo.
Émilie Adélaïde finit par lancer ce qu’elle avait sur le cœur
depuis bien longtemps :
« Tu veux mon argent et
c’est pour ça qu’ tu m’as épousée. Ose dire l’ contraire ! Et moi, oui,
pauvre folle, comme tu l’dis si bin, j’ai cru à tes belles promesses. J’ai pas
su voir en toi l’homme qu’ t’ étais vraiment. Mais maintenant, j’ vois clair et
surtout depuis ma p’tite visite à la gendarmerie ce tantôt. »
Félix Joseph resta un moment
interloqué. Pour quelle raison son épouse s’était-elle rendue à la gendarmerie dans
l’après-midi ?
« Ah, tu dis rin, à
présent !
— Et qu’est-ce que j’aurai à
dire ?
— Je sais pas, moi, t’as pas une
p’tite idée ?
— Paroles de femme qui déraisonne,
voilà ce que j’ peux dire.
— Et si je te dis : Elise
Virginie Lucas. T’as toujours rien à m’ dire ?
— Qui c’est ? J’ connais
pas ! Encore une de tes inventions de femme jalouse.
— Folle. Jalouse. En v’là des
paroles de tendresse. Bah moi, j’ va t’ dire qui c’est. Elise Virginie Lucas a
porté plainte contre toi, car t’as voulu la violer.
— Ah ! En v’là une autre, et
bien bonne celle-là ! C’est elle qui m’a fait des avances, et pas qu’un
peu. Et après m’avoir émoustillé, elle a fait sa pimbêche.
— Bah voyons ! Bin sûr, tu vas
pas avouer, mais moi, j’ la crois cette fille, car j’ me souviens qu’ t’ avais
essayé d’ séduire ma fille, afin qu’en j’ dis séduire...
— Et c’est r’parti. Tu m’ fatigues
avec tes reproches.
— Des reproches, oui, car moi
aussi, j’ suis fatiguée d’ subir tes cris, tes infidélités et tes coups. C’est
décidé, j’ va divorcer !
La dernière phrase avait à peine
franchi le bord de ses lèvres qu’Émilie Adélaïde regretta de l’avoir prononcée.
La colère fait dire des mots que la raison aurait retenus.
Un silence pesant suivit.
Attendant quoi.....
Les coups assurément pleuvant sur
Émilie Adélaïde.
Quant à Félix Joseph, il
réfléchissait.
« Elle veut divorcer. A-t-elle
déjà fait les papiers nécessaires ? Si c’est l’ cas, ça doit pas être d’puis
longtemps. Il m’ reste alors que peu de temps pour mettre main basse sur son
magot. »
Le lendemain matin, le père
Delmotte qui logeait dans la mansarde se leva comme à son habitude, à cinq
heures. En arrivant dans le couloir du premier étage, il vit que le plancher
commençait à brûler, juste devant la porte du petit cabinet servant de chambre
à coucher à la petite Élise Albertine. Il se précipita pour chercher un seau
qu’il remplit d’eau avec laquelle il s’empressa de circonscrire le début
d’incendie.
Plus de peur que de mal !
Il lui fallait, à présent,
relater le fait à ses logeurs.
Au rez-de-chaussée, le café était
désert et encore plongé dans le noir. Les volets n’avaient pas encore été ôtés.
Pourtant, Émilie Adélaïde se levait de bonne heure pour ouvrir le
commerce afin d’accueillir les ouvriers partant embaucher.
Ce fut à ce moment qu’entra, en provenance
de la petite cour à l’arrière de la maison, Félix Joseph Alavoine.
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