Aussitôt le jugement aboutissant
à sa condamnation à la peine de mort, Marie Éloïse Chauvet demanda audience aux
magistrats.
Pour quelle raison ?
Pour préciser que, bien
évidemment, elle avait mis le poison dans la nourriture de son père, mais
qu’elle ne l’aurait pas fait, si son époux Alexandre Frédéric Brard, ne lui
avait pas procuré les dits poisons, à savoir, l’acide chlorhydrique et
l’arsenic.
De ce fait, cet époux n’avait-il
donc pas été la main armée de ce meurtre ?
N’était-il pas complice de ce
parricide ?
Ce revirement était-il une
manœuvre demandée par son avocat ?
Et voilà, en ce 28 février 1877,
Alexandre Frédéric Brard assis sur le banc des accusés de la cour d’assises de
Rouen, face à ses juges.
Brun et de haute stature, il
avait une attitude humble et modeste et un regard vif et expressif. Il répondit
aux questions d’une voix claire.
Alexandre Brard expliqua qu’il avait épousé Marie Éloïse Chauvet le 16
mai 1870 et qu’il vivait en bonne intelligence avec son beau-père. Il ne cacha
pas que l’argent manquait souvent dans son foyer et que son épouse attendait le
décès de son père afin de pouvoir hériter.
Elle évoquait souvent cette
disparition qui tardait à venir et pensait, de ce fait, à donner un petit coup
de pouce au destin.
Il avoua s’être lui-même procurer
les deux poisons, mais sans croire que son épouse pourrait s’en servir.
« Ils étaient là, en haut d’un
placard. J’ les avais apportés pour avoir la paix, mais je ne pensais pas que
Marie s’en servirait. Pour moi, c’était paroles en l’air.
-
Pourtant, vous avez
demandé à plusieurs personnes de se charger de faire disparaître votre
beau-père. Des témoins l’ont confirmé, comme M. Michel[1]...
qui tient le Mont-de-Pitié où vous laissiez régulièrement divers objets en
gage. Votre femme avait aussi contacté un de vos cousins éloignés, vivant à
Fontaine-le-Bourg, lui proposant de l’argent pour faire le coup.
-
Je pensais que tout
cela était paroles en l’air..... j’ voulais la paix, que les plaintes de ma
femme s’arrêtent. J’ voulais qu’elle se taise et j’ pensais qu’avec les poisons,
là, à portée de main.....
-
Mais sans le poison
que vous avez apporté dans votre maison, ce désir de voir disparaître Monsieur
Chauvet père ne serait resté que paroles à l’air, justement....
Louise Julien, la dernière fille
de Marie Éloïse Chauvet, belle-fille de l’accusé, vint témoigner à la barre,
elle dit simplement :
« Le père Chauvet, il était
pas toujours de bonne humeur. La femme Brard ne l’aimait pas et souhaitait sa
mort. C’est elle qui menait le ménage !»
Un témoignage bref dont les
paroles révélèrent un total détachement vis-à-vis de son grand-père et aussi de
sa mère qu’elle nomma « femme Brard ». La dernière phrase
« c’est elle qui menait le ménage » n’était-elle pas une manière
d’innocenter son beau-père qui face à sa mère n’avait pas droit au
chapitre ?
Montrait-elle aussi, Louise, que
le ménage de sa mère et son beau-père n’allait pas vraiment bien ?
Monsieur Chrétien, substitut du
procureur général, réclama au jury une condamnation exemplaire.
Maître Henri Vermont, avocat de l’accusé,
plaida l’acquittement.
Chacun sa mission.
Alexandre Frédéric Brard fut
condamné aux travaux forcés à perpétuité.
-=-=-=-=-=-
Deux documents donnent quelques
renseignements supplémentaires concernant Alexandre Brard :
·
la fiche individuelle
du registre d’écrou de Rouen
·
la fiche de bagne
Commençons pas la fiche du
registre d’écrou. Elle nous apprend :
Brard Alexandre Frédéric
Fils de Victor et Clémence
Ancourt
Né le 3 janvier 1841
Domicilié à Déville-lès-Rouen
Charpentier
37 ans – 1 m 73 – cheveux châtain
– front découvert – yeux gris.
Une tache de rousseur sur le nez
– une cicatrice annulaire de la main droite – une cicatrice poignet gauche.
Entré le 25 janvier 1877.
Ce jour-là, il était vêtu
de :
Un chapeau de soie – un pardessus
en drap bleu – un gilet de velours noir pointillé de vert – un pantalon de drap
gris – une chemise en toile - une cravate noire – des bottes.
Il est noté que le 25 janvier
1877, il avait été remis par le sieur Pinguet, gendarme.
« Remis », comme un
objet....
Puis les mentions
suivantes :
Accusé
d’empoisonnement.
Condamné le 28
février par arrêt de la cour d’assises 76 aux travaux forcés à perpétuité.
Transféré à la prison
de Rouen.
Prenons connaissance de la fiche
de bagne, à présent :
Condamné
au bagne en Nouvelle-Calédonie.
Embarqué
sur le Navarin en octobre 1877.
Matricule
9512
Brard Alexandre Frédéric
Ecroué n° 3651
Fils de Simon Victor et Clémence Marie
Rose Hancourt
Né à Mesnil-Panneville (76), le 8
janvier 1841
36 ans
Domicilié à Déville-lès-Rouen
Charpentier
Condamné le 28 février 1877 par
les assises de Rouen pour complicité d’empoisonnement aux travaux forcés à
perpétuité.
Rejet au pourvoi le 23 mai 1877
Ecroué le 11 avril 1877
Autres mentions :
1 m 75 – cheveux bruns – yeux
gris – visage ovale – teint frais.
Signe sur la joue gauche et sur
la droite – une cicatrice au-dessous du téton gauche – une grande cicatrice sur
le bras droit.
Marié à Héloïse Chauvet
Catholique.
Illettré.
En ce qui concerne l’état-civil,
ce n’est pas très rigoureux.
Peu précis également la taille du
condamné.
Quant aux signes particuliers,
ils ne sont absolument pas identiques.
Alexandre Brard avait donc fait
appel, puisqu’il y avait eu « rejet au pourvoi ».
Dernier renseignement concernant
Alexandre Frédéric Brard :
Décédé le 18 janvier 1899.
[1] Dans le compte-rendu du procès du Journal de Rouen, il
n’est mentionné que le prénom « Michel », sans nom de famille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.