La
cloche de la porte d’entrée retentit avec insistance.
« C’est-y
pas possible, ronchonna Milleret, le portier, i’ peuvent pas laisser les braves
gens dormir ? »
Il
se leva en traînant la jambe et se dirigea vers l’entrée de l’hospice. La nuit
était chaude en ce début d’été, une belle nuit étoilée.
Derrière
la porte, il crut percevoir les vagissements d’un nouveau-né. Ne se fiant pas à
ses oreilles qui, en raison de son âge avancé, lui jouaient parfois des tours,
il alla quérir Jean Baptiste Piéton, l’économe de l’établissement.
« Lui
au moins, pensa tout haut le portier, il saura quoi faire ! »
L’économe
était encore dans son bureau, travaillant à équilibrer les comptes de
l’hospice. La maladie ! L’indigence ! On ne pouvait pas rester
indifférent, mais l’aide avait un coût et les finances étaient les finances et
elles avaient un fond.
« Alors,
Père Antoine, pas encore couché, lança-t-il en voyant l’homme entrer dans son
bureau après y avoir été invité.
— J’voudrais
ben, M’sieur, mais c’est que j’crois qu’il y a un problème à la petite porte.
— Quel
problème peut-il y avoir, Père Antoine, par une nuit pareille et à plus de dix
heures. Ce ne doit pas être bien important.
Se
levant de sa chaise, Jean Baptiste Piéton accompagna Antoine Milleret qui,
encore tout essoufflé, peinait à le
suivre.
Arrivant
à la petite porte, l’économe ne put que confirmer :
« Eh
bien, Père Antoine, vous avez encore les oreilles sûres ! »
Puis,
prenant un trousseau de clefs dans la poche de sa veste, il chercha un instant
la bonne clef qu’il introduisit, sans tarder, dans la serrure.
La
porte s’ouvrit avec un bruit plaintif sur un amas de linges posé à même le sol
et qui contenait un nouveau-né gesticulant et vociférant.
Après
avoir jeté un regard alentour et ne voyant âme qui vive, Jean Baptiste Piéton
ramassa le bébé, referma la porte et se dirigea vers l’hospice afin d’examiner
d’un peu plus prés ce bambin abandonné aux bons soins de la communauté.
Lorsqu’il
pénétra dans la salle de soins, une religieuse vint à sa rencontre.
« Regardez
ma sœur, dit l’économe, ce qui vient d’être déposé devant notre porte.
— Sainte-Vierge !
s’exclama la religieuse en prenant le bébé dans ses bras, encore un petit
malheureux. Que Dieu le prenne en sa sauvegarde !
— En
attendant, ma Sœur, il serait bien de savoir si ce petit est en parfaite santé
et lui donner quelques soins. Nous trouverons peut-être quelques indices sur
son identité dans ses langes. Les mamans n’abandonnent pas toujours de gaieté
de cœur et elles souhaitent laisser au moins le prénom qu’elles ont donné à
leur enfant.
La
religieuse dévêtit l’enfant, à la recherche de la moindre indication. Elle lui
ôta son bonnet d’indienne à petits
dessins rouges et blancs, garni de mousseline et de dentelle, puis son lange en
laine « rempiesté » avec des bouts d’étoffe d’origines variées, sa brassière cousue avec des morceaux
d’indienne de différentes couleurs et sa couchette faite d’un mouchoir à
carreaux rouges.
« La
mère ne devait pas être bien riche, car le linge présente une grande misère, constata la religieuse.
Sans doute une pauvre fille qui n’était pas mariée ! »
Le
petit n’avait aucune trace de maltraitance. Bien constitué quoique un peu
maigrichon, il ne paraissait pas malade. L’examen révéla qu’il s’agissait d’un
petit garçon, âgé de tout juste un mois.
« Vous
avez raison, Monsieur Piéton, dit la Sœur, regardez, il a autour du cou un
ruban auquel est accroché un carton mentionnant ses prénoms.
— Aucun
autre indice ?
— Non. Il a
été prénommé Philippe Achille et il est précisé qu’il a reçu le baptême.
Les
linges ne révélant rien d’autre, le nourrisson fut revêtu, nourri et déposé
dans un berceau où il passa la nuit.
L’économe
savait qu’il devait déclarer sa découverte à la mairie. La nuit était bien
avancée, il verrait cela le lendemain matin.
Ce
fut vers dix heures du matin que Jean Baptiste Piéton, accompagné d’Antoine
Milleret et portant le précieux colis, se présenta à l’Hôtel de ville de
Louviers.
Après
un échange de banalités tournant autour du temps, de la misère du monde et des
soucis personnels, l’officier d’Etat Civil de garde, Louis Le Couturier,
demanda, désignant du menton le « petit paquet de linges » :
« Alors,
que m’apportez-vous là ?
— Encore un
enfant abandonné.
Et
l’officier d’Etat Civil qui ne pouvait établir d’acte sans avoir constaté de
visu, fit déshabiller l’enfant pour attester du sexe et examina le carton qu’il portait au cou et qui indiquait ses
prénoms.
Après
quoi, il établit un acte en bonne et due forme, avant de le recopier sur le
registre d’Etat Civil des naissances.
« Bon,
maintenant que tout est en ordre, je vous laisse le marmot, conclut-il, il ne
reste plus qu’à le déposer à la Maison des Enfants Trouvés et Abandonnés de la
ville d’Evreux où il rejoindra tous ces petits dont on n’a pas voulu. La seule
chose que je lui souhaite, c’est de trouver une maison honnête qui le prenne
comme apprenti, au moins, il aura un semblant de famille et apprendra un
métier. »
L’économe
hocha la tête en signe d’approbation, reprit le petit Philippe Achille.
Le
lendemain, 22 juin 1832, muni de tous les documents tamponnés par l’Officier
d’Etat Civil et en raison de l’article 58 du Code Civil, il le conduisit à
Evreux. Sur le chemin du retour, il essaya de se souvenir du nombre d’enfants
qu’il avait ainsi accompagnés. Trop sans doute.
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