mercredi 6 décembre 2023

Le quartier de la rue de Beaulieu à Louviers



 Ce fut, peu après seize heures, que Marguerite Heurtematte, épouse de Benjamin Lequeu, chercha son fils.

« Où il est encor’ celui-là, dit-elle en soupirant.

Elle confia à son fils aîné, Jacques Lambert, âgé de tout juste de neuf ans, la garde de ses petits frères et sortit dans la cour.

Personne !

Elle parcourut la rue, questionnant voisins et passants, mais personne n’avait aperçu le petit Charles Stanislas.

La peur commença à l’envahir. Elle courut chez sa sœur qui demeurait, non loin de là, dans la même rue.

« T’as vu Stanislas ? questionna-t-elle d’une voix haletante, empreinte de panique.

        Non ! Pourquoi ?

        C’est que j’ le trouve point !

 

Prévenus, les voisins et amis s’investirent dans la recherche du garçonnet, parcourant la ville, inspectant le moindre recoin.

Tous les endroits y passèrent, même les plus invraisemblables.

Pensez, un petit de trois ans, ça peut se faufiler partout !

Oui, mais même après toute cette énergie déployée, l’enfant restait introuvable.

Les investigations cessèrent lorsque la nuit se fut installée.

Quelques proches restèrent avec les parents, par solidarité, mais ils savaient bien que leur présence n’apaiserait pas leur angoisse.

Chacun essayait de se rassurer, pensant, sans trop y croire :

« On le retrouvera demain. Il s’est sûrement endormi dans un coin. »

 

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Thomas Benjamin Lequeu avait épousé, le 9 septembre 1813, Marie Élisabeth Heurtematte.

Les naissances s’étaient enchaînées, ne laissant aucun répit à l’épousée.

-      Jacques Lambert vit le jour, le 4 mars 1816.

-      Xavier Adolphe suivit, le 8 avril 1818.

-      Tranquille fit son entrée au foyer, le 29 septembre 1820.

-      Xavier Adolphe remplaça, le 15 janvier 1825, son frère décédé le 11 avril 1821, dont il reprit les prénoms.

-      Charles Stanislas montra son petit nez, le 13 janvier 1824.

-      Désiré Alphonse, survint dix-huit mois plus tard, le 7 juin 1825.

 

Au moment de ce pénible événement, en juin 1827, il y avait, au foyer Lequeu, cinq garçons.

À chaque nouvelle grossesse, Marie Élisabeth, épuisée,  espérait que ce serait enfin une fille.

Mais non, à chaque fois, la matrone clamait en recevant le nourrisson :

« Encore un beau garçon ! »

Thomas Benjamin, lui, semblait ravi de cette ribambelle de petits gars :

« Une fille, c’est fragile, j’ saurai trop quoi faire avec elle ! »

 

Les habitants de cette partie de la rue Beaulieu où se trouvait la demeure des Lequeu, puisaient l’eau nécessaire à leur quotidien au puits appartenant au sieur Pelet[1].

Ce point d’eau se situait au fond d’une allée étroite, tournante et très sombre. Sans protection aucune, il présentait, au ras du sol, un trou béant ouvert sur les entrailles de la terre.

Personne n’avait jamais pensé à le fermer, ne serait-ce que par quelques planches.

 

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Lorsqu’elle alla puiser de l’eau, le lendemain matin, une habitante du quartier fut surprise de ne pas entendre le bruit habituel du seau frappant l’eau en éclaboussures. Le bruit était mat. De plus, le récipient remontait vide.

Que se passait-il ?


Elle relança le seau aussitôt et fit le même constat. Le puits semblait obstrué par quelque chose.

Elle poussa un cri de bête blessée. Ses mains tremblaient, ses jambes se dérobaient.

« Mon Dieu, et si c’était …. ». pensa-t-elle sans oser aller plus avant dans sa réflexion.

Lâchant son seau, elle partit en courant chercher de l’aide.

 

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Quand le corps fut repêché, le docteur Goubert vint constater le décès, nullement dû à de mauvais traitements. L’enfant était bien mort noyé, après sa chute.

« ça devait arriver ! » était la réflexion commune lorsque le petit corps aux lèvres bleuies, au teint blafard  de Charles Stanislas[2] fut extrait du puits.

-      Pauvre petit ange ! pensèrent certains, compatissants.

-      Cela fera un malheureux de moins ! déclarèrent quelques autres, fatalistes, résignés.

-      C’est y pas malheureux ! s’exclama-t-on encore.

Phrases redites encore et toujours lorsqu’un accident survenait. Les mêmes phrases, car il faut bien dire quelque chose dans ce cas-là. Mais que dire, en fait, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant !

Quelques accusations fusèrent en direction de la pauvre mère, éplorée, effondrée.

« Quand on a des gosses, on les surveille ! »

À quoi, il était répondu :

-      Quand on en a plusieurs, pas facile d’avoir les yeux partout !

Ou encore

-      ça a vite fait, d’fair’ un tour, un marmot !

 

Quelle douleur pour les parents ! Douleur d’autant plus intense qu’elle ravivait un autre souvenir, de même nature, survenu en avril 1821. Oui, ils avaient déjà dû faire le deuil du petit Xavier Adolphe, disparu au même âge, trois ans.

Décidément, le sort s’acharnait sur eux.

 

Marguerite Heurtematte, les yeux dans le vide, se berçait en serrant contre elle, Désiré Alphonse, son dernier-né, âgé de deux ans. Elle ne voulait pas le lâcher.

Non, celui-là, la mort ne lui ravirait pas, ni avant, ni après ses trois ans.

 

Cherchant à reconstituer le déroulement des heures précédant le drame, la maréchaussée, aidée des habitants du quartier, arriva à l’explication suivante, avant de clore le dossier :

Charles Stanislas était un enfant très vif. Il ne restait pas en place. Ce jour-là, il avait sûrement, comme cela lui était déjà arrivé, décidé de se rendre, seul, chez sa tante, non loin de là. Oui, mais voilà, croyant prendre le bon chemin, il avait emprunté la petite allée qui devait le mener vers son funeste destin.

 

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Monsieur le Maire prévenu de l’effroyable événement se rendit sur place.

« Les puits ! s’exclama-t-il furieux, cela fait pourtant un bon moment que leur protection a été légiférée. Combien faudra-t-il encore de drames pour que les propriétaires daignent, enfin, faire les travaux nécessaires ?! »

 

En effet, il n’avait pas tort, Monsieur le Maire, des lois, il y en avait eu, de mémoire, comme cela, la plus ancienne remontait bien au 20 janvier 1727[3].

Mais rien n’avait été fait !

 

 

Le Sieur Pelet, demeurant rue de Beaulieu, propriétaire du puits, reçut de la mairie un courrier daté du 5 juillet 1827, lui intimant l’ordre de réaliser, sans délai, les travaux conformes à la sécurité : une margelle  autour du point d’eau et la pose d’une porte fermant à clef, pour en empêcher l’accès  aux jeunes enfants.

Une vérification de tous les puits de la ville fut également entreprise.

Malheureusement, d’autres accidents semblables survinrent bien après ce 20 juin 1827.

 

Marie Élisabeth Heurtematte mit au monde un petit Georges Benjamin, l’année suivante, le 20 mai 1828.

Oui, encore un garçon ! Mais, peu importait, du moment qu’il grandissait bien.

 



[1] Plusieurs orthographes concernant le sieur Pelet qui fut également appelé Lepeley. Aucune mention précisant son prénom.

[2] Charles Stanislas Lequeu est décédé le 20 juin 1827.

[3] Il y eut d’autres textes de loi,  le 15 mai 1734, le 15 novembre 1781…….

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