mercredi 20 décembre 2023

Le cantonnier de Louviers

 

Cela faisait combien de temps déjà ?  Un an, deux ans ?

Pourtant, cela avait fait grand bruit à l’époque !

Oui, cela devait faire deux années, déjà !  Le temps passait si vite !

 D’abord, on chercha partout où le disparu allait fréquemment, pour retracer son dernier itinéraire. On fouilla la forêt environnante, une mauvaise rencontre étant toujours possible. On sonda les eaux des bras du cours d’eau, une chute étant toujours également possible.

 Rien !

 La maréchaussée enquêta, posant question sur question, multipliant les investigations.

Au fil du temps, sans résultat, les recherches furent interrompues. Non que l’on était devenu indifférent à cette étrange disparition, mais à quoi servait de repasser sans cesse aux mêmes endroits, déjà minutieusement inspectés ?

 

Régulièrement, le nom de Pierre Lefebvre revenait au fil des conversations, car cet ancien cantonnier était très estimé de tous.

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 Les trois compères, Gibout, Botte et Lequeu, depuis quelque temps, travaillant dans le bois du Deffend, passaient souvent devant le puits Cornier, puits réputé dangereux, car à ciel ouvert sans protection et d’une extrême profondeur.

 

Ne disait-on pas aussi, mais on dit tant de choses, que ce puits était l’aboutissement  d’un souterrain partant de l’église Saint-Germain  et parcourant le sous-sol de la ville.

 

Chacun y allait à plaisanter, car c’était bien là, selon leur humour un peu noir, un moyen radical  de se débarrasser d’une personne encombrante.

« Hop, par-dessus bord, ni vu, ni connu ! »

 Leur imagination un peu débordante fit son chemin jusqu’au jour où la conversation tournant encore autour de ce lieu, ils décidèrent d’aller y jeter un coup d’œil.

Penchés au-dessus de la margelle au ras du sol, ils ne purent, tout d’abord, rien voir. Le fond du puits plongé dans une obscurité intense ne voulait rien dévoiler. Leurs yeux s’habituant peu à peu, ils distinguèrent ombres et formes.

 

« Et si il y avait un trésor ? dit Botte qui se voyait ainsi devenir riche.

— Endroit idéal pour le dissimuler, confirma  Lequeu, mais peu facile d’accès pour prélever de quoi faire les achats au marché chaque semaine.

 

Tout à coup, Gibout qui avait gardé le silence jusque-là, s’écria :

 « Ce n’est pas un crâne, là ?

     Un crâne ? répliquèrent étonnés les deux autres qui auraient nettement préféré que leur compagnon ait aperçu un coffret au couvercle relevé laissant apparaître des pièces de monnaie.

 

Il n’était alors pas question de prendre quelque initiative avant de descendre à la ville pour prévenir le maire, Jean Louis Lambert. Celui-ci, averti, se rendit sur place, mais souhaita, l’affaire étant d’importance, en rendre compte au commissaire de police et au procureur du roi.

 

Toutes les autorisations juridiques en mains, les nommés Gibout, Botté et Lequeu, s’entourant de toutes les précautions nécessaires à leur sécurité, installèrent poulie et chèvre de cordages pour descendre, mais surtout pour remonter, puis une nacelle dans laquelle un des trois hommes prit place tandis que les deux autres actionnaient le système.

 

Grâce à leur audace et leur ingéniosité, il put être mis au jour, comme indiqué dans le procès verbal :

 

« Plusieurs os d’un cadavre, une tête et une mâchoire et différents effets tels que, une paire de sabots, deux boutons d’un gilet avec quelques morceaux de celui-ci, couleur rouge, une cravate de soie, un morceau de bonnet de laine gris où il existait encore des cheveux châtains un peu rouge, plusieurs morceaux de grosse toile qui paraissent être le reste d’une culotte et d’une blaude, d’autres morceaux de toile moins grosse que l’on suppose être d’une chemise.»

 

 Tous ces objets furent déposés au parquet du tribunal de Louviers afin d’être examinés de plus près et de pouvoir, si possible, déterminer l’identité de celui ou celle à qui ils appartenaient.

 Revint alors en mémoire la disparition étrange et inexpliquée de Pierre Lefevre. Et si c’étaient les ossements de l’ancien cantonnier qui venaient d’être découverts ?

Cela éclaircirait l’énigme de sa disparition.

 

En effet, certains qui l’avaient bien connu identifièrent dans les morceaux de tissus, les vêtements portés par le pauvre cantonnier. Cette constatation établie, il n’y eut plus aucun doute, Pierre Lefevre venait d’être enfin retrouvé après deux années.

 

Le 12 septembre 1834, un procès-verbal fut alors établi en bonne et due forme, en présence de monsieur le Procureur du Roi, monsieur le Maire de la ville de Louviers, monsieur Levigneux, Maréchal des logis de la gendarmerie, du sieur Gasse, gendarme et d’un grand nombre d’habitants de la ville dont Ferrand, Gibout, Botté et Picard. Tous signèrent le document.

 

Les ossements du pauvre homme furent ensevelis, au cimetière, après un moment de recueillement.

 Pierre Lefevre, retrouvé, emportait malgré tout avec lui dans la tombe les circonstances de sa mort.

 Accident ou suicide ? Nous ne le serons jamais.

 

Pierre Lefevre, sans plus de renseignements pour faire un peu plus connaissance avec ce que tu as été, tu resteras immortalisé, ainsi que ta profession, dans les paroles et la musique de cette chanson populaire, attachée à la ville : « Sur la route de Louviers. »

 

Alors, repose en paix !

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