mercredi 4 février 2015

ON NE PEUT RIEN POUR LUI



 
Le nommé J Aubert avait échoué à Louviers au moment des moissons, époque où tous les bras étaient les bienvenus.

« Et puis, s’était-il dit, après j’verrai bin. D’ l’ouvrage, j’en trouv’rai bin, ça pour sûr ! »

Il était vrai que dans ce monde, les « journaliers » ne manquaient pas. Cette main d’œuvre, embauchée au jour le jour, lorsque l’emploi ne manquait pas, trouvait toujours de quoi gagner leur pain. Dans le cas contraire, ils étaient les premiers touchés par le chômage.

J Aubert avait quitté sa ville, non loin de Lisieux dans le département du Calvados, et sa famille parce qu’il voulait voir du pays. Mais partout où il passait, le même ennui et la même détresse l’étreignaient. Alors, il se repliait sur lui-même, dans l’incapacité de communiquer. La crise passée, il se persuadait, qu’ailleurs, il irait mieux.

Ce fut ainsi qu’il fut ramassé dans une des rues de Louviers, assis à même le sol, complètement prostré.

Ne sachant de quoi souffrait cet homme inconnu dans la cité, les autorités, prévenues, le menèrent à l’hospice de la ville.
Dans cet endroit, rassuré, J Aubert montra un peu plus d’intérêt à tout ce qui l’entourait.
Les médecins qui l’auscultèrent ne décelèrent aucune maladie physique. Pas violent, il ne présentait, apparemment, aucun signe d’aliénation. Il était atteint, simplement, de grands moments d’abattement le laissant anéanti, perdu au plus profond de lui-même, sans aucune possibilité d’occuper son esprit à quelque tâche que ce fut.
On le voyait alors déambuler dans les couloirs ou les jardins de l’établissement, désœuvré, le regard absent.

« Il faudrait l’occuper, dit un infirmier.
-          Mais à quoi, répondit un autre, il ne peut rester attentif sur un ouvrage que peu de temps.

Et de fait, aussitôt que J Aubert commençait un travail, il s’en détournait très vite, pour errer comme une âme en peine.

La constatation générale qui se dégageait de son attitude était : « Mais il s’ennuie ! »
Oui, il s’ennuyait, mais que faire avec une telle instabilité.
Mes médecins s’interrogeaient. Ils ne pouvaient, à Louviers du moins, lui procurer un traitement efficace. Ailleurs, peut-être ? Mais où ?

Cet homme fut alors jugé incurable et, très vite, sa place dans cet hospice fut remise en question. En effet, l’hospice de Louviers n’était-il pas un lieu de secours pour les infirmes et les vieillards ?

Alors, le maire mis au courant, écrivit au sous-préfet de Lisieux, afin qu’il puisse retrouver, rapidement, la famille du malheureux, expliquant que le nommé J Aubert était soumis, qu’il n’avait donné lieu au plus léger reproche et que ne pouvant prétendre à aucun ouvrage en raison de son état de santé, il se sentirait mieux entouré de l’affection des siens. Seule une chaleur familiale lui apporterait le secours dont il avait besoin pour une prompte guérison.

Trop de pauvres hères se voyaient ainsi recueillis dans les lieux de santé des villes. Celles-ci, ne pouvant supporter le poids financier des soins et de l’hébergement, n’avaient d’autres choix que de les renvoyer dans leur ville d’origine qui devait en supporter la charge.

Comment J Aubert a-t-il fini sa vie ? Assurément dans un endroit où il ne gênait personne. La maladie, qu’elle soit physique ou mentale, isole celui qu’elle frappe.







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