mercredi 18 mars 2015

GROGNARD DE LA VIEILLE GARDE



 
La chaleur était étouffante, même la nuit, elle ne baissait pas. Allongé sur de la paille, jetée à même le sol, dans un hôpital de fortune, Paschal G, inondé de sueur, avait peine à respirer. Dans un semi-inconscient, seule la douleur de ses blessures lui rappelait qu’il était encore en vie.
Autour de lui, ce n’était que gémissements et cris de douleur de ceux qui, comme lui, avaient été atteints par une balle, un éclat d’obus ou un coup de baïonnette.
Une odeur forte et tenace de sang, de sueur, de vomis et d’excréments flottait dans ce lieu mal ventilé, amplifiée par la chaleur torride de ce mois de juillet. Mais, il y avait aussi cette odeur particulière, presque  imperceptible,  celle d’après les affrontements guerriers, celle de la mort.

Les délires fiévreux de Paschal G étaient envahis  par tous les évènements de son vécu des années précédentes. Mais, à présent, son parcours militaire allait prendre fin et il devrait rentrer chez lui, là-haut dans le nord, dans une ville nommée Louviers où il avait vu le jour et où personne ne l’attendait plus.
Pour y faire quoi  d’ailleurs ? N’avait-il pas toujours été soldat ?
Sa seule fierté, à ce jour, était de faire partie de la vieille garde, celle, si chère au cœur de Napoléon le Premier, celle qui en raison de son expérience au combat, se voyait appelée pour conseiller, épauler, renforcer les armées de jeunes recrues.
Il pouvait, Paschal G, être fier de ses treize années de service, toujours partant pour défendre sa patrie.
Et puis, il en avait vu du pays ! Ça pour sûr, il en avait vu !
Et puis, tous ces kilomètres, parcourus, à pied, équipement militaire sur le dos, mal chaussé, mal nourri ! Ah oui, ils avaient bien mérité leur nom, les anciens, car plus d’un « grogner » de mécontentement, mais tous débordaient enthousiasme lorsqu’il fallait agir ! 

Paschal G avait été incorporé au 105ème régiment d’infanterie, le 27 vendémiaire an 12 de la République. Direction l’Autriche pour un baptême du feu des plus réussis. Que de victoires !
Iéna et Auerstaedt, contre les Prussiens, en octobre 1806.
Eylau, contre les Russes, dans le nord de la Prusse-Orientale, le 8 février 1807. Une victoire qui se solda par la mort de nombreux braves, dans les rangs des deux armées.

Son unité s’enfonça alors un peu plus dans les territoires de l’est de l’Europe.
Bataille de Friedland, le 14 juin 1807, sous le commandement de Napoléon[1], le « Petit Tondu », comme ils l’appelaient avec admiration.

Le séjour en Pologne fut une grande épreuve en raison de la température qui y régnait. Au bivouac, le soir, tous, enveloppés de mauvaises couvertures, rassemblés autour des braseros, tendaient les mains vers les flammes.

Son régiment parcourut alors de longues distances jusqu’en Autriche pour aller renforcer les troupes à Wagram, pour une nouvelle victoire, le 6 juillet 1809.

Que de beaux paysages alentour, malgré l’horreur des combats !

Au campement, lorsque le temps était clément, les discussions étaient animées. Des jeux de cartes et de dés, bien que les mises d’argent soient interdites, étaient organisés. Et puis, il y avait les filles qui, à la faveur de la nuit, pénétraient dans les lieux et qui pour quelques sous ou un peu de nourriture, accordaient leurs faveurs aux braves les plus entreprenants et les plus fortunés.

Ensuite, ce fut l’Espagne ! Parmi les effectifs de l’armée de l’ouest, Paschal G avait sillonné ce pays du nord au sud et du sud au nord.

Une multitude de batailles qui s’enchainaient, au cours desquelles, les troupes française essuyèrent plus d’un revers. Pas glorieuse cette campagne d’Espagne ! Meurtrière également !

Les combats n’étaient rien à côté de la résistance de la population qui haïssait, au plus haut point, Napoléon et les Français. Il fallait toujours être sur ses gardes, ne jamais déambuler seul dans les rues et surtout la nuit dans les coins sombres. Il ne fallait faire confiance à personne.
Voilà pourquoi, il avait été blessé dans un guet-apens, le 14 juillet 1812, alors qu’il patrouillait dans les rues de la ville de Bilbao.

Remis de ses blessures, Paschal G quitta l’armée, porteur d’un congé de réforme délivré par le conseil d’administration, le 7 octobre 1812. Il avait trente-deux ans et n’avait connu que la vie militaire. Bien sûr, avant de partir guerroyer, il avait exercé dans une des manufactures de textile de la ville de Louviers, mais pourrait-il reprendre cette activité et rester enfermé dans un espace clos plusieurs heures chaque jour, lui, qui avait parcouru des espaces infinis aussi longtemps ?

La loi du 19 février 1806 allait changer radicalement la vie de ce vieux grognard.

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Réunis en conseil, le 16 novembre 1812, les membres de conseil municipal lovérien venaient de délibérer sur le choix d’une rosière.
Elle se nommait Marie Clotilde G. Agée de dix-huit ans et huit mois, fille de Jacques, décédé le mois précédent, et de Marie Anne L, elle était d’une famille pauvre, mais honnête, et tout comme ses parents dont « elle suivait la trace, elle pratiquait les vertus qui convenaient à une personne de son sexe[2] Elle était donc la candidate idéale.

Tout désignait également Paschal G, en raison de ses faits d’armes, qui étant seul, avait besoin d’un soutien.

Ces deux-là, avaient accepté de s’unir en mariage, moyennant, bien entendu, la dot de six cents francs, accordée à la jeune fille, honorée du titre de « Rosière ».

Sacrebleu, c’était quelque chose cette somme-là !

Les noces furent célébrées, avec emphase, le 6 décembre 1812.

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Paschal et Marie Clotilde eurent trois enfants.

Leur premier-né, Jean Baptiste Paschal, venu au monde un peu plus de neuf mois après leur union, ne vécut que cinq ans et huit mois.

 Jacques fut le second. Il naquit au printemps 1820. Tout juste quatre ans plus tard, Clotilde Désirée montra son petit nez.


Un couple sans histoire, comme tant d’autres : Marie Clotilde, journalière, Paschal, tisserand.
La vie leur avait-elle enlevé leurs rêves ?

Paschal G décéda en 1848, à presque soixante-neuf ans en son domicile, boulevard de Crosne à Louviers. Six mois plus tard, Marie Clotilde ferma les yeux pour ne plus les réouvrir, dans le logement qu’elle occupait, rue Saint-Germain, depuis son veuvage. Elle n’avait que soixante-cinq ans.

La lignée de Paschal et Marie Clotilde prit fin après leurs enfants.

En effet, Jacques, malgré ses deux mariages, décéda en 1873, âgé de cinquante-trois ans, sans avoir eu d’enfant. Il était responsable du bureau de l’octroi qui se situait route de Rouen à Louviers.
Etait-ce avec la dot de rosière de sa mère, mise précieusement de côté, qu’il avait pu s’acheter cette charge ?

Clotilde Désirée, quant à elle, elle ne se maria jamais. Toute sa vie, pour « gagner son pain » ; elle effectua des travaux de couture. Seule et à la limite de l’indigence, elle avait obtenu un logement à l’hospice de Louviers, rue Saint-Jean. Ce fut dans cet établissement qu’elle expira en 1877, au même âge que son frère.






[1] Cette bataille fut suivie du traité de Tilsit (7 juillet 1807) apportant momentanément la paix. Tous les territoires à l’ouest de l’Elbe formeront alors le Royaume de Westphalie dont Jérôme Bonaparte deviendra le monarque. Mais il ya avait un autre foyer de combats à mener, la Campagne d’Espagne, où la France s’enlisait.
[2] Termes du rapport de la réunion.

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