Des
siècles d’empoisonneuses....................
L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 9
L’audience du 14 juillet 1840

Marie Lafarge, en raison d’une mauvaise toux la rendant très faible et
Marie de Leautaud, presque au terme d’une grossesse difficile, malgré leur rôle
important dans cette affaire, avaient annoncé ne pouvoir assister à l’audience.
La séance débuta à onze heures et demie. Elle devait permettre aux
derniers témoins de s’exprimer.
Le brouhaha s’estompa doucement et ce fut dans un silence presque
religieux qu’apparut Marie
Bellac-Devienne, limonadière à Pontoise.
Elle déclara que la bonne de Mlle Capelle avait été envoyée consoler
Etienne Sigisbert soupçonné lors du vol des diamants. Ce garçon suite à cette
malheureuse affaire avait préféré quitter son emploi.
« La bonne de Mlle Capelle a-t-elle dit que sa maîtresse eût volé
les diamants ? demanda le Président.
-
Je l’ai entendu dire, mais pas par elle,
répondit la limonadière.
Il est vrai que les langues se délient, à tort ou à raison, dans ces
cas-là..... Chacun ayant SA vérité !!
Denis Jean, commis de M.
Lafarge.
Cet homme narra qu’au mois de novembre dernier, M. Lafarge lui dit
avoir demandé à sa femme si elle avait des diamants, car il devait couper un
morceau de verre. Celle-ci lui avait répondu affirmativement et qu’elle les
tenait de son père qui lui en avait fait don à l’insu de ses sœurs.
« Mon maître me dit également que son épouse lui avait demandé à
plusieurs reprises de les vendre, ce
qu’il refusa à chaque fois, ne voulant pas la priver de cet héritage. Il me
confia également qu’avant son départ pour Paris, sa femme venait de lui
remettre un billet de 500 F. Il me montra le billet qui portait, je crois, le
numéro 1614 ou 1416. »
Quelle mémoire !!!
Philippe Magnanse, maître
des forges, vint ensuite.
Son maître l’avait appelé juste avant son départ pour Paris, afin de
lui donner quelques instructions. Ne devait-il pas s’absenter un mois au
minimum ?
« J’appris alors que sa femme possédait des diamants, car il me
dit : « J’ai eu une bienheureuse surprise, je demandais un diamant
pour couper du verre, quand ma femme s’écria « Charles, j’en
ai ! ». Eh bien, c’était vrai, et pas qu’un seul et d’une valeur
pouvait aller jusqu’à 30 000 fr. Mon épouse m’a proposé de les
vendre. »
Selon Philippe Magnanse, Madame Lafarge avait même insisté pour que
son mari les vende.
Avant de retourner s’asseoir sur le banc des témoins, Philippe
Magnanse confirma les dires de Denis Jean concernant le billet de 500 fr.
Curieux tout de même qu’un patron parle de ce qu’il possède. Une
confiance en ses employés qui aurait pu lui attirer quelques déconvenues.
Monsieur le Président rappela alors, à la barre, M. Lapeyrière, ami de M. Clavé, déjà entendu la veille.
« Depuis combien de temps connaissez-vous la famille de
Leautaud ?
-
J’ai été mis en rapport avec M. de Leautaud en
janvier dernier.
-
M. de Leautaud vous a-t-il parlé des démarches
faites par Mme Lafarge au sujet du vol ?
-
Oui, en effet, il me dit que l’avocat de Mme
Lafarge devait venir le voir.
Maître Coralli se leva alors et lança :
« La lettre de Maître Bach, date de la fin mars. Il est donc bien
constant que les relations de M. Lapeyrière et de M. de Leautaud ne datent pas
du mois de janvier. »
Maître Coralli, défenseur de Marie Lafarge, poursuivit en accusant
certains journaux de Paris de prendre partie et d’annoncer déjà une
condamnation de sa cliente, mais pas que, non, les articles notent des faits
non connus qui prouveraient une violation des dossiers.
Mais ce qui était pire, des inexactitudes pouvant influencer l’opinion
publique certes, mais aussi les jurés ici présents.
« .....Mais aujourd’hui que je retrouve
ces paroles adressées à la presse d’une manière anticipée et avec une publicité
aussi étendue, j’ai le droit de m’indigner, de protester pour vous. Avocat, lié
par ma profession à la magistrature, car le barreau et la magistrature se
donnent la main, je ne saurais souffrir qu’on puisse impunément dire, écrire, imprimer
qu’avant d’entendre les débats vous ayez fait connaître votre décision.........
Nous sommes sans arme contre de pareilles attaques ! Cependant, je l’ai
dit et je le répète : je ne plaiderai pas ; je vous atteste même tous
que je n’ai pas plaidé, je vous ai présenté la vérité dans les faits, sans
l’accompagner d’aucune réflexion....[1] »
Magistral ! Non ?
Quelle éloquence !
M. Dumont de Saint-Priest, avocat du Roi, prit la parole en commençant
par ces mots :
« Ainsi qu’on devait s’y attendre, la
prévenue s’est retirée de ce débat, renonçant à soulever par une discussion
publique le système de défense qu’elle avait adopté dans l’instruction. Dans
ces circonstances, en présence de ces dépositions où la vérité vous a parlé
hier un si noble, un si touchant, un si énergique langage, nous pourrions nous
dispenser de tout nouveau développement, et, sûr de votre conviction, nous
borner à conclure à la culpabilité de Mme Lafarge, par le motif que les
diamants volés à Busagny ont été retrouvés dans ses mains sans qu’elle pût
justifier de leur possession........[2] »
M. Dumont de Saint-Priest achève son exposé en demandant l’application
du maximum des peines de l’article 401.
L’avoué de la partie civile lit les conclusions suivantes :
« Plaise au tribunal,
Ordonner la restitution de la parure
sus-désignée
Ordonner en outre que le jugement à
intervenir sera, dans l’intérêt desdits requérants et aux frais de ladite dame
veuve Lafarge, imprimé dans tous les journaux de Paris ; que la copie dudit
jugement sera, au nombre de mille exemplaires, affichée soit à Paris, soit dans
les départements, et toujours aux frais de ladite dame veuve Lafarge, desquels
frais les requérants auront le droit de se faire rembourser qu’après leur état
de quittances de leur imprimeur et des huissiers qui auront procédé à
l’apposition des affiches ; condamner enfin ladite dame Marie Capelle,
veuve Lafarge, aux dépens pour tous dommages-intérêts.[3] »
Le tribunal remit au lendemain le prononcé du jugement.
La salle se vida lentement du public, légèrement dubitatif après ce
qu’il venait d’entendre, tandis qu’un groupe s’était formé autour du banc de la
partie civile.
Des discusions animées, des attaques virulentes fusaient de toute
part.
Mais pour Marie Capelle, veuve Lafarge, le verdict était déjà
déterminé.....
Trop de mensonges, trop de changements d’attitudes, trop
d’incohérences, trop de confusions dans les dires des uns et des autres.......
Et surtout dans les divers propos de Marie Fortunée Capelle.
L’audience du 15 juillet 1840
Onze heures et demie, dans la salle d’audience.......
Maître Coralli est seul sur le banc de la partie civile.
Les membres des familles de Leautaud et de Nicolaï, connaissant
d’avance leur victoire, ne s’étaient pas déplacés.
Maître Bach, absent également, parti plaider une autre affaire, à
Limoges.
Les accusations sont rapidement énoncées par un huissier qui acheva
par :
« ..... Par ces motifs, le tribunal,
donnant défaut contre Marie Capelle, veuve Lafarge, .......... la condamne à
deux ans d’emprisonnement...... »
Puis bien évidemment, Marie Lafarge fut condamnée aux dépens, pour
tous dommages-intérêts envers la partie civile.
L’appel demandé par Maître Peyredieu, avoué de Mme Veuve Lafarge, fut
rejeté.
Il ne restait plus qu’à attendre le prochain procès, celui de
l’assassinat par empoisonnement dont Marie Capelle était présumée coupable.
En attendant, de plus en plus faible, la condamnée du fond de sa
prison commençait à écrire « ses mémoires »....
-=-=-=-=-=-=-
Pour revenir sur le procès pour vol, il est bien évidemment impossible
de refaire le procès. Beaucoup de documents pourtant à disposition.
Mais il est parfois difficile de dénouer le vrai du faux.
Attendons le prochain procès qui ne saurait tarder. Gageons toutefois
que nous retrouverons parmi les témoins, grand nombre des accusateurs de celui
de juillet 1840.
D’ailleurs, pour information, le journal de Rouen du 19 juillet
annonçait :
« La famille de Leautaud, devant,
dit-on, figurer comme témoin au procès criminel, se fixe à Brives pour trois
mois : elle vient d’y louer une maison. »
.................. à suivre ......................
[1] Extrait
du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.
[2] Extrait
du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.
[3] Extrait
du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.
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