mercredi 11 décembre 2019

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES EMPOISONNEUSES


Des siècles d’empoisonneuses....................


L'AFFAIRE LAFARGE


Chapitre 9

L’audience du 14 juillet 1840

Toujours beaucoup de monde dans la salle d’audience, d’autant plus, que la conclusion des débats ne tarderait pas.
Marie Lafarge, en raison d’une mauvaise toux la rendant très faible et Marie de Leautaud, presque au terme d’une grossesse difficile, malgré leur rôle important dans cette affaire, avaient annoncé ne pouvoir assister à l’audience.
La séance débuta à onze heures et demie. Elle devait permettre aux derniers témoins de s’exprimer.

Le brouhaha s’estompa doucement et ce fut dans un silence presque religieux qu’apparut Marie Bellac-Devienne, limonadière à Pontoise.
Elle déclara que la bonne de Mlle Capelle avait été envoyée consoler Etienne Sigisbert soupçonné lors du vol des diamants. Ce garçon suite à cette malheureuse affaire avait préféré quitter son emploi.
« La bonne de Mlle Capelle a-t-elle dit que sa maîtresse eût volé les diamants ? demanda le Président.
-          Je l’ai entendu dire, mais pas par elle, répondit la limonadière.

Il est vrai que les langues se délient, à tort ou à raison, dans ces cas-là..... Chacun ayant SA vérité !!

Denis Jean, commis de M. Lafarge.
Cet homme narra qu’au mois de novembre dernier, M. Lafarge lui dit avoir demandé à sa femme si elle avait des diamants, car il devait couper un morceau de verre. Celle-ci lui avait répondu affirmativement et qu’elle les tenait de son père qui lui en avait fait don à l’insu de ses sœurs.
« Mon maître me dit également que son épouse lui avait demandé à plusieurs reprises  de les vendre, ce qu’il refusa à chaque fois, ne voulant pas la priver de cet héritage. Il me confia également qu’avant son départ pour Paris, sa femme venait de lui remettre un billet de 500 F. Il me montra le billet qui portait, je crois, le numéro 1614 ou 1416. »

Quelle mémoire !!!

Philippe Magnanse, maître des forges, vint ensuite.
Son maître l’avait appelé juste avant son départ pour Paris, afin de lui donner quelques instructions. Ne devait-il pas s’absenter un mois au minimum ?
« J’appris alors que sa femme possédait des diamants, car il me dit : « J’ai eu une bienheureuse surprise, je demandais un diamant pour couper du verre, quand ma femme s’écria « Charles, j’en ai ! ». Eh bien, c’était vrai, et pas qu’un seul et d’une valeur pouvait aller jusqu’à 30 000 fr. Mon épouse m’a proposé de les vendre. »
Selon Philippe Magnanse, Madame Lafarge avait même insisté pour que son mari les vende.
Avant de retourner s’asseoir sur le banc des témoins, Philippe Magnanse confirma les dires de Denis Jean concernant le billet de 500 fr.

Curieux tout de même qu’un patron parle de ce qu’il possède. Une confiance en ses employés qui aurait pu lui attirer quelques déconvenues.

Monsieur le Président rappela alors, à la barre, M. Lapeyrière, ami de M. Clavé, déjà entendu la veille.
« Depuis combien de temps connaissez-vous la famille de Leautaud ?
-          J’ai été mis en rapport avec M. de Leautaud en janvier dernier.
-          M. de Leautaud vous a-t-il parlé des démarches faites par Mme Lafarge au sujet du vol ?
-          Oui, en effet, il me dit que l’avocat de Mme Lafarge devait venir le voir.

Maître Coralli se leva alors et lança :
« La lettre de Maître Bach, date de la fin mars. Il est donc bien constant que les relations de M. Lapeyrière et de M. de Leautaud ne datent pas du mois de janvier. »

Maître Coralli, défenseur de Marie Lafarge, poursuivit en accusant certains journaux de Paris de prendre partie et d’annoncer déjà une condamnation de sa cliente, mais pas que, non, les articles notent des faits non connus qui prouveraient une violation des dossiers.
Mais ce qui était pire, des inexactitudes pouvant influencer l’opinion publique certes, mais aussi les jurés ici présents.
« .....Mais aujourd’hui que je retrouve ces paroles adressées à la presse d’une manière anticipée et avec une publicité aussi étendue, j’ai le droit de m’indigner, de protester pour vous. Avocat, lié par ma profession à la magistrature, car le barreau et la magistrature se donnent la main, je ne saurais souffrir qu’on puisse impunément dire, écrire, imprimer qu’avant d’entendre les débats vous ayez fait connaître votre décision......... Nous sommes sans arme contre de pareilles attaques ! Cependant, je l’ai dit et je le répète : je ne plaiderai pas ; je vous atteste même tous que je n’ai pas plaidé, je vous ai présenté la vérité dans les faits, sans l’accompagner d’aucune réflexion....[1] »

Magistral ! Non ?
Quelle éloquence !

M. Dumont de Saint-Priest, avocat du Roi, prit la parole en commençant par ces mots :
«  Ainsi qu’on devait s’y attendre, la prévenue s’est retirée de ce débat, renonçant à soulever par une discussion publique le système de défense qu’elle avait adopté dans l’instruction. Dans ces circonstances, en présence de ces dépositions où la vérité vous a parlé hier un si noble, un si touchant, un si énergique langage, nous pourrions nous dispenser de tout nouveau développement, et, sûr de votre conviction, nous borner à conclure à la culpabilité de Mme Lafarge, par le motif que les diamants volés à Busagny ont été retrouvés dans ses mains sans qu’elle pût justifier de leur possession........[2] »

M. Dumont de Saint-Priest achève son exposé en demandant l’application du maximum des peines de l’article 401.
L’avoué de la partie civile lit les conclusions suivantes :
« Plaise au tribunal,
Ordonner la restitution de la parure sus-désignée
Ordonner en outre que le jugement à intervenir sera, dans l’intérêt desdits requérants et aux frais de ladite dame veuve Lafarge, imprimé dans tous les journaux de Paris ; que la copie dudit jugement sera, au nombre de mille exemplaires, affichée soit à Paris, soit dans les départements, et toujours aux frais de ladite dame veuve Lafarge, desquels frais les requérants auront le droit de se faire rembourser qu’après leur état de quittances de leur imprimeur et des huissiers qui auront procédé à l’apposition des affiches ; condamner enfin ladite dame Marie Capelle, veuve Lafarge, aux dépens pour tous dommages-intérêts.[3] »

Le tribunal remit au lendemain le prononcé du jugement.

La salle se vida lentement du public, légèrement dubitatif après ce qu’il venait d’entendre, tandis qu’un groupe s’était formé autour du banc de la partie civile.
Des discusions animées, des attaques virulentes fusaient de toute part.

Mais pour Marie Capelle, veuve Lafarge, le verdict était déjà déterminé.....

Trop de mensonges, trop de changements d’attitudes, trop d’incohérences, trop de confusions dans les dires des uns et des autres....... Et surtout dans les divers propos de Marie Fortunée Capelle.


L’audience du 15  juillet 1840

Onze heures et demie, dans la salle d’audience.......

Maître Coralli est seul sur le banc de la partie civile.
Les membres des familles de Leautaud et de Nicolaï, connaissant d’avance leur victoire, ne s’étaient pas déplacés.
Maître Bach, absent également, parti plaider une autre affaire, à Limoges.

Les accusations sont rapidement énoncées par un huissier qui acheva par :
« ..... Par ces motifs, le tribunal, donnant défaut contre Marie Capelle, veuve Lafarge, .......... la condamne à deux ans d’emprisonnement...... »

Puis bien évidemment, Marie Lafarge fut condamnée aux dépens, pour tous dommages-intérêts envers la partie civile.

L’appel demandé par Maître Peyredieu, avoué de Mme Veuve Lafarge, fut rejeté.
Il ne restait plus qu’à attendre le prochain procès, celui de l’assassinat par empoisonnement dont Marie Capelle était présumée coupable.
En attendant, de plus en plus faible, la condamnée du fond de sa prison commençait à écrire « ses mémoires »....

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Pour revenir sur le procès pour vol, il est bien évidemment impossible de refaire le procès. Beaucoup de documents pourtant à disposition.
Mais il est parfois difficile de dénouer le vrai du faux.

Attendons le prochain procès qui ne saurait tarder. Gageons toutefois que nous retrouverons parmi les témoins, grand nombre des accusateurs de celui de juillet 1840.

D’ailleurs, pour information, le journal de Rouen du 19 juillet annonçait :
« La famille de Leautaud, devant, dit-on, figurer comme témoin au procès criminel, se fixe à Brives pour trois mois : elle vient d’y louer une maison. »


..................  à  suivre ......................

[1] Extrait du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.
[2] Extrait du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.
[3] Extrait du supplément du journal de Rouen en date du samedi 18 juillet 1840.


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