L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 8
Suite de l’audience du 13 juillet 1840
Après cette petite pause, revenons au déroulement des dépositions des
témoins.....
En commençant par Clémence de
Nicolaï, baronne de Montbreton, sœur de Mme la comtesse de Leautaud.
Cette jeune femme, d’une grâce et élégance sans pareil, s’avança
jusqu’à la barre et déclina son identité comme lui demandait le Président de
séance.
Elle expliqua ensuite qu’elle avait connu l’accusée en 1823, au moment
où elle venait juste de se marier. Puis, elles furent un moment sans se
fréquenter. Ce ne fut que dix années plus tard, en 1833, au moment du décès de
la mère de la jeune fille, qu’elles se revirent.
« C’était alors une jeune fille touchante, précisa-t-elle,
d’autant plus que le chagrin s’était cruellement emparé d’elle. La mort de son
grand-père l’accabla encore plus, à tel point qu’elle en tomba malade. Elle fut
accueillie à Paris, chez sa tante Mme Garat. Ce fut chez Mme Garat que je la
revis plusieurs fois. Elle était toujours couchée et mangeait très peu. A
présent, je pense qu’elle exagérait son mal-être, uniquement pour attirer la
compassion de celui sur lequel elle avait jeté son dévolu et qu’elle souhaitait
épouser. J’en avais d’ailleurs échangé avec son médecin, M. Marjolin, qui
m’avait répondu que son attitude finirait par lui occasionner une maladie
qu’elle n’avait pas. Lorsqu’elle vint chez moi à Corcy, je lui parlai du vol des
diamants dont ma sœur avait été victime, elle parut très détachée. »
Clémence de Montbreton déclara aussi que Marie Fortunée Capelle avait
des comportements étranges.
« Il lui arrivait fréquemment de ne pas descendre au moment des
repas. Elle s’adonnait à des séances de « magnétisme[1] ».
Ce fut d’ailleurs au cours d’une de ces séances, qu’elle affirma que les
diamants avaient bien été volés, par un homme,
que ce voleur avaient démonté les diamants, les avaient vendus, et
qu’ils se trouvaient hors de France. Donnant également la précision suivante :
le voleur est un juif. Je trouvai tout cela bien étrange.»
Comportement étrange ? Marie Fortunée Capelle était-elle une fine
manipulatrice ?
« Que s’est-il passé ensuite ? demanda le Président.
-
A la fin du séjour de Marie, je l’ai découverte
un matin en pleurs dans sa chambre. Elle venait de recevoir un courrier de sa
tante lui demandant de rentrer immédiatement, afin de rencontrer un homme qu’on
voulait lui faire prendre pour époux. Quelques jours plus tard, j’appris que le
mariage ne se faisait pas, mais qu’un jeune et riche maître de forges vivant
dans le Limousin était sur les rangs. Cet homme ne lui plaisait guère, n’était
nullement agréable. Je l’ai encouragée à accepter ce mariage qui se fit très
rapidement. Concernant les diamants, il n’en fut plus question. Toutefois,
les relations entre ma famille et Marie Capelle devenue Marie Lafarge
s’espacèrent.
Comportement étrange ? Pas seulement ! Marie Capelle se
révéla être une affabulatrice experte.
Elle prétendait avoir reçu des cadeaux de différentes personnes et
notamment un bracelet que lui aurait offert le marquis de Mornay, alors que
c’était elle qui avait acheté ce bijou chez M. Meller, bijoutier.
Mensonge découvert, elle avait nié avec aplomb.
Son parrain, M. Braque lui avait envoyé, en présent, une bague en
perle.
Mensonge !
Clémence de Montbreton ajouta :
« Elle disait aussi avoir reçu de ma mère un livre de messe, et
de ma sœur une bague. J’acquis la certitude que tout cela était pure
imagination. »
Toutes ces menteries finirent par attirer sur Marie Fortunée Capelle
les soupçons de tous, concernant le vol des diamants. Le terrible drame de la
mort de Charles Lafarge déclencha, comme nous l’avons vu précédemment,
l’arrestation de la jeune veuve.
Le Président de séance revint sur le premier prétendant de Marie
Capelle :
« Savez-vous le nom du jeune homme qui devait épouser Mlle
Capelle ? Jeune homme auquel elle semblait fort attachée.
-
Oui, c’était M. Charpentier, le fils du général
Charpentier.
Puis se présenta à la barre, Mme Jeanne-Baptiste
Lamette, marquise de Nicolaï, mère de Clémence et de Marie.
Elle raconta les faits commençant par le 9 juin 1839, date à laquelle
sa fille Marie montra ses diamants à Marie Capelle. Le lendemain, elle les
présenta à Mme Nieuwerkerque. Le dimanche suivant, 16 juin 1839, les pierres
précieuses avaient disparu. Les domestiques furent tout d’abord soupçonnés puis
lavés de tous soupçons.
« Il y eut ensuite, poursuivit Mme la marquise de Nicolaï, un
fait étrange. Le mardi soir qui suivit la découverte du vol, Marie Capelle qui
était toujours notre hôte se sentit très mal. Elle avait des vomissements. Elle
dit à sa vieille bonne que c’était en raison des diamants qu’elle avait avalés.
Devant l’air outré de la vieille femme, cette demoiselle s’était mise à rire,
en lui disant que ce n’était qu’une plaisanterie. »
Une plaisanterie de fort mauvais goût, comme la plupart de celles
qu’elle faisait, sans doute afin de rompre la monotonie de son existence.
Mme la marquise, après une légère pause, reprit sa déposition :
« La vieille bonne de Marie Capelle se plaignait beaucoup du
caractère de sa maîtresse. Puis ma fille, Clémence, me parla des séances de
magnétisme. Je ne crois pas en tout cela pour ma part, aussi, j’ai commencé à
penser que le vol avait été opéré par cette Marie Capelle. Je fis part de mes
soupçons à ma famille et conseillai à mon gendre de se rendre à la police et de
tout expliquer. La suite, ma fille Clémence de Montbreton vous l’a expliquée.
Je ne peux que valider ses dépositions. »
Il fut alors question de M. Clavé. La famille de Nicolaï se renseigna,
bien évidemment sur ce jeune homme. L’enquête effectuée par Maître Bac, amena
les réponses suivantes :
M. Clavé était en Afrique. Il était parti de France en 1836 et n’était
revenu qu’en décembre 1839. Après un court séjour à Paris, il était reparti
vers le Mexique.
L’enquête de moralité n’apporta que des éloges sur le jeune homme qui
était incapable de monter un chantage ou tout autre vil trafic.
Après ces révélations, il fallait se rendre à l’évidence, Marie
Capelle avait menti !
Même les avocats de l’accusée, affirmèrent que ce qu’ils avaient
découvert, lors des diverses enquêtes, ne plaidait pas en la faveur de leur
cliente.
Marie de Nicolaï, épouse
Leautaud vint déposer à son tour.
Concernant les diamants volés, elle réitéra les paroles de sa mère et
sa sœur, interrogées juste avant elle. Puis, elle rendit compte des démarches
de son époux afin de faire justice et récupérer les diamants, parla de la
première visite de Maître Bac afin de faire la lumière sur l’affaire, mais
surtout essayer d’influencer les plaignants pour qu’ils retirent leur plainte, mettant
en avant certaines intrigues amoureuses, courriers à l’appui, courriers dont Marie
de Nicolaï n’avait jamais eu connaissance. Elle confirma la seconde visite de
Maître Bac, venant lui demander de bien vouloir signer une déclaration
antidatée au mois de juin 1839, attestant que Marie Capelle lui avait bien
confié les pierres précieuses.
« J’ai refusé de signer le document qui était un faux !
-
Vous n’avez donc pas donné vos diamants en dépôt
à Mme Lafarge ? demanda le président.
-
Assurément non !
Maître Coralli se leva et demanda la parole.
« Mme de Leautaud, voulez-vous donner au tribunal quelques
explications sur vos relations avec M. Clavé ?
-
Je ne connais pas M. Clavé. Je l’ai seulement
rencontré plusieurs fois sur mon passage. Il ne m’a jamais adressé la parole.
J’ai su son nom et sa condition par Marie Capelle. Nous avons fait seulement la
mauvaise plaisanterie de lui écrire une lettre anonyme. Nous lui en avons écrit
une autre pour nous excuser de l’audace de notre premier écrit, et lui demander
le secret. Marie Capelle a poursuivi sa correspondance avec lui, me faisant
remarquer qu’elle s’était compromise pour moi. J’ai vu une fois M. Clavé à
Tivoli, à une fête de charité, nous avons dansé une contredanse ensemble. Il ne
m’a pas dit vingt mots, je lui en ai peut-être répondu dix ! J’ai su par la suite qu’il était parti pour
Alger en 1836 et revenu en novembre 1839, l’année de mon mariage, l’année du
vol des diamants.
-
Mme Lafarge a prétendu qu’elle avait pris les
perles pour se payer de 180 francs que vous lui deviez ?
-
Jamais Mlle Marie Capelle ne m’a rien prêté. Et
pourquoi l’aurait-elle fait ? J’avais à moi, 1 750 francs de rente,
avant mon mariage. Depuis mon mariage, je dispose de notre fortune commune de
3 000 francs de pension.
M. le marquis de Nicolaï
fut ensuite appelé.
Celui-ci précisa que Mlle Capelle fut presque aussitôt soupçonnée
après le vol des diamants. Il confirma les dépositions des précédentes
personnes interrogées.
Rien dans ses dires ne pouvant faire avancer les débats.
Le témoin suivant fut, Mlle
Marianne Delvaux, quarante-et-un ans, ex-gouvernante
de Mlle Nicolaï.
Une femme d’une respectabilité sans conteste.
« Depuis onze années, je n’ai pas quitté Mme de Leautaud, et
pendant tout ce temps, elle n’a rien de caché pour moi. En 1836, Mme de
Montbreton parla avec beaucoup d’éloges de Mlle Capelle et demanda à sa mère et
à sa sœur de la recevoir. Comme cette jeune fille avait eu bien des malheurs,
elle fut reçue avec beaucoup d’égards. Mlle Marie de Nicolaï avait un caractère
doux et facile, un peu influençable, mais aussi d’une grande candeur.
J’accompagnais souvent les deux jeunes filles en promenade, à l’église ou dans
nos courses. J’ai remarqué un jeune homme de tournure distinguée qui se
trouvait souvent sur notre passage. Je ne le vis jamais nous suivre. Un jour,
Mlle de Nicolaï reçut une lettre anonyme qu’elle me montra et montra aussi à
ses parents. Comme Mlle de Nicolaï avait ses œuvres, nous crûmes qu’il
s’agissait là d’un remerciement. En revenant d’une fête de charité à Tivoli,
elle me conta.......... »
Et voilà l’ex-gouvernante racontant la rencontre des « Deux
Marie » avec un jeune homme, leur plaisanterie épistolaire, leurs deux
écrits d’ailleurs, la seconde étant la fameuse lettre d’excuses dans laquelle
chacune des jeunes filles avait noté quelques lignes. Mlle de Nicolaï
regrettait son imprudence, d’autant plus que Marie Capelle lui disait recevoir
toujours du courrier pour elle, dans lequel le jeune homme en question parlait
de suicide, de duel, de visites à
Busagny.
Mlle Marianne Delvaux conclut par :
« Pour ma part, je savais bien que tous les propos de Melle
Capelle étaient exagérés, voire mensongers ».
Qui était ce M. Louis de la
Peyrière qui fut ensuite invité à venir déposer ?
Ce jeune homme, étudiant en droit, était l’ami de toujours de M. Clavé.
Il avoua ne rien savoir au sujet du vol des diamants. Il était
présent, à cet instant dans ce tribunal, pour parler de M. Clavé qu’il avait
rencontré lors d’une conférence littéraire dont il était le président.
« Ce fut à partir de ce moment que nous nous liâmes d’amitié et
nous nous voyions assez souvent. Le Jour de Pâques 1836, nous promenant
ensemble rue d’Angoulême, il me pria d’entrer dans l’hôtel au numéro 10 pour
savoir qui habitait l’endroit. Revenant de la mission, je lui dis qu’il
s’agissait de la famille de Nicolaï. Je lui demandai pourquoi il avait besoin
de ce renseignement, il me répondit qu’il voyait souvent deux jeunes filles
entrer et sortir de cet immeuble et qu’il les voyait souvent à
Saint-Philippe-du-Roule et à la promenade. Il lui semblait, par ailleurs qu’il
ne leur était pas indifférent. Il m’apprit par la suite qu’il avait reçu un
billet, sans signature, l’invitant à une promenade. »
M. Louis de la Peyriere poursuivit, devant la cour, les confidences de
son ami.
« Il n’avait vu qu’une fois Mlle de Nicolaï au Tivoli, juste pour
une contredanse, mais par contre, il avait rencontré de nombreuses fois Mlle
Capelle, notamment au Parc-Mousseaux. »
D’autre part, il confirma le départ de son ami pour l’Afrique le 10
octobre 1836, en qualité de gérant d’une société agricole nouvellement fondée,
fonction qui en plus d’un traitement de 4 000 francs, lui octroyait de
nombreux avantages non-négligeables. Il précisa que son ami n’était rentré en
France que fin 1839.
« Pendant cette période, avez-vous échangé des courriers ?
demanda le Président
-
Oui, monsieur.
-
Dans ces courriers, était-il question de Mlle de
Nicolaï ?
-
Il n’en dit pas un mot. C’est moi qui lui ai
annoncé le mariage de Mlle de Nicolaï. Il ne m’en fit aucun commentaire. Je
suis allé en Afrique lui rendre visite lors de son séjour, lui reparlant de ce
mariage, il ne parut pas du tout ému.
-
Quel genre d’homme est-il ?
-
Un homme parfaitement honorable, plein de
générosité.
-
Savez-vous si il avait des sentiments
religieux ?
-
Il a fait bâtir une église en Afrique et je me
suis associé à cette fondation.
-
A son retour en France, vous a-t-il parlé de Mme
de Leautaud ?
-
Pas une seule fois.
Sigisbert Mariot-Thierry,
aujourd’hui valet de chambre chez M. le directeur de l’Ecole Forestière de
Nancy, âgé de trente ans, fut le témoin suivant.
« A l’époque du vol des diamants, j’étais au service de M.
Nicolaï. Entre le 14 et le 17, monsieur le Marquis vint nous avertir qu’on
avait commis un vol à la maison. Il ajouta que le coupable était parmi nous,
qu’on allait faire une perquisition. Il avait précisé que si le voleur
redonnait les diamants, il se contenterait de le renvoyer de la maison sans en
avertir la police. Je fus interrogé, mais ne pus donner aucun renseignement.
M. Le Comte de Nieuwerberque
vint à son tour devant la cour.
« Je suis arrivé dans la nuit du 9 au 10 juin à Busagny pour
assister au mariage de Mlle de Beauvoir, ma parente. On voulut, le lundi,
comparer les diamants de Mme de Leautaud avec ceux de la mariée. Mme de
Leautaud les descendit. »
Rien d’éclatant dans le dernier témoignage de la journée, si ce n’est la
confirmation que le 10 juin au matin, les diamants n’avaient pas encore disparu.
A bien considérer tout ce qui venait de se dire, rien de favorable à
l’accusée. Il faut préciser toutefois que tous les témoins étaient à
charge !
A cinq heures et demie, l’audience fut levée et renvoyée au lendemain
pour la suite des dépositions, les plaidoiries et le jugement.
La salle d’audience se vida doucement dans un brouhaha de commentaires.
Les lumières s’éteignirent.
Le calme revint.
Gageons que les conversations ce soir-là, dans chacun des foyers des personnes
présentes, tournèrent autour de ce qui avait été dit et entendu au cours de cette
audience......
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