jeudi 6 février 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES


L'AFFAIRE LAFARGE



Chapitre 16

Tulle – 6 septembre 1840 – 9 heures du matin

Les débats commencèrent par la confirmation de l’exhumation du corps de Charles Lafarge.
Il fut également confirmé que les nouvelles analyses des viscères et organes du défunt seraient menées par Messieurs Dubois fils, Lespinas, Massenat, assistés du juge de paix du canton, examens effectués dans la ville de Tulle, en la présence experte de Messieurs Filhol et Fage, éminents pharmaciens de cette ville ; le but final étant de détecter toute sorte de matières vénéneuses.

Après une brève pause, la ronde des témoins recommença.
Monsieur le Baron de Montbreton, appelé à déposer sur cette affaire n’étant pas présent, le témoin suivant fut convié à la barre.
M. de Chauffailles, maître des forges et propriétaire à Chauffailles s’approcha.
Ses paroles ne furent que compliments sur la famille Lafarge, famille des plus honorables.
Madame Lafarge ? Une mère admirable et respectable.
Charles Lafarge ? Un homme actif, intelligent sachant s’occuper de ses affaires qu’il souhaitait faire prospérer au mieux bien qu’étant dans la gêne depuis quelque temps. Son brevet possédait des qualités certaines pouvant rapporter des sommes importantes.

Tout va bien alors !!!......

L’accusation revint sur l’achat d’arsenic et les pharmaciens furent entendus. Encore !!
M. Lafosse père, pharmacien à Brives.
Le 9 janvier, il avait procuré à M. Denis, employé à la forge Lafarge, soixante-quatorze grammes d’arsenic. Ses registres, bien tenus, et nous n’en douterons pas, pouvaient l’attester.
M. Eyssartier, pharmacien à Uzerches.
Le 12 décembre, il avait reçu un billet de Mme Lafarge lui demandant trente-et-un grammes d’arsenic. Puis, le 5 janvier suivant, ce fut une demande pour quatre grammes sur une ordonnance de M. Bardou. Le 12 janvier, il lui fut apporté, par M. Magneaux commis de la forge, un verre contenant un lait de poule sur le dessus duquel se trouvait une poudre blanche qu’il analysa et dont le résultat fit apparaître la présence d’arsenic à l’état métallique, en quantité assez considérable. Le rapport de cette analyse se trouvait, bien évidemment, dans ses registres. Quant au reste de lait de poule, il avait été remis à M. le juge d’instruction.

Vint ensuite à la barre, Jean Denis Barbier, ex-commis de la forge Lafarge qui précisa :
« Le 8 janvier, Mme Lafarge ayant appris que je me rendais à Lubersac me demanda de lui rapporter de l’arsenic, du boudin et des saucisses, ce que je fis, sauf pour l’arsenic que j’ai acheté le 9, à Brives, pour vingt sous chez M. Lafosse. Le 11, devant aller à Tulle, Mme Lafarge me demanda de lui rapporter du boudin, des saucisses, de l’arsenic et une souricière. J’avoue avoir dit à ma femme : « j’ai bien peur que cet arsenic ne serve à faire mourir M. Lafarge ».
Jean Denis Barbier avoua n’avoir jamais donné l’arsenic à Mme Lafarge, craignant qu’elle n’en fasse usage contre son mari qui était déjà très malade.

Denis ou M. Denis ?
Quel était cet homme au service de Charles Lafarge ?
Un homme dévoué à son maître, apparemment.
Comment, où et depuis combien de temps se connaissaient-ils, le sieur Lafarge et lui ?

Ce fut ce que demanda le juge......

Denis Barbier était le vrai nom de cet homme. Pourquoi se faisait-il appeler M. Denis ?
Tout simplement pour tromper les banquiers qui ne le connaissaient que trop bien sous le patronyme de « Barbier ».
Il avait été marchand de liqueurs, rue Mouffetard à Paris, puis, après avoir vendu son commerce, travailla comme employé, rue Bertin Poiré, toujours dans cette ville.
Il avait la fâcheuse habitude de faire des transactions d’argent, transactions financières dans lesquelles était impliqué son beau-frère, un nommé Desprez.
Il avait fait la connaissance de Charles Lafarge, en juillet 1839, lorsque ce dernier négociait un mariage avec l’agence de M. Gautier.
Tous deux avaient sympathisé et comme Charles Lafarge ne s’y connaissait pas trop, Denis Barbier lui avait conseillé les meilleurs agents d’affaires sur la place de Paris, pouvant lui apporter un mariage à sa convenance, entendez par là avec une future épouse bien dotée.
Ce fut ainsi que Denis Barbier le renseigna sur des jeunes filles à marier.
Denis Barbier était donc connu dans la capitale, au point d’obtenir des fonds pour le projet de Lafarge qui, voyant l’efficacité de sa nouvelle connaissance, s’attribua ses services le laissant signer pour lui des billets à ordre de montants élevés avec des frais exorbitants.
Tout cela semblait bien confus, d’autant plus que certains billets se révélèrent faux.

Mais là n’était pas la question, aussi il fut reparlé de l’arsenic acheté et de la mort de Charles Lafarge.
Pas clair non plus, arsenic acheté mais non remis à Mme Lafarge, puis remis tout de même afin de ne pas mécontenter sa maîtresse et ne pas perdre sa place.

Fut alors entendu, Monsieur Louis-Philibert de Chauveron[1], avocat et non moins ami et conseiller de la famille Lafarge.
Un sacré personnage qui allait, par ses déclarations faites sur un ton théâtral et plein d’emphase, faire éclater la joie dans la salle d’audience. Même Marie Capelle-Lafarge qui jouait en ces lieux sa vie ne put s’empêcher d’éclater de rire. Toutes les modulations, allant du grave à l’aigu et inversement, que pouvait produire sa voix furent utilisées, en fonction des moments joyeux ou dramatiques ou des personnes dont ce comédien-né imitait la voix.
On se serait cru au théâtre !!

En ce 6 septembre, la fin de l’audience libéra une foule d’auditeurs heureux du bon moment passé, et sur les marches, au sortir du palais de justice, l’hilarité se voyait encore sur tous les visages.


Le lendemain, 7 septembre, dès le lever du jour, les experts chimistes procédaient à l’exhumation de feu Charles Lafarge.



[1] Louis Philibert de Chauveron : né le 14 juin 1791 à Limoges -  Avocat et jurisconsulte à Brive – maire de Saint-Solve en 1824 – maire de Voutezac en 1827 - dans ses mémoires, Marie Capelle évoque « la gravité austère, la voix de basse-taille, les parole lentes, épurées et sonores, et le pas majestueux » de Louis-Philibert de Chauveron.

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