LES EMPOISONNEUSES
L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 17
Le 7 septembre, reprise de l’audition des témoins......
Marie Raymond, épouse Poutier, âgée de vingt-six ans.
Elle ne fit que répéter ce qu’elle avait entendu de la voix de Marie,
la servante de peine, et d’Alfred, le valet de chambre, tous deux domestiques
au Glandier.
Marie Delon, femme Bonnet, sage-femme à Uzerche.
Elle avait souvent soigné Charles Lafarge pour des crises nerveuses,
mais elle n’était pas intervenue lors de sa fatale maladie.
Jean Garaud, scieur de long.
Il avait appris par Bardon, le valet d’écurie, que Marie Lafarge avait
demandé qu’on achète de la poudre d’arsenic.
[1]Et
de tous ces témoignages, ressortait une histoire bien étrange......
Le paquet de poudre d’arsenic acheté
avait été remis à Alfred, le valet de chambre, qui l’avait donné à Clémentine
Servat, servante au Glandier, qui l’avait déposé dans un vieux chapeau de
feutre, avant d’être enterré dans le jardin.
Le paquet avait été extrait de sa cachette
lors de l’enquête en janvier 1840, mais là, après analyse, ce paquet ne
contenait pas le poison recherché, mais simplement du bicarbonate de soude.
Et le chapeau, il a peut-être eu un
rôle essentiel dans l’affaire.
Voilà pourquoi.
Devant l’affaiblissement de Charles
Lafarge, et pour éliminer le « mauvais sang », coupable de cet état, le médecin posa sur le
cou du malade quelques sangsues.
Lorsque celles-ci furent enlevées,
pour arrêter le sang, il fut appliqué de la bourre de feutre, prise à l’intérieur
du vieux chapeau de feutre dans lequel avait été déposé, préalablement, le sac
de poudre d’arsenic.
Fut appelé, ensuite, Gabriel Gilbert Coinchon-Beaufort, âgé de
soixante-trois ans, propriétaire à Saint-Pourcin, dans l’Allier.
Pourquoi fut-il appelé à témoigner ? Lui-même se posait la
question.
Il n’avait rien à voir avec cette affaire, si ce n’était qu’il
connaissait le défunt et qu’il aurait sans doute voulu ne pas le rencontrer.
Gabriel Gilbert Coinchon-Beaufort avait été le beau-père de Charles
Lafarge. Voilà pourquoi, il était face aux juges.
Alors, il expliqua qu’il n’avait rien contre Charles Lafarge et ne
pouvait dire que ce qu’il avait vu pendant les dix-huit mois qu’avait duré le
mariage de sa fille.
Charles Lafarge avait des crises nerveuses, le laissant pendant de
longues heures, froid et raide, la salive aux coins de la bouche.
Il avait appris que les affaires de son gendre n’étaient pas
fleurissantes, loin de là, et qu’il était au bord de la faillite. Lorsqu’il osa
lui en parler, il s’était mis en colère, hurlant :
« Si je connaissais la personne qui vous a mis au courant de mes
affaires, je la tuerais. »
Il évoqua aussi cette très violente dispute qu’il avait entendue,
entre sa fille et sa belle-mère, lors du seul séjour prolongé qu’il avait fait
au Glandier.
Il conclut en disant que sa fille n’avait pas été heureuse dans ce
ménage.
Revenons un peu sur ce premier
mariage.
Il avait eu lieu le 15 décembre 1834 à
Saint-Pourçain-sur-Sioule dans l’Allier.
La future, Marguerite Félicie
Coinchon-Beaufort, née le 14 mai 1806, avait 28 ans.
Elle devait décéder le 30 juillet 1835
à Beyssac.
Rien sur la rencontre des deux jeunes
gens, ni sur les causes du décès de la jeune femme.
Etait-ce un mariage arrangé ?
Quant à Mme Lafarge-mère, visiblement,
elle n’était pas la « douce belle-mère » qu’elle se disait être.
Une dispute qui en rappelle une autre,
celle avec Marie Capelle-Lafarge.
Et les gâteaux envoyés ? Qui les avaient faits ?
Marie Mathieu, quarante-cinq ans, cuisinière chez les Lafarge
avait tout expliqué lorsqu’elle fut appelée à témoigner.
Elle n’était en fonction chez les Lafarge que depuis un mois, environ,
lorsque Mme Lafarge-mère vint dans sa cuisine, disant qu’elle souhaitait faire
des gâteaux, afin de les envoyer à son fils. Assurément, il serait heureux en
les recevant, de savoir que c’était une tendre attention maternelle.
Mme Lafarge-mère en réalisa vingt-quatre. Quelques-uns furent mangés
aussitôt sortis du four. Personne n’avait été malade.
Il s’agissait de gâteaux avec une couche de crème solide, d’une
épaisseur de deux doigts.
Vers 16 heures, quelques-uns furent placés dans une boite et à 21
heures expédiés à Paris.
Marie Mathieu expliqua, également,
qu’Alfred avait, avant la préparation des gâteaux, préparé une pâte dans
laquelle il avait mélangé de la poudre d’arsenic afin d’attirer les rats et
ainsi de les détruire.
En janvier, Alfred avait également effectué la même préparation, sur
la demande de Charles Lafarge, qui était dérangé la nuit par les mouvements de
ces rongeurs. La mixture avait été déposée dans la chambre de Charles Lafarge,
non loin du lit de ce dernier, justement.
Jean Bardon, dix-neuf ans, domestique à Saint-Yrieux.
Il confirma que lui et Alfred avaient enterré, dans le jardin, un
paquet de poudre d’arsenic préalablement déposé dans un chapeau, pour qu’aucun
accident ne se produise, avait-il précisé. Le lendemain, avec le Juge de paix,
le paquet avait été déterré.
Jean Bardon en vint à parler de Denis qui n’aimait pas Mme
Lafarge-jeune et souhaitait la voir « coupée en quatre ». Denis lui
avait dit qu’il serait bientôt le maître et qu’il le mettrait à la porte.
Il certifia avoir mangé un gâteau sans avoir été malade par la suite.
Jean Montezan, vingt-huit ans, tuilier au Glandier.
Concernant Denis, il réitéra les dires de Jean Bardon.
Ce fut lui qui fut chargé de déposer la boite, clouée et ficelée,
contenant les gâteaux, à Uzerche à la diligence de six heures du soir. Une
lettre écrite de la main de Mme Lafarge-mère partait, elle, par la poste.
François Hallapeau, chef de bureau aux Messageries Générales
Dans la nuit du 15 au 16 décembre, comme le confirme un bordereau, une
caisse était partie d’Uzerche, de la part de Mme Lafarge pour M. Lafarge, rue
Sainte-Anne à Paris.
Ce fut M. Lafarge qui vint récupérer l’envoi, dès son arrivée à Paris.
Félix Buffière, vingt-six ans, commis de nouveauté – 110 rue
Montmartre à Paris.
Le 19 décembre, expliqua-t-il, Charles Lafarge lui avait demandé de
venir le voir car il était malade. Il souffrait de coliques, mais pas de
vomissements. Il lui avait parlé d’un gâteau qu’il avait reçu, il lui en
proposa un morceau, mais « il ne l’avait
pas séduit ». D’ailleurs Charles Lafarge lui avait précisé :
« Il n’est guère bon ! ».
Félix Buffière décrit le gâteau qui ne correspondait nullement, ni par
sa forme ni par son aspect, à ceux qui avaient été expédiés. Un seul grand et
non quatre ou cinq petits.
Jean Saby, dit Magneux, vingt-six ans, régisseur à Excideuil.
Deux ou trois jours après son retour de Paris, Charles Lafarge lui
avait dit être malade. Des maux de tête et d’estomac et ne pouvant garder
aucune nourriture. Il lui avait expliqué que ses malaises étaient sûrement dus
à la fatigue du voyage.
Clémentine Servat, femme de chambre de Marie Capelle-Lafarge, vingt-trois
ans.
Elle estimait beaucoup sa maîtresse et n’avait pas voulu la quitter
dans le malheur qui l’accablait à présent, aussi depuis son arrestation
partageait-elle son sort, enfermée avec elle dans sa geôle.
Concernant la poudre d’arsenic, elle précisa qu’il en fut acheté par
trois fois.
·
Après le départ de Monsieur Lafarge.
·
Une autre fois, un paquet remis par Alfred à M.
Lafarge.
·
Puis une troisième fois, un autre paquet acheté
par Denis et remis à Madame par Denis lui-même.
Clémentine précisa :
« Je savais, par Monsieur Lafarge lui-même,
que cette poudre était dangereuse, alors j’ai eu peur et j’ai placé le paquet
dans un vieux chapeau qui se trouvait sur une étagère dans une chambre. Le
chapeau ne servait plus. Pour les gâteaux, ils avaient été faits par Madame
Lafarge-mère. C’était des petits choux carrés qui s’arrondissaient avec la
cuisson. Les gâteaux avaient été mis dans une caisse avec plusieurs autres
choses : des socques, un portrait, un foulard. Mademoiselle Brun conseilla
de remplir les vides avec des marrons. Les gâteaux étaient entortillés dans un
morceau de papier. Il n’y avait pas un seul grand gâteau, mais seulement des
petits.»
Comment quatre ou cinq petits gâteaux,
partis d’Uzerche, étaient-ils devenus un seul et grand gâteau à leur arrivée à
Paris ?
Le chapeau se trouvait, au premier
étage, dans une antichambre dont une porte donnait sur le palier et une autre
dans la chambre de Charles Lafarge.
Alfred Moutardier, ancien valet de Chambre de Charles Lafarge,
dix-neuf ans.
Il ne fit que répéter ce que les précédents témoins avaient affirmé,
ajoutant toutefois que Denis avait lancé, haut et fort :
« Il faut que Madame soit sciée en quatre
morceaux et si elle ne veut pas monter à l’échafaud, je me charge bien de l’y
faire monter, moi ! »
Alfred Moutardier était entré au service de Charles Lafarge quinze
jours après son mariage avec Marie Capelle. C’était lui qui avait préparé la
mort-aux-rats et son maître avait vérifié, et la poudre et la pâte faite avec
celle-ci.
Oui, mais la pâte, faite de sucre, de
beurre et d’un peu de farine, retrouvée, ne contenait pas d’arsenic, pourtant
le paquet remis était censé en contenir. Ce même paquet, d’ailleurs, qui avait
été enterré, puis déterré et dont le contenu, une fois analysé, se révéla être
du bicarbonate de soude !
Gabriel
Dupuis, cordonnier à Uzerche, quarante-cinq ans.
Il avait vu Charles Lafarge le 5 janvier. Ce jour-là, il lui avait dit
qu’il lui réglerait une partie de ce qu’il lui devait, car il était revenu de
Paris avec 26 000[2]
francs qui étaient dans sa valise. Il fut très étonné d’apprendre qu’il avait
succombé le 14 janvier. Clémentine, qui lui avait annoncé la triste nouvelle,
lui avait dit que lorsque Monsieur Lafarge était revenu de Paris, il allait
bien et qu’il avait même fait, le soir, une promenade avec sa femme avant
d’aller se mettre au lit.
Ce fut sur le témoignage du cordonnier Dupuis que s’acheva l’audience,
avec plus d’interrogations que d’éclaircissements, tant les témoignages
semblaient contradictoires.
[1] Je me
suis permise quelques commentaires (mis dans des encadrés), afin d’essayer
d’éclairer le lecteur......
[2]
Uniquement la somme de 3 900 francs dans la valise, alors qu’il avait fait
un emprunt de 26 000 francs.
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