mercredi 12 février 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D’EMPOISONNEUSES


LES EMPOISONNEUSES

L'AFFAIRE LAFARGE




Chapitre 17

Le 7 septembre, reprise de l’audition des témoins......

Marie Raymond, épouse Poutier, âgée de vingt-six ans.
Elle ne fit que répéter ce qu’elle avait entendu de la voix de Marie, la servante de peine, et d’Alfred, le valet de chambre, tous deux domestiques au Glandier.

Marie Delon, femme Bonnet, sage-femme à Uzerche.
Elle avait souvent soigné Charles Lafarge pour des crises nerveuses, mais elle n’était pas intervenue lors de sa fatale maladie.

Jean Garaud, scieur de long.
Il avait appris par Bardon, le valet d’écurie, que Marie Lafarge avait demandé qu’on achète de la poudre d’arsenic.


[1]Et de tous ces témoignages, ressortait une histoire bien étrange......
Le paquet de poudre d’arsenic acheté avait été remis à Alfred, le valet de chambre, qui l’avait donné à Clémentine Servat, servante au Glandier, qui l’avait déposé dans un vieux chapeau de feutre, avant d’être enterré dans le jardin.
Le paquet avait été extrait de sa cachette lors de l’enquête en janvier 1840, mais là, après analyse, ce paquet ne contenait pas le poison recherché, mais simplement du bicarbonate de soude.

Et le chapeau, il a peut-être eu un rôle essentiel dans l’affaire.
Voilà pourquoi.
Devant l’affaiblissement de Charles Lafarge, et pour éliminer le « mauvais sang »,  coupable de cet état, le médecin posa sur le cou du malade quelques sangsues.
Lorsque celles-ci furent enlevées, pour arrêter le sang, il fut appliqué de la bourre de feutre, prise à l’intérieur du vieux chapeau de feutre dans lequel avait été déposé, préalablement, le sac de poudre d’arsenic.


Fut appelé, ensuite, Gabriel Gilbert Coinchon-Beaufort, âgé de soixante-trois ans, propriétaire à Saint-Pourcin, dans l’Allier.

Pourquoi fut-il appelé à témoigner ? Lui-même se posait la question.
Il n’avait rien à voir avec cette affaire, si ce n’était qu’il connaissait le défunt et qu’il aurait sans doute voulu ne pas le rencontrer.
Gabriel Gilbert Coinchon-Beaufort avait été le beau-père de Charles Lafarge. Voilà pourquoi, il était face aux juges.
Alors, il expliqua qu’il n’avait rien contre Charles Lafarge et ne pouvait dire que ce qu’il avait vu pendant les dix-huit mois qu’avait duré le mariage de sa fille.
Charles Lafarge avait des crises nerveuses, le laissant pendant de longues heures, froid et raide, la salive aux coins de la bouche.
Il avait appris que les affaires de son gendre n’étaient pas fleurissantes, loin de là, et qu’il était au bord de la faillite. Lorsqu’il osa lui en parler, il s’était mis en colère, hurlant :
« Si je connaissais la personne qui vous a mis au courant de mes affaires, je la tuerais. »
Il évoqua aussi cette très violente dispute qu’il avait entendue, entre sa fille et sa belle-mère, lors du seul séjour prolongé qu’il avait fait au Glandier.

Il conclut en disant que sa fille n’avait pas été heureuse dans ce ménage.


Revenons un peu sur ce premier mariage.
Il avait eu lieu le 15 décembre 1834 à Saint-Pourçain-sur-Sioule dans l’Allier.
La future, Marguerite Félicie Coinchon-Beaufort, née le 14 mai 1806, avait 28 ans.
Elle devait décéder le 30 juillet 1835 à Beyssac.
Rien sur la rencontre des deux jeunes gens, ni sur les causes du décès de la jeune femme.
Etait-ce un mariage arrangé ?

Quant à Mme Lafarge-mère, visiblement, elle n’était pas la « douce belle-mère » qu’elle se disait être.
Une dispute qui en rappelle une autre, celle avec Marie Capelle-Lafarge.


Et les gâteaux envoyés ? Qui les avaient faits ?

Marie Mathieu, quarante-cinq ans, cuisinière chez les Lafarge avait tout expliqué lorsqu’elle fut appelée à témoigner.
Elle n’était en fonction chez les Lafarge que depuis un mois, environ, lorsque Mme Lafarge-mère vint dans sa cuisine, disant qu’elle souhaitait faire des gâteaux, afin de les envoyer à son fils. Assurément, il serait heureux en les recevant, de savoir que c’était une tendre attention maternelle.
Mme Lafarge-mère en réalisa vingt-quatre. Quelques-uns furent mangés aussitôt sortis du four. Personne n’avait été malade.
Il s’agissait de gâteaux avec une couche de crème solide, d’une épaisseur de deux doigts.
Vers 16 heures, quelques-uns furent placés dans une boite et à 21 heures expédiés à Paris.

Marie Mathieu expliqua, également,  qu’Alfred avait, avant la préparation des gâteaux, préparé une pâte dans laquelle il avait mélangé de la poudre d’arsenic afin d’attirer les rats et ainsi de les détruire.
En janvier, Alfred avait également effectué la même préparation, sur la demande de Charles Lafarge, qui était dérangé la nuit par les mouvements de ces rongeurs. La mixture avait été déposée dans la chambre de Charles Lafarge, non loin du lit de ce dernier, justement.

Jean Bardon, dix-neuf ans, domestique à Saint-Yrieux.
Il confirma que lui et Alfred avaient enterré, dans le jardin, un paquet de poudre d’arsenic préalablement déposé dans un chapeau, pour qu’aucun accident ne se produise, avait-il précisé. Le lendemain, avec le Juge de paix, le paquet avait été déterré.
Jean Bardon en vint à parler de Denis qui n’aimait pas Mme Lafarge-jeune et souhaitait la voir « coupée en quatre ». Denis lui avait dit qu’il serait bientôt le maître et qu’il le mettrait à la porte.
Il certifia avoir mangé un gâteau sans avoir été malade par la suite.

Jean Montezan, vingt-huit ans, tuilier au Glandier.
Concernant Denis, il réitéra les dires de Jean Bardon.
Ce fut lui qui fut chargé de déposer la boite, clouée et ficelée, contenant les gâteaux, à Uzerche à la diligence de six heures du soir. Une lettre écrite de la main de Mme Lafarge-mère partait, elle, par la poste.

François Hallapeau, chef de bureau aux Messageries Générales
Dans la nuit du 15 au 16 décembre, comme le confirme un bordereau, une caisse était partie d’Uzerche, de la part de Mme Lafarge pour M. Lafarge, rue Sainte-Anne à Paris.
Ce fut M. Lafarge qui vint récupérer l’envoi, dès son arrivée à Paris.


Félix Buffière, vingt-six ans, commis de nouveauté – 110 rue Montmartre à Paris.
Le 19 décembre, expliqua-t-il, Charles Lafarge lui avait demandé de venir le voir car il était malade. Il souffrait de coliques, mais pas de vomissements. Il lui avait parlé d’un gâteau qu’il avait reçu, il lui en proposa un morceau, mais « il ne l’avait pas séduit ». D’ailleurs Charles Lafarge lui avait précisé : « Il n’est guère bon ! ».
Félix Buffière décrit le gâteau qui ne correspondait nullement, ni par sa forme ni par son aspect, à ceux qui avaient été expédiés. Un seul grand et non quatre ou cinq petits.

Jean Saby, dit Magneux, vingt-six ans, régisseur à Excideuil.
Deux ou trois jours après son retour de Paris, Charles Lafarge lui avait dit être malade. Des maux de tête et d’estomac et ne pouvant garder aucune nourriture. Il lui avait expliqué que ses malaises étaient sûrement dus à la fatigue du voyage.

Clémentine Servat, femme de chambre de Marie Capelle-Lafarge, vingt-trois ans.
Elle estimait beaucoup sa maîtresse et n’avait pas voulu la quitter dans le malheur qui l’accablait à présent, aussi depuis son arrestation partageait-elle son sort, enfermée avec elle dans sa geôle.
Concernant la poudre d’arsenic, elle précisa qu’il en fut acheté par trois fois.
·         Après le départ de Monsieur Lafarge.
·         Une autre fois, un paquet remis par Alfred à M. Lafarge.
·         Puis une troisième fois, un autre paquet acheté par Denis et remis à Madame par Denis lui-même.
Clémentine précisa :
«  Je savais, par Monsieur Lafarge lui-même, que cette poudre était dangereuse, alors j’ai eu peur et j’ai placé le paquet dans un vieux chapeau qui se trouvait sur une étagère dans une chambre. Le chapeau ne servait plus. Pour les gâteaux, ils avaient été faits par Madame Lafarge-mère. C’était des petits choux carrés qui s’arrondissaient avec la cuisson. Les gâteaux avaient été mis dans une caisse avec plusieurs autres choses : des socques, un portrait, un foulard. Mademoiselle Brun conseilla de remplir les vides avec des marrons. Les gâteaux étaient entortillés dans un morceau de papier. Il n’y avait pas un seul grand gâteau, mais seulement des petits


Comment quatre ou cinq petits gâteaux, partis d’Uzerche, étaient-ils devenus un seul et grand gâteau à leur arrivée à Paris ?
Le chapeau se trouvait, au premier étage, dans une antichambre dont une porte donnait sur le palier et une autre dans la chambre de Charles Lafarge.


Alfred Moutardier, ancien valet de Chambre de Charles Lafarge, dix-neuf ans.
Il ne fit que répéter ce que les précédents témoins avaient affirmé, ajoutant toutefois que Denis avait lancé, haut et fort :
« Il faut que Madame soit sciée en quatre morceaux et si elle ne veut pas monter à l’échafaud, je me charge bien de l’y faire monter, moi ! »
Alfred Moutardier était entré au service de Charles Lafarge quinze jours après son mariage avec Marie Capelle. C’était lui qui avait préparé la mort-aux-rats et son maître avait vérifié, et la poudre et la pâte faite avec celle-ci.


Oui, mais la pâte, faite de sucre, de beurre et d’un peu de farine, retrouvée, ne contenait pas d’arsenic, pourtant le paquet remis était censé en contenir. Ce même paquet, d’ailleurs, qui avait été enterré, puis déterré et dont le contenu, une fois analysé, se révéla être du bicarbonate de soude !


Gabriel Dupuis, cordonnier à Uzerche, quarante-cinq ans.
Il avait vu Charles Lafarge le 5 janvier. Ce jour-là, il lui avait dit qu’il lui réglerait une partie de ce qu’il lui devait, car il était revenu de Paris avec 26 000[2] francs qui étaient dans sa valise. Il fut très étonné d’apprendre qu’il avait succombé le 14 janvier. Clémentine, qui lui avait annoncé la triste nouvelle, lui avait dit que lorsque Monsieur Lafarge était revenu de Paris, il allait bien et qu’il avait même fait, le soir, une promenade avec sa femme avant d’aller se mettre au lit.


Ce fut sur le témoignage du cordonnier Dupuis que s’acheva l’audience, avec plus d’interrogations que d’éclaircissements, tant les témoignages semblaient contradictoires.



[1] Je me suis permise quelques commentaires (mis dans des encadrés), afin d’essayer d’éclairer le lecteur......
[2] Uniquement la somme de 3 900 francs dans la valise, alors qu’il avait fait un emprunt de 26 000 francs.

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