mercredi 26 février 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES



LES EMPOISONNEUSES

L'AFFAIRE LAFARGE




Chapitre 18

Audience du 12 septembre 1840, 13 h 30, reprise de l’audition des témoins......
Encore et toujours ........
Et puis les experts, ceux de Paris, bien évidemment !!

De moins en moins de monde parmi les auditeurs. Il était vrai que les témoignages étaient de moins en moins intéressants n’évoquant, encore et toujours, que les paquets de poudre d’arsenic achetés et passés de main en main et de la petite boite que marie Lafarge  tenait toujours dans sa poche et contenant, selon elle, de la poudre de gomme.
Les débats devenaient confus et s’enlisaient, sans apporter aucun fait réel et vérifiable.

Marie Capelle-Lafarge, toujours souffrante, était accompagnée par son médecin, Monsieur Ventépou. Son visage pâle, aux trais tirés, aux yeux cernés, montrait une immense fatigue.

Un temps interminable fut occupé par les témoignages de Emma Poutier, M. Fleygnat et M. Tournadou.

Débat tournant autour des paquets de poudre d’arsenic, au nombre de deux, et de la petite boîte appartenant à Marie Lafarge.
Tout cela n’était pas bien clair !!
·         L’un avait eu connaissance de deux paquets.
·         L’autre d’un seul paquet et de la petite boite.
·         Quant à Emma Poutier, elle n’avait vu que la petite boite, celle qu’elle savait se trouver dans la poche de Marie Lafarge qui contenait de la poudre de gomme qu’utilisait sa maîtresse pour son usage personnel.
Pour clore le litige qui tourna surtout autour de la petite boite, le contenu de celle-ci fut soumis à l’examen des experts.

Puis la ronde des témoins reprit. Entra dans la danse ......

M. Angelby, quarante-six ans, agriculteur, demeurant à Voutezac.
C’était en causant avec M. Lafaurie, juste après le mariage de Charles Lafarge qu’il avait appris que le couple arrivait au Glandier. La jeune épousée, toujours selon les dires de  M. Lafaurie, était une femme très riche, mais le ménage n’était pas bien assorti. Il avait su, aussi, que cette femme en aimait un autre et qu’elle l’avait même écrit à son époux. Ce fut alors que M. Lafaurie lui avait dit : « A la place de M. Lafarge, je la laisserais partir de peur qu’elle me joue un mauvais tour. » Cette conversation avait retourné le sieur Angelby qui en avait parlé à M. Sirey.

Jean Portier, trente-huit ans, demeurant à Chauffailles.
Alfred lui avait dit que M. Lafarge allait mieux, mais qu’il avait trop de monde autour de lui. Le jour de la mort du pauvre Lafarge, Alfred avait prévenu le charpentier pour préparer rapidement la bière. C’était sur l’ordre de madame, avait-il précisé.
Puis, le 15 janvier, c’était Mme Lafarge-mère qui lui avait fait demander, par le forgeron, François Leussève, dit Bonhomme, de venir au Glandier.
C’était pour lui faire forcer la serrure d’un petit secrétaire en bois de noyer qui se trouvait dans la chambre de l’épouse de feu M. Lafarge. Il avait dû se servir d’un ciseau et d’un marteau pour arriver à bout de la serrure. Il avait ensuite ôté tous les papiers qui étaient dans le tiroir et les avait remis à Mme Lafarge-mère.
Il avait su que cette opération avait été préméditée, car Marie Lafarge avait été envoyée à l’autre bout de la demeure.

Avant de clore l’audience, le retour des experts qui confirmèrent que le contenu de la petite boite se révéla être de la poudre d’arsenic. Une boite qui contenait selon Marie Capelle de la poudre de gomme  qu’elle prenait régulièrement.
Une boite, surtout, qui avait passé de main en main avant d’arriver devant les juges.
Une boite, surtout, dont Marie Lafarge, si elle avait été coupable, aurait pu se débarrasser depuis bien longtemps.

L’audience fut levée à 18 h 30 dans un silence lourd, accablant.
Dehors, il faisait nuit.
L’orage grondait au loin.



Audience du 14 septembre 1840


Une audience très attendue.
M. Orfila déposait en sa qualité d’expert, développant avec emphase[1], les recherches auxquelles il s’était livré avec ses confrères.

Après l’exhumation du corps du défunt Charles Lafarge et les nombreuses analyses, il n’y avait aucun doute possible :
Le corps contenait de l’arsenic !!!
M. Ollivier d’Angers et M. Bussy déclarèrent se joindre à l’opinion du sieur Orfila.




Je ne voudrais pas mettre en doute la parole des experts que ce soit les premiers comme les seconds, d’autant plus que la « toxicologie médico-légale » n’en était qu’à ses balbutiements.
Une chose est certaine, et je regarde cela du côté « humain »....
Il en était d’une question d’honneur que les experts, nouvellement mandatés, ne pouvaient que confirmer l’incompétence des procédés des précédents experts, en annonçant que leurs pratiques à eux, à la pointe du progrès, étaient plus fiables, d’où le résultat positif d’arsenic découvert dans le corps du défunt et les divers flacons.


Reprise de l’audience à 13 h 30.

L’auditoire est comble. La fin du procès étant proche, le verdict ne tarderait pas à tomber.
Quelques témoins, encore, mais très peu......

M. Antoine Roque
Il avait des affaires d’intérêt à Régler avec M. Lafarge.
Mme Lafarge, alors maîtresse de ses actions lui donna complète satisfaction, répondant à tous les billets de son mari. Elle savait que les billets étaient faux, mais elle ne voulait pas que la mémoire de son mari fût souillée. Le montant de ses billets s’élevait à 30 000 francs, et ils étaient signés du nom de Lafarge et certains de Barbier, Barbier alias Denis.

M. Bonaventure Brossard, banquier à Tulle.
Il précisa  qu’il avait un effet de 3 800 francs, signé Carmon au profit de Barbier et négocié par M. Lafarge. Il connaissait Barbier, l’ayant vu lors d’une audience. Ce jour-là, il lui avait demandé qui était ce Carmon. Il lui avait répondu qu’il n’en savait rien. Il avait signé le document sur l’ordre de M. Lafarge. Un autre billet endossé par Barbier et signé de plusieurs autres personnes dont un M. Eyssartier d’Uzerche. Après enquête ce M. Eyssartier était un enfant de douze ans.     

M. Rigoneau, négociant à Limoges.
Charles Lafarge avait négocié avec lui sur la dot de son épouse. Beaucoup des billets à ordre étaient signés Barbier et Foucault. Il avait fait des recherches sur ces endosseurs. Ils n’étaient pas connus. Il avait même fait un signalement au Procureur du Roi.

M. Dufour, curé de Villers-Hellon.
Un témoin de moralité sur la personne de Marie Fortunée Capelle qu’il dit être pieuse, charitable et désintéressée.

M. Etienne Gonnet, huissier à Allasac.
Sur la route de Voutezac à Allasac, il avait rencontré un homme à cheval portant deux paniers de regain et qui lui avait dit : « Vous ne savez pas ce que je porte là ? Ce sont les intestins de M. Lafarge. Arrivé derrière lui, à bonne distance, un gendarme à pied conduisant son cheval par la bride.  Tous deux avaient parcouru un chemin fort long, s’étant perdus. Ils étaient épuisés.
Il rapporta, également, qu’un jour M. Buffières, le père, lui avait demandé un délai au sujet d’une affaire qu’il avait contre lui et la famille Lafarge. Il lui avait demandé s’il possédait quelques moyens de s’acquitter. La réponse de M. Buffières-père fut : « Si Mme Lafarge est coupable, nous pourrons obtenir quelques indemnités. Elle sera peut-être obligée de payer nos cautionnements ».

Cette personne concluait l’audition des témoins.

A cinq heures et demie du soir, dans la salle toujours comble, il fut fait de la place pour que tous les experts – les premiers et les seconds[2] -  puissent venir expliquer leurs différents procédés.
L’audience fut levée à six heures un quart.
Dehors, le ciel déversait des trombes d’eau, retenant le public dans la salle des pas perdus du tribunal, dans un silence qui en disait long sur les pensées de chacun.

Marie Capelle-Lafarge ne s’était pas effondrée face aux constats des experts. Digne et calme, elle avait rejoint sa cellule.



[1] Je ferai grâce aux lecteurs de tous les termes techniques et des méthodes pratiquées qui n’ont, à vrai dire, aucune importance, si ce n’est dans le résultat obtenu.
[2] Pour plus d’informations sur les discours d’expertises, vous reporter au « Journal de Rouen » du 18 septembre 1840 – page 3.

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