LES EMPOISONNEUSES
L'AFFAIRE LAFARGE
Chapitre 18
Audience
du 12 septembre 1840, 13 h 30, reprise de l’audition des témoins......
Encore et toujours ........
Et puis les experts, ceux de Paris,
bien évidemment !!

Les débats devenaient confus et s’enlisaient, sans apporter aucun fait
réel et vérifiable.
Marie Capelle-Lafarge, toujours souffrante, était accompagnée par son
médecin, Monsieur Ventépou. Son visage pâle, aux trais tirés, aux yeux cernés,
montrait une immense fatigue.
Un temps interminable fut occupé par les témoignages de Emma Poutier,
M. Fleygnat et M. Tournadou.
Débat tournant autour des paquets de poudre d’arsenic, au nombre de
deux, et de la petite boîte appartenant à Marie Lafarge.
Tout cela n’était pas bien clair !!
·
L’un avait eu connaissance de deux paquets.
·
L’autre d’un seul paquet et de la petite boite.
·
Quant à Emma Poutier, elle n’avait vu que la
petite boite, celle qu’elle savait se trouver dans la poche de Marie Lafarge
qui contenait de la poudre de gomme qu’utilisait sa maîtresse pour son usage
personnel.
Pour clore le litige qui tourna surtout autour de la petite boite, le
contenu de celle-ci fut soumis à l’examen des experts.
Puis la
ronde des témoins reprit. Entra dans la danse ......
M. Angelby, quarante-six ans, agriculteur, demeurant à Voutezac.
C’était en causant avec M. Lafaurie, juste après le mariage de Charles
Lafarge qu’il avait appris que le couple arrivait au Glandier. La jeune épousée,
toujours selon les dires de M. Lafaurie,
était une femme très riche, mais le ménage n’était pas bien assorti. Il avait
su, aussi, que cette femme en aimait un autre et qu’elle l’avait même écrit à
son époux. Ce fut alors que M. Lafaurie lui avait dit : « A la place
de M. Lafarge, je la laisserais partir de peur qu’elle me joue un mauvais tour. »
Cette conversation avait retourné le sieur Angelby qui en avait parlé à M.
Sirey.
Jean Portier, trente-huit ans, demeurant à Chauffailles.
Alfred lui avait dit que M. Lafarge allait mieux, mais qu’il avait
trop de monde autour de lui. Le jour de la mort du pauvre Lafarge, Alfred avait
prévenu le charpentier pour préparer rapidement la bière. C’était sur l’ordre
de madame, avait-il précisé.
Puis, le 15 janvier, c’était Mme Lafarge-mère qui lui avait fait
demander, par le forgeron, François Leussève, dit Bonhomme, de venir au
Glandier.
C’était pour lui faire forcer la serrure d’un petit secrétaire en bois
de noyer qui se trouvait dans la chambre de l’épouse de feu M. Lafarge. Il
avait dû se servir d’un ciseau et d’un marteau pour arriver à bout de la
serrure. Il avait ensuite ôté tous les papiers qui étaient dans le tiroir et
les avait remis à Mme Lafarge-mère.
Il avait su que cette opération avait été préméditée, car Marie
Lafarge avait été envoyée à l’autre bout de la demeure.
Avant de clore l’audience, le retour des experts qui confirmèrent que
le contenu de la petite boite se révéla être de la poudre d’arsenic. Une boite
qui contenait selon Marie Capelle de la poudre de gomme qu’elle prenait régulièrement.
Une boite, surtout, qui avait passé de main en main avant d’arriver
devant les juges.
Une boite, surtout, dont Marie Lafarge, si elle avait été coupable,
aurait pu se débarrasser depuis bien longtemps.
L’audience
fut levée à 18 h 30 dans un silence lourd, accablant.
Dehors, il
faisait nuit.
L’orage
grondait au loin.
Audience
du 14 septembre 1840
M. Orfila déposait en sa qualité d’expert, développant avec emphase[1],
les recherches auxquelles il s’était livré avec ses confrères.
Après l’exhumation du corps du défunt Charles Lafarge et les
nombreuses analyses, il n’y avait aucun doute possible :
Le corps contenait de l’arsenic !!!
M. Ollivier d’Angers et M. Bussy déclarèrent se joindre à l’opinion du
sieur Orfila.
Je ne voudrais pas mettre en doute la
parole des experts que ce soit les premiers comme les seconds, d’autant plus
que la « toxicologie médico-légale » n’en était qu’à ses
balbutiements.
Une chose est certaine, et je regarde
cela du côté « humain »....
Il en était d’une question d’honneur
que les experts, nouvellement mandatés, ne pouvaient que confirmer
l’incompétence des procédés des précédents experts, en annonçant que leurs
pratiques à eux, à la pointe du progrès, étaient plus fiables, d’où le résultat
positif d’arsenic découvert dans le corps du défunt et les divers flacons.
Reprise de
l’audience à 13 h 30.
L’auditoire est comble. La fin du procès étant proche, le verdict ne
tarderait pas à tomber.
Quelques témoins, encore, mais très peu......
M. Antoine Roque
Il avait des affaires d’intérêt à Régler avec M. Lafarge.
Mme Lafarge, alors maîtresse de ses actions lui donna complète
satisfaction, répondant à tous les billets de son mari. Elle savait que les
billets étaient faux, mais elle ne voulait pas que la mémoire de son mari fût
souillée. Le montant de ses billets s’élevait à 30 000 francs, et ils
étaient signés du nom de Lafarge et certains de Barbier, Barbier alias Denis.
M. Bonaventure Brossard, banquier à Tulle.
Il précisa qu’il avait un effet
de 3 800 francs, signé Carmon au profit de Barbier et négocié par M.
Lafarge. Il connaissait Barbier, l’ayant vu lors d’une audience. Ce jour-là, il
lui avait demandé qui était ce Carmon. Il lui avait répondu qu’il n’en savait
rien. Il avait signé le document sur l’ordre de M. Lafarge. Un autre billet
endossé par Barbier et signé de plusieurs autres personnes dont un M.
Eyssartier d’Uzerche. Après enquête ce M. Eyssartier était un enfant de douze
ans.
M. Rigoneau, négociant à Limoges.
Charles Lafarge avait négocié avec lui sur la dot de son épouse.
Beaucoup des billets à ordre étaient signés Barbier et Foucault. Il avait fait
des recherches sur ces endosseurs. Ils n’étaient pas connus. Il avait même fait
un signalement au Procureur du Roi.
M. Dufour, curé de Villers-Hellon.
Un témoin de moralité sur la personne de Marie Fortunée Capelle qu’il
dit être pieuse, charitable et désintéressée.
M. Etienne Gonnet, huissier à Allasac.
Sur la route de Voutezac à Allasac, il avait rencontré un homme à
cheval portant deux paniers de regain et qui lui avait dit : « Vous
ne savez pas ce que je porte là ? Ce sont les intestins de M. Lafarge.
Arrivé derrière lui, à bonne distance, un gendarme à pied conduisant son cheval
par la bride. Tous deux avaient parcouru
un chemin fort long, s’étant perdus. Ils étaient épuisés.
Il rapporta, également, qu’un jour M. Buffières, le père, lui avait
demandé un délai au sujet d’une affaire qu’il avait contre lui et la famille
Lafarge. Il lui avait demandé s’il possédait quelques moyens de s’acquitter. La
réponse de M. Buffières-père fut : « Si Mme Lafarge est coupable,
nous pourrons obtenir quelques indemnités. Elle sera peut-être obligée de payer
nos cautionnements ».
Cette personne concluait l’audition des témoins.
A cinq heures et demie du soir, dans la salle toujours comble, il fut
fait de la place pour que tous les experts – les premiers et les seconds[2]
- puissent venir expliquer leurs
différents procédés.
L’audience fut levée à six heures un quart.
Dehors, le ciel déversait des trombes d’eau, retenant le public dans
la salle des pas perdus du tribunal, dans un silence qui en disait long sur les
pensées de chacun.
Marie Capelle-Lafarge ne s’était pas effondrée face aux constats des
experts. Digne et calme, elle avait rejoint sa cellule.
[1] Je ferai
grâce aux lecteurs de tous les termes techniques et des méthodes pratiquées qui
n’ont, à vrai dire, aucune importance, si ce n’est dans le résultat obtenu.
[2] Pour
plus d’informations sur les discours d’expertises, vous reporter au
« Journal de Rouen » du 18 septembre 1840 – page 3.
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