mercredi 3 janvier 2024

Déni de grossesse



Françoise Élisabeth Constance ressentit les premières douleurs de l’enfantement pendant la nuit. Sa sœur cadette, à côté d’elle dans le lit, dormait paisiblement. Elle se leva sans bruit afin de ne pas l’éveiller et après s’être enveloppée dans son châle alla se blottir sur une chaise, serrant les dents à chaque contraction.

Au petit matin, cela n’étonna personne de la voir déjà debout, habitués à la voir active. Personne, non plus, ne remarqua sa pâleur, ses yeux cernés et sa marche lente légèrement courbée.

C’était l’aube et il fallait embaucher, alors pas le temps !

Lorsque Françoise Élisabeth Constance se retrouva enfin seule, elle fut soulagée, mais il fallait que l’enfant naisse vite, très vite, avant le retour au foyer de ses parents et de sa cadette.

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 On ne parlait que de ça, sur la place du marché. Le petit cadavre d’un nouveau-né avait été repêché sur la rive gauche de la Seine, en amont du pont sur la commune de Pont-de-l’Arche, la veille, 12 septembre 1832, à deux heures après midi.

 S’en prendre à un nouveau-né, quelle misère ! Quelle mère pouvait en arriver à un tel acte ? C’était impensable ! 

 La maréchaussée enquêta sans grande conviction, sachant qu’il y avait peu de chances de retrouver la femme qui, après avoir accouché clandestinement, avait jeté, dans le fleuve, son petit.

« Une femme de passage, une journalière qui s’en est repartie, » pensait-on.

 

Mais, le hasard fit que des commérages vinrent aux oreilles des forces de l’ordre.

On disait, entre autres, que la jeune Françoise Élisabeth Constance Trumel n’était pas bien depuis….. Depuis quand, d’ailleurs ?

 « Elle a point travaillé d’puis un’ s’maine. Bah oui ! C’est ça !

     Oui, mais elle était point grosse !

     Une brav’ fill’, gentille, serviable, bonne comm’ le pain blanc !

     Faut s’méfier, ce sont les pires !

 

Il était exact que la jeune femme, âgée de vingt-quatre ans, était alitée depuis quelques jours. Elle ne mangeait plus et, les yeux fixes et hagards, ne disait plus une parole.

« Ce s’rait y qu’ell’ s’rait envoûtée ! lança, inquiète, Louise Catherine, la mère de la jeune femme.

     N’  dis donc pas d’bêtises, lui répondit son mari

 Les hémorragies abondantes et continuelles alertèrent la pauvre mère qui ne savait que penser face à la situation et qui finit par avoir des doutes.

« Ce s’rait-i’ pas ….. ? Ah, Sainte Vierge !!! »

 Le médecin mandait au plus vite confirma que Françoise Élisabeth Constance présentait tous les signes d’une maternité et d’un accouchement récent. Devant l’état alarmant de la jeune femme, il la fit transporter d’urgence à l’hospice de Louviers, pour qu’elle puisse bénéficier de soins appropriés.

 

L’enquête, quant à elle, rebondit après cette révélation et les langues se délièrent tout à coup, car chacun avait vu, chacun savait, chacun avait quelque chose à révéler.

La justice devant cette profusion de témoignages eut bien du mal à démêler la part du vrai de celle du faux et elle ne retint que cinq témoins qui devaient être entendus lors du procès.

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 Ce jour-là, la salle d’audience du tribunal de la ville de Louviers était bondée. On souhaitait voir celle qui avait tué son bébé, car bien entendu, elle devait avoir un visage de circonstance. Mais dans le box des accusés, ce fut une frêle jeune femme au visage calme et doux qui, les yeux rougis, attendait que l’on statua sur son sort.

 Qui était-elle ? D’où venait-elle ? 

 Françoise Elisabeth Constance était née le 8 juillet 1813 à une heure du matin, au domicile de ses parents, Pierre Constant Eléonor Trumel et Catherine Eléonore Régnier, rue Haute à Pont-de-l’Arche.

Âgée de vingt-cinq ans, elle était connue pour son grand cœur et sa gentillesse. En deux mots, une « brave fille ».

Rien à dire d’autres sur elle, car il n’y a rien à dire à propos des personnes qui vivent gentiment, sans éclat, ni gêner personne.

 

Monsieur le Procureur du Roi soutint l’accusation.

« Cette femme, ici présente, (il fit un large effet de manche en désignant, du doigt, l’accusée), messieurs les jurés, a tué son enfant, la chair de sa chair. Un crime odieux (là ce fut un effet de voix allant vers les aigus)…… »

 Ce fut ainsi, par une interminable tirade de l’homme de justice, que l’auditoire apprit que Françoise Constance Elisabeth Trumel, après avoir caché sa grossesse, avait accouché secrètement, au domicile paternel, d’un petit garçon et qu’aussitôt la naissance, elle l’avait mis dans son tablier, s’était rendu au bord du fleuve où elle l’avait jeté délibérément et sans remord.

 

Le médecin qui avait examiné l’enfant, après qu’il fut repêché, précisa :

« L’enfant est bien mort noyé. Il fut jeté dans l’eau aussitôt la naissance et ne portait pas de vêtement. Le cordon ombilical d’une longueur de vingt-huit centimètres environ, n’avait pas était noué."

 D’autres témoins furent ensuite appelés à la barre. Ils répondirent de leur mieux, car terriblement intimidés par le lieu et la Justice ainsi réunie.

« Bah ! M’sieur l’ juge, dit le premier témoin, c’ que j’peux dir’, moi, c’est qu’ c’est une brav’ fille. Toujours prêt’ à aider. L’cœur su’ la main et aimant les enfants. Sûr, qu’ c’est un coup d’folie qu’elle a eu. Pour sûr ! Oui…… »

 

Un autre précisa :

« Pas méchante pour un sou. Ell’ a r’ceuilli un p’tit orphelin et ell’ s’en occup’ ben…. »

 

À la question : La jeune femme avait-elle un galant avec qui elle aurait eu une liaison intime, il fut répondu :

« On la voyait, avec un jeun’ homme du pays. Puis l’gars, il est parti. On l’a plus r’vu ! »

 

Une femme, dans la salle, se permit même de faire la remarque suivante :

« Les hommes, on les connaît, pardi, l’plaisir ça va et après, i’ s’en vont voir ailleurs ! »

Elle se fit remettre vivement à sa place par le juge :

« Madame, voyons, pas de réflexion personnelle, ce n’est pas le lieu. Nous ne sommes pas au théâtre. Veuillez respecter un peu la Justice. »

Mais dans la salle, la petite phrase,  approuvée par la gente féminine, en fit sourire plus d’une.

 

Les parents de la prévenue furent également entendus. En effet, ils ne s’étaient pas aperçu de la grossesse de leur fille. Elle n’avait, pour eux, pas pris de poids. Oui, ils connaissaient le garçon qui venait de temps à autre l’inviter pour une promenade.

« Un brav’ gars, poli, correct’, précisa la mère, si on avait su, pardi ! »

 

Entre deux sanglots, Françoise Élisabeth Constance répondit aux interrogations, d’une voix faible.

Oh ! Elle regrettait, oui alors. Elle avait pris peur lorsqu’elle s’était retrouvée grosse, surtout que le père, il en voulait pas du p’tit.

« Alors, expliqua-t-elle également, plus les mois passaient, plus j’avais peur de l’dir’. Quand il est né, j’lai mis dans mon tablier. J’voulais pas l’tuer, non, mais m’en débarrasser. Alors, j’suis allée vers l’eau et sans trop savoir c’ que j’faisais, j’lai j’té, là, comme ça ! 

     Et après ? lança accusateur le Procureur du Roi.

     J’suis rentrée à la maison pour tout laver. J’savais plus c’ que j’faisais. 

 

Maître de Chalenge qui représentait l’accusée donna un bel exemple de réquisitoire de défense.

Théâtral lorsqu’il levait les bras en haussant le ton, s’évertuant à toucher, jusqu’à la compassion, les jurés, mettant en avant les neuf mois d’angoisse, les souffrances de l’accouchement, seule, l’acte de désespoir ayant poussé cette jeune femme à en  arriver à cet acte horrible, terminant ainsi :

« Messieurs les Jurés, n’accablez pas plus cette femme en alourdissant sa peine juridique, elle s’est condamnée elle-même, à vie, à la souffrance et aux remords de son acte irraisonné….. »

Deux questions furent alors posées à messieurs les jurés par le Président du Tribunal :

-      Celle résultant de l’acte d’accusation.

-      Celle d’homicide par imprudence.

Ce fut cette dernière  qui fut résolue affirmativement, et la Cour condamna la fille Trumel à dix-huit mois d’emprisonnement et à cinquante francs d’amende.

 
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 De nombreux cas semblables, dans le département et ailleurs, furent, malheureusement, à déplorer.

La justice était alors clémente pour ses femmes séduites et délaissées ou violées, et qui prenaient ensuite en horreur leur corps, objet de plaisir ou maltraité, et cet être « parasite » qui poussait en elles.

 

Ce fut le cas de Marie Anne Varin[1], journalière, qui, le 12 mars 1839, en son domicile à Cormeilles dans l’Eure, noya son petit garçon aussitôt après l’avoir mis au monde clandestinement.

Cette femme était née à Corneville, dans le Calvados, trente ans auparavant. Seule, elle gagnait durement sa vie, allant de petit boulot en petit boulot, payée une misère. Un enfant, non désiré, sans argent pour le mettre en nourrice. Alors ?

 Son geste n’est pas excusable, loin de là, mais qu’avait été sa vie ? Qu’avait été les circonstances de cette grossesse ?

 Dans une « société d’hommes » où les femmes restaient des éternelles « mineures », la vie n’était pas facile.

Un article, dans le Journal d’Elbeuf et Louviers, relate, le 23 mars 1839, l’événement, sûrement très banal en cette première moitié du XIXème siècle :

 

Cour d’Assise de l’Eure - Audience du 16 mars 1839

« La nommée Marie Anne Varin, journalière, âgée de trente ans, née à Corneville (Calvados), demeurant à Cormeilles (Eure) est accouchée clandestinement d’un enfant du sexe féminin[2], auquel elle a donné la mort en le noyant - la misérable ! - dans un vase de nuit.



[1] La nommée Marie Anne Varin fut jugée par la Cour d’assise de l’Eure au cour d’une audience,  le 16 mars 1839. Rien sur la condamnation.

[2]  Sur l’acte de décès, il est question d’un enfant de sexe masculin.

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