Françoise
Élisabeth Constance ressentit les premières douleurs de l’enfantement pendant
la nuit. Sa sœur cadette, à côté d’elle dans le lit, dormait paisiblement. Elle
se leva sans bruit afin de ne pas l’éveiller et après s’être enveloppée dans
son châle alla se blottir sur une chaise, serrant les dents à chaque
contraction.
Au
petit matin, cela n’étonna personne de la voir déjà debout, habitués à la voir
active. Personne, non plus, ne remarqua sa pâleur, ses yeux cernés et sa marche
lente légèrement courbée.
C’était
l’aube et il fallait embaucher, alors pas le temps !
Lorsque
Françoise Élisabeth Constance se retrouva enfin seule, elle fut soulagée, mais
il fallait que l’enfant naisse vite, très vite, avant le retour au foyer de ses
parents et de sa cadette.
« Une
femme de passage, une journalière qui s’en est repartie, » pensait-on.
Mais,
le hasard fit que des commérages vinrent aux oreilles des forces de l’ordre.
On
disait, entre autres, que la jeune Françoise Élisabeth Constance Trumel n’était
pas bien depuis….. Depuis quand, d’ailleurs ?
— Oui, mais
elle était point grosse !
— Une brav’
fill’, gentille, serviable, bonne comm’ le pain blanc !
— Faut
s’méfier, ce sont les pires !
Il
était exact que la jeune femme, âgée de vingt-quatre ans, était alitée
depuis quelques jours. Elle ne mangeait plus et, les yeux fixes et hagards, ne
disait plus une parole.
« Ce
s’rait y qu’ell’ s’rait envoûtée ! lança, inquiète, Louise Catherine, la
mère de la jeune femme.
—
N’ dis
donc pas d’bêtises, lui répondit son mari
« Ce
s’rait-i’ pas ….. ? Ah, Sainte Vierge !!! »
L’enquête,
quant à elle, rebondit après cette révélation et les langues se délièrent tout
à coup, car chacun avait vu, chacun savait, chacun avait quelque chose à
révéler.
La
justice devant cette profusion de témoignages eut bien du mal à démêler la part
du vrai de celle du faux et elle ne retint que cinq témoins qui devaient être
entendus lors du procès.
Âgée
de vingt-cinq ans, elle était connue pour son grand cœur et sa gentillesse. En deux
mots, une « brave fille ».
Rien
à dire d’autres sur elle, car il n’y a rien à dire à propos des personnes qui
vivent gentiment, sans éclat, ni gêner personne.
Monsieur
le Procureur du Roi soutint l’accusation.
« Cette
femme, ici présente, (il fit un large effet de manche en désignant, du doigt,
l’accusée), messieurs les jurés, a tué son enfant, la chair de sa chair. Un
crime odieux (là ce fut un effet de voix allant vers les aigus)…… »
Le
médecin qui avait examiné l’enfant, après qu’il fut repêché, précisa :
« L’enfant
est bien mort noyé. Il fut jeté dans l’eau aussitôt la naissance et ne portait
pas de vêtement. Le cordon ombilical d’une longueur de vingt-huit centimètres
environ, n’avait pas était noué."
« Bah !
M’sieur l’ juge, dit le premier témoin, c’ que j’peux dir’, moi, c’est qu’
c’est une brav’ fille. Toujours prêt’ à aider. L’cœur su’ la main et aimant les
enfants. Sûr, qu’ c’est un coup d’folie qu’elle a eu. Pour sûr !
Oui…… »
Un
autre précisa :
« Pas
méchante pour un sou. Ell’ a r’ceuilli un p’tit orphelin et ell’ s’en occup’
ben…. »
À
la question : La jeune femme avait-elle un galant avec qui elle aurait eu
une liaison intime, il fut répondu :
« On
la voyait, avec un jeun’ homme du pays. Puis l’gars, il est parti. On l’a plus
r’vu ! »
Une
femme, dans la salle, se permit même de faire la remarque suivante :
« Les
hommes, on les connaît, pardi, l’plaisir ça va et après, i’ s’en vont voir
ailleurs ! »
Elle
se fit remettre vivement à sa place par le juge :
« Madame,
voyons, pas de réflexion personnelle, ce n’est pas le lieu. Nous ne sommes pas
au théâtre. Veuillez respecter un peu la Justice. »
Mais
dans la salle, la petite phrase,
approuvée par la gente féminine, en fit sourire plus d’une.
Les
parents de la prévenue furent également entendus. En effet, ils ne s’étaient
pas aperçu de la grossesse de leur fille. Elle n’avait, pour eux, pas pris de
poids. Oui, ils connaissaient le garçon qui venait de temps à autre l’inviter
pour une promenade.
« Un
brav’ gars, poli, correct’, précisa la mère, si on avait su,
pardi ! »
Entre
deux sanglots, Françoise Élisabeth Constance répondit aux interrogations, d’une
voix faible.
Oh !
Elle regrettait, oui alors. Elle avait pris peur lorsqu’elle s’était retrouvée
grosse, surtout que le père, il en voulait pas du p’tit.
« Alors,
expliqua-t-elle également, plus les mois passaient, plus j’avais peur de
l’dir’. Quand il est né, j’lai mis dans mon tablier. J’voulais pas l’tuer, non,
mais m’en débarrasser. Alors, j’suis allée vers l’eau et sans trop savoir c’
que j’faisais, j’lai j’té, là, comme ça !
— Et
après ? lança accusateur le Procureur du Roi.
— J’suis
rentrée à la maison pour tout laver. J’savais plus c’ que j’faisais.
Maître
de Chalenge qui représentait l’accusée donna un bel exemple de réquisitoire de
défense.
Théâtral
lorsqu’il levait les bras en haussant le ton, s’évertuant à toucher, jusqu’à la
compassion, les jurés, mettant en avant les neuf mois d’angoisse, les
souffrances de l’accouchement, seule, l’acte de désespoir ayant poussé cette
jeune femme à en arriver à cet acte
horrible, terminant ainsi :
« Messieurs
les Jurés, n’accablez pas plus cette femme en alourdissant sa peine juridique,
elle s’est condamnée elle-même, à vie, à la souffrance et aux remords de son
acte irraisonné….. »
Deux questions furent alors posées à messieurs les jurés par le Président du Tribunal :
- Celle
résultant de l’acte d’accusation.
- Celle
d’homicide par imprudence.
Ce
fut cette dernière qui fut résolue
affirmativement, et la Cour condamna la fille Trumel à dix-huit mois
d’emprisonnement et à cinquante francs d’amende.
-=-=-=-=-=-
La
justice était alors clémente pour ses femmes séduites et délaissées ou violées,
et qui prenaient ensuite en horreur leur corps, objet de plaisir ou maltraité,
et cet être « parasite » qui poussait en elles.
Ce
fut le cas de Marie Anne Varin[1],
journalière, qui, le 12 mars 1839, en son domicile à Cormeilles dans l’Eure,
noya son petit garçon aussitôt après l’avoir mis au monde clandestinement.
Cette
femme était née à Corneville, dans le Calvados, trente ans auparavant. Seule,
elle gagnait durement sa vie, allant de petit boulot en petit boulot, payée une
misère. Un enfant, non désiré, sans argent pour le mettre en nourrice.
Alors ?
Un
article, dans le Journal d’Elbeuf et Louviers, relate, le 23 mars 1839, l’événement,
sûrement très banal en cette première moitié du XIXème siècle :
Cour d’Assise de l’Eure - Audience du 16 mars 1839
« La nommée Marie Anne Varin,
journalière, âgée de trente ans, née à Corneville (Calvados), demeurant à
Cormeilles (Eure) est accouchée clandestinement d’un enfant du sexe féminin[2],
auquel elle a donné la mort en le noyant - la misérable ! - dans un vase
de nuit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.