mercredi 17 janvier 2024

Où est Marie Louise ?



Marie Geneviève Heudebert parcourait le marché, interpellant chacune de ses connaissances, afin de savoir si elle n’avait pas aperçu sa fille, Marie Louise.

« Pensez donc, ajoutait-elle visiblement très inquiète, elle est partie ce matin à neuf heures pour quelques emplettes et il est midi passé. »

 

Pas de Marie Louise en vue, aussi la pauvre mère regagna son domicile avec l’espoir que celle-ci serait rentrée. À son arrivée, sa déception fut immense en constatant son absence.

 

Comme dans tout quartier de toute ville, la nouvelle se répandit et la curiosité, sincère ou malsaine, fit défiler pendant tout l’après-midi les voisines qui, prenant un air de circonstance, demandaient :

 «   Alors, elle est revenue ?

     Vous avez des nouvelles ?

     Ma pauvre, comme vous devez vous soucier !

     Où peut-elle bien être ? Vous avez contacté toutes les personnes que vous connaissez ?

 

Certaines autres par contre, s’en retournant, tenaient des propos beaucoup moins compatissants :

« Depuis le temps qu’elle perd la tête, il fallait s’y attendre !

     C’est y pas malheureux, qu’est-ce qui lui a pris ? Y’a longtemps qu’il aurait fallu l’enfermer !

     C’est pas étonnant avec toutes les déconvenues de ces dernières années, déjà que …..

 

Et encore et encore et blablabla et blablabla.

Une commère se doit d’être à la hauteur de ses ragots !

 

Ne voyant pas sa fille revenir, Marie Geneviève Heudebert alla prévenir son fils, Louis François, son soutien depuis le décès du père[1], et tous deux, en fin de journée de ce mercredi 27 juin 1832, se rendirent à la gendarmerie.

Une fille qui disparaît à trente ans, cela prêta bien à rire et la maréchaussée tout en se voulant rassurante, pensait grivoiseries et cela fit des gorges chaudes derrière le dos des Heudebert, mère et fils.

 

Une nuit blanche et angoissante, au cours de laquelle la pauvre femme revisita  tous ses moments passés, heureux et malheureux.

Son mariage, le 17 florial de l’an 3 de la République, avec cet homme, François Antoine Heubedert, de vingt-deux ans son aîné. Cela avait fait jaser, car il était installé dans la vie et sa boulangerie était prospère. « Intéressés les parents Dajon ! Ils ont bien marié leur fille ! », fut une  remarque qu’elle dut subir quelque temps.

La naissance des enfants, les maladies, les deuils.

Et puis, « le Deuil », celui de son époux ! Bien sûr, vivant avec un tel décalage d’âge, elle  s’y attendait, mais cela fut si soudain. Les économies s’amenuisèrent peu à peu, d’autant plus qu’elle avait à charge sa fille qui avait eu bien du malheur…..

Le lendemain, Marie Louise toujours introuvable, n’avait pas reparu dans aucun des lieux où elle avait l’habitude de se rendre. Même monsieur le Curé ne l’avait pas vu non plus. Que faire ?

 

Les gendarmes disaient :

« Il faut attendre. Elle est majeure votre fille. Elle reviendra bien. »

Oui, mais quand ? 

Le temps semblait interminable dans cette incertitude du devenir de la jeune femme.

 

Jeudi 28 juillet 1832 : rien

Vendredi 29 juillet 1832 : rien

 

L’angoisse montait d’un cran à chaque nouvelle journée sans nouvelle dans le cœur de la pauvre mère. Les voisins venaient, de plus en plus nombreux, se renseigner.

 

Devant toute l’agitation engendrée par cette disparition, monsieur le Maire fut mis au courant.

Considérant d’un peu plus près le problème et en raison de l’état de santé de la disparue, il prévint par  courrier le Préfet pour qu’il fasse circuler le signalement de la jeune femme. Quatre jours, cela faisait maintenant quatre jours, et il y avait, peut-être, là-dessous quelque acte de malveillance, d’autant plus qu’il avait appris par la rumeur que la jeune personne aurait sur elle,  la somme de cent francs. Toute une fortune !

Les gendarmes recueillirent de la famille le signalement de leur fille :

« Alors, elle est comment votre fille ? demanda le brigadier.

— En voilà une question pensa le frère qui voyant sa sœur presque chaque jour n’y faisait pas    

     plus attention que cela.

— Difficile, répondit la mère. Elle a les yeux bleus, les cheveux blonds châtains, une bouche   

     moyenne, un menton rond, un visage ovale …..

— Elle mesure combien ? reprit le brigadier.

— Bah ! Environ quatre pieds dix pouces, s’empressa de répondre  Louis François Heudebert.

     Est-ce qu’elle a des signes particuliers qui pourraient la faire identifier plus facilement ?

 

La mère réfléchit, puis affirma :

«  Elle a bien une lentille sur le côté du nez et sur les joues quelques grains dus à la petite vérole.

     Vous pouvez me dire comment elle était coiffée et vêtue ?

 

Le frère n’en sachant absolument rien, laissa sa mère répondre. Les coiffures et chiffons n’étaient-ils pas du domaine des femmes ?

 

« Oui, ce matin-là, elle était coiffée en serre-tête. Elle portait sa robe de laine de drap de dame couleur bronze vert, un tablier de laine noire avec des poches.

     Rien d’autres ?  s’enquit le brigadier.

     Elle est partie avec un panier.

     Il était comment le panier ?

     Ovale et d’environ 15 pouces de long……  et elle portait ses bijoux.

     De quels bijoux s’agit-il ?

     Des boucles d’oreilles avec de petites pierres blanches et rondes. Et aussi, ses bagues guillochées, une en or et une en métal.

     Rien d’autre ?

 

Louis François Heudebert qui avait écouté attentivement les questions et réponses prit alors la parole :

« Ma mère m’a dit qu’elle avait emporté également le continu de la boite qu’elle possédait et qui renfermait des pièces de cinq francs.

     Tiens, tiens ! lança le brigadier pensant que si la jeune femme avait pris de l’argent, c’était qu’elle avait prémédité son escapade ce qui laisserait à penser que la disparition était consentie. Ne laissant rien paraître de sa réflexion, il poursuivit :

« Et il y avait combien, vous savez ?

     Environ cent francs, affirma Louis François Heudebert.

     Bon, conclut le brigadier, rentrez chez vous, nous allons lancer une enquête et faire des recherches. Ce n’est peut-être qu’une simple fugue. Tout le laisse à penser d’ailleurs, habillée coquettement, de l’argent pour les besoins immédiats….  Nous la retrouverons !

 

Cette réflexion n’avait en rien tranquillisé les pauvres déclarants qui  imaginaient la jeune femme  dépouillée sur le bord de la route, agonisante. Dans ces cas-là, on ne pense qu’au pire.

Le 3 juillet 1832, les recherches furent lancées.

 

Mais qui était Marie Louise Heudebert ?

 

Fille de François Antoine Heudebert et de Marie Geneviève Agathe Dajon, elle avait vu le jour à Louviers le 22 novembre 1801.

« Une bien belle petite fille », se plaisait à dire sa mère, pleine de fierté.

 

Oui, mais l’enfant avait contracté la petite vérole. Pendant plusieurs jours, elle fut entre la vie et la mort. Elle survécut et, si les pustules n’avaient laissé que quelques cicatrices à peines visibles, elle avait gardé quelques séquelles neurologiques qui la rendaient imprévisible.

Demoiselle, elle travailla comme blanchisseuse et ce fut dans l’exercice de cette fonction qu’elle rencontra un jeune serrurier, Noël Louis Langlois.

Il fallut les marier, ces deux-là, car un enfant était attendu. Cela arrivait, souvent même, que les jeunes filles se marient vite, très vite. Mais loin d’être mal vu, l’état de future maman présageait que la mariée était fertile et donnerait une descendance à son époux.

 

Le mariage fut célébré le 11 septembre 1819. Oui, mais, Marie Louise fit une fausse-couche. Drame dont elle eut du mal à se remettre, d’autant plus qu’aucune autre grossesse ne s’annonçait.

Des questions se posèrent alors dans son entourage et notamment dans sa belle-famille : était-elle réellement enceinte ou avait-elle simulé pour se faire épouser ?

 

Le jeune couple qui avait emménagé chez les parents de Marie Louise commença à se quereller. Disputes de plus en plus fréquentes qui se terminaient par les hurlements, presque hystériques,  de la jeune épouse.

 

Pourtant, Noël Louis n’avait prêté aucune attention aux commentaires après son mariage. Il se montrait le plus attentionné possible et notamment lors du décès de son beau-père. À ce moment, l’espoir d’un héritier lui était revenu car ne disait-on pas qu’un décès annonçait toujours une prochaine naissance. Mais rien, si ce n’étaient les reproches et les querelles.

Alors, prétextant un emploi mieux payé, le jeune homme fit sa malle et quitta la ville.

 

Marie Louise tomba malade. Ses nerfs déjà fragiles ne résistèrent pas. Elle se remit malgré tout de tous ses maux, mais pas de celui du départ de son mari.

Elle l’imaginait, vivant avec une autre femme et son amour se transformait en une haine féroce, attisée par la jalousie.

Alors, n’y tenant plus, elle revêtit ses habits de fêtes, mit ses bijoux, prit toutes ses économies et, sans mot dire à personne, prit la première diligence.

Au diable la fierté et tant pis si elle devait affronter une rivale.

 

 

L’enquête fut vite interrompue, car Marie Geneviève Heudebert, avertie par Dieu sait qui, partit le lendemain, accompagnée de son fils, pour Beauvais afin de récupérer la fugueuse. Ils revinrent seuls, car à Beauvais, ils assistèrent à la réconciliation des deux époux.

Quelque temps après, le couple revint vivre à Louviers où il emménagea au numéro 3 de la rue du Coq.

 

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Marie Geneviève Agathe Heudebert, née Dajon, en mauvaise santé, fut accueillie à l’hospice de Louviers où elle résidait lors de son décès le 17 juin 1849 à 3 heures du matin. Elle était âgée de soixante-dix-sept ans et cinq mois.

 

Quelques mois plus tard, le 8 octobre 1849, son fils, Louis François Heudebert[2], né le 16 ventose an 7 de la République, rendait son âme à Dieu, en son logis rue neuve de la Demi-lune, à neuf heures du soir. Il n’avait que cinquante ans.

 

Noël Langlois, à Beauvais, avait fait une formation qui lui permit d’installer un atelier de fabrication de cardes. Une bonne situation qui mit le couple à l’abri du besoin.

 

Marie Louise, à son grand regret,  n’eut jamais d’enfant, mais elle fut entourée par ses neveux et nièces. L’aisance financière du couple permettant de les recevoir souvent.

 

Noël Langlois décéda le 20 mai 1868 à l’âge de soixante-dix ans, laissant Marie Louise poursuivre le chemin seule, encore de nombreuses années, car elle s’éteignit, à Louviers rue du Coq, le 13 avril 1889 à dix heures du matin, âgée de quatre-vingt-sept ans.

 



[1] François Antoine Heudebert, époux de Marie Geneviève Agathe Dajon, était décédé le 14 février 1822 à l’hospice civil de Louviers.

[2] Louis François Heudebert s’était uni à Marie Rose Désirée Lefèvre, le 26 octobre 1818 – trois enfants étaient nés de leur mariage : Louise Justine, Louis Alexandre, Louis Joseph.

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