mercredi 28 août 2024

Les sorcières de Bergheim - Chapitre 3 : Barbara Pförzel


 

C’était une vieille femme qui, malgré son grand âge, effectuait encore des lessives pour les autres, au lavoir, été comme hiver. Et le soir, à la lueur des flammes de la cheminée, elle cousait pour quelques florins. C’était une vieille femme boiteuse qui avait eu bien des malheurs dans sa vie. Mais quel courage elle avait !


Voilà qu’un jour, elle fut accusée de sorcellerie, elle qui n’aurait fait de mal à quiconque.  

Sorcière, elle ?

Elle nia avec fermeté. Non, elle n’était pas une sorcière !     


Devant son déni, elle fut remise entre les mains du bourreau dont les traitements faisaient avouer même les plus coriaces.

Comme les autres, elle raconta...


Elle avait commis l’adultère avec un certain Hermelé. Un homme austère dont le corps était « tout froid » comme la glace emprisonnant l’eau de la mare en hiver. Celui-ci lui avait remis une pochette, contenant, lui avait-il dit, 10 florins. En fait, elle découvrit qu’il s’agissait de crottin de cheval. Elle avait reçu aussi de cet amant, une poudre qui lui permettrait de se venger des personnes lui faisant du mal. Elle n’avait qu’à ajouter cette poudre aux copeaux de savon.

Mais elle ne s’en était jamais servie.

Elle était intarissable...

Et puis, elle s’accusa d’avoir assisté à une messe diabolique non loin du château de Reichenfeld.

Que souhaitaient-ils encore entendre ces juges du Tribunal des Maléfiques ?

Elle pouvait encore leur en conter, si cela leur faisait plaisir.

Elle n’avait plus rien à perdre, autant que ce procès se terminât au plus vite, qu’on en finisse.

Ah oui, au fait, elle se déplaçait en volant à califourchon sur une truie rouge !

Bizarrement, cette dernière affirmation fut confirmée par un témoin. Un témoin qui avait peut-être trop bu ce soir-là, mais aucun juge ne se posa la question.


Cette pauvre vieille femme, tout à fait innocente des accusations dont elle était la cible, se nommait Barbara Pförzel, et elle périt dans les flammes le 28 juin 1586 à Bergheim.

Labourer ?

 


 








Labourer possède la même origine que labeur, à savoir :

Laborare (latin médiéval) :

  • ·         Travailler – se donner de la peine.

Mais aussi

  • ·         Mettre en valeur – cultiver.

Jusqu’au XVIIème siècle, on ne labourait pas, on labeurait, mot utilisant le mot labeur.

 

Labourer, travail pénible, a été très vite attribué au travail agricole, celui de retourner la terre au moyen d’instruments aratoires. De ce fait, il supplanta le verbe arer.

 

 Labourer peut être employé pour :

  • ·         Une ancre qui laboure, qui ne tient pas au fond (1534).
  • ·         Se labourer le visage (1873) : se griffer.

 

Labourer donne un labour :

  • Qui est le produit de la terre labourée, puis au XVIème siècle, une terre labourée.

 

Le laboureur, synonyme de paysan, qui avant (vers 1118) portait le nom de loreür, celui qui travaille, qui produit quelque chose.

Régionalement, le taupe-grillon, vers 1611, n’était autre que le laboureur. Le travail de ce dernier, dérangeait-il les grillons et les taupes ?

 

Un labourage :

  • ·         Travail de la terre (vers 1225).
  • ·         Travail des champs (1250).
  • ·         Action de retourner la terre pour la cultiver (1552).

 

Labourable (adjectif) :

·         Cultivable (1308).

·         Qui peut être labouré (1552).

 

 

Le laboureur et ses enfants de Jean de la Fontaine

Un hymne au travail, à l’effort.....

Point de trésor, mais le gain grâce au labeur.

 

Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.

Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.



Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

mercredi 21 août 2024

Le labeur ?

 


Un mot épuisant, rien qu’à le prononcer !

Le labeur fut, vers 1120, orthographié labur.

Il provient du latin labor : travail, mais un travail avec une notion d’épreuve, d’effort intense.

Labor, du verbe laborare : travaux pénibles.

 

Un mot qui pourrait être apparenté à labare, signifiant : charge importante.

 

En 1155, le labeur désignait une peine, une affliction, un malheur. Ce mot prit ensuite le sens de travail pénible.

Aujourd’hui, synonyme de travail, il est d’usage littéraire.

 

1730, le labeur en imprimerie nomme un travail de composition et d’impression conséquent. Les ouvriers œuvrant aux labeurs prirent, en 1874, le nom de labeuriers.

 

Autres mots découlant de labeur :

·         Laborieux ou laborieuse (adjectif) qui demande de la peine – qui se donne au travail.

Puis de nos jours : qui travaille beaucoup, qui coûte beaucoup d’efforts.

 

·         Une expression datant de 1845 : « la classe laborieuse » en parlant des travailleurs, expression appartenant au vocabulaire socialiste, puis marxiste.

 

·         Laborieusement (adverbe – 1489) : cet adverbe se disait laboureusement en 1361.

 

Labeur.... labour...... labourer.

Quel lien entre ces mots ?

À suivre ......

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

Les sorcières de Bergheim - Chapitre 2 : Anna Weckenzipfel



L’histoire d’Anna Weckenzipfel est incroyable.

Mais en cette fin de XVIème siècle, elle parut tout à fait crédible.....

 

Comme beaucoup de femmes, Anna Weckenzipfel connaissait le pouvoir des plantes. Elle s’en servait régulièrement pour soigner les siens et aussi ses proches voisins.

Ses remèdes n’avaient rien de magique, ils étaient le résultat de l’observation de la nature depuis des générations.

Ce fut ainsi qu’elle soigna et guérit Jacques Potter, habitant une maison proche de la sienne.

Pourtant, elle avait des raisons de lui en vouloir à cet homme ! En effet, il lui avait tué une de ses poules d’un coup de fusil.

Personne ne fut réellement au courant des circonstances de ce déplorable accident. Était-il volontaire ? Était-ce un accident ?

Ce qu’on retint, ce fut la mort de la pauvre volaille.

 

Quelque temps plus tard, allez savoir pourquoi, Jacques accusa la dame Wickenzipfel de lui avoir insufflé un mal à l’aide d’une baguette.

Pourtant, cet homme avait l’air en pleine santé.

De quel mal pouvait donc souffrir l’homme Potter ?

 

Enfin, ce que retint la justice, c’était qu’Anna se servait d’une baguette qui possédait des pouvoirs maléfiques. Et de pouvoirs maléfiques découlait le mot « sortilège », engendrant un autre terme : sorcière !

 

Et voilà, comment Anna se retrouva interrogée par les juges de la « Cour des maléfices ».

 

Au cours des interrogatoires, la femme Weckenzipfel conta une étrange histoire.

Elle se trouvait dans les vignes lorsqu’un inconnu tout vêtu de noir s’approcha d’elle :

« Si tu me suis, tu n’auras plus à faire ce dur travail », lui dit-il.

Anna le repoussa, mais l’homme fut plus fort qu’elle. Il la bouscula, la fit tomber sur le sol et abusa d’elle.

Elle ne put rien faire pour se défendre, même pas crier. D’ailleurs comment aurait-elle pu faire, n’avait-il pas plaqué une de ses mains sur sa bouche ? Une main froide, horriblement froide, comme la glace en hiver.

Avant de partir l’homme lui avait jeté une petite bourse :

«  Je te donne en cadeau ce petit sac contenant des thalers, mais tu dois dorénavant renier ton dieu et me servir. »

 

Les juges l’écoutaient, déjà convaincus de sa culpabilité. L’un d’eux prit la parole :

« Et cet homme, vous a-t-il donné son nom ?

        Il a dit s’appeler Kochlöffel[1] .

        Combien y avait-il dans le sac ?

        Lorsque je l’ai ouvert en rentrant chez moi, il était rempli de crottin de cheval.

        Avez-vous revu cet homme ?

        Oui, trois jours plus tard. Toujours au vignoble où je travaillais.

 

Et alors, Anna poursuivit son récit, expliquant que ce jour-là, Kochlöffel lui avait remis une baguette, en lui précisant :

« Si quelqu’un te fait du mal, tu n’auras qu’à le frapper de cette baguette en invoquant mon nom et la personne sera frappée de paralysie. »

 

Anna pensa tout de suite que ce serait une belle vengeance envers Jacques Potter. Ne lui avait-il pas abattu une de ses poules ?

 

Dans la demeure d’Anna Weckenzipfel, il fut bien retrouvé une baguette.

Une baguette qui, selon ses dires, lui servait aussi de monture pour se rendre à des réunions de sorcières, près de Saint-Hippolyte.

 

Cette dernière confession fut décisive !

Le jugement fut irréversible.

La peine de mort !!!

Le 28 juin 1586, Anna Weckenzipfel périt brûlée vive dans la ville de Bergheim !



[1] Traduction de kochlöffel : cuillère à pot.

mercredi 14 août 2024

Les sorcières de Bergheim - Chapitre 1 : Marguerite Möwel

 



Une mauvaise récolte. Des bruits annonciateurs de guerre.

Un contexte engendrant la peur et faisant ressurgir les superstitions.

 

La famille Möwel était une des plus considérées de la ville de Rorschwihr, proche de Ribeauvillé, Sélestat et Colmar[1].  Parmi ses membres, une jeune femme était montrée du doigt.

Elle se prénommait Marguerite. Elle ne semblait être que l’ombre d’elle-même, toujours maussade.

Son attitude lui avait valu un surnom : la boudeuse.

 

Il faut bien avouer que cette jeune femme n’avait pas eu de chance. Son promis avait rompu leurs fiançailles pour épouser, vous ne devinerez pas qui : sa cousine.

Elle avait aussi eu un enfant, alors qu’elle n’était pas mariée.

La venue de l’enfant n’avait-elle pas été à l’origine de la rupture des fiançailles ?

 

Marguerite s’était donc éloignée peu à peu des autres, se repliant sur elle-même.

Vivre en retrait des autres, mauvais signe !

Les langues s’activèrent.

Qu’avait-elle à cacher ?

 

Et ce fut ainsi que les pires ennuis – encore et toujours – s’abattirent sur la pauvre Marguerite.

Trois conseillers de la ville l’accusèrent d’avoir commis des maléfices.

Marguerite fut arrêtée et présentée devant la « Cour des maléfices », qui lui fit subir l’épreuve de l’estrapade, un des pires supplices de l’époque.

Bien sûr, Marguerite avoua avoir eu « commerce avec le diable » qui s’était présenté à elle sous le nom de Rolland.

Avec cet aveu, elle venait de signer son arrêt de mort.

 

Le 29 mai 1586, menée sur le chemin des bestiaux, à environ un kilomètre de Bergheim sur la route menant à Sélestat, Marguerite fut attachée à un poteau entouré de fagots de bois auxquels le bourreau, venu spécialement de Colmar, assisté de ses aides, mit le feu.

Marguerite Möwel périt dans les flammes devant tous les habitants de Bergheim venus assister au spectacle.

Quelle cruauté !

 

Le temps passa. Un an... deux ans... peut-être trois.....

Puis un jour, une paysanne vint se plaindre d’avoir été violée, alors qu’elle travaillait dans un champ.

Le violeur fut arrêté et reconnu les faits dont il était accusé.

Comme excuse, il expliqua : « j’ai trouvé la femme jolie ! »

Il avoua que ce n’était pas la première fois !

Pour lui, tout cela était naturel.

Et si cet homme était le nommé Rolland ?

 

N’était-ce pas cet homme, ce violeur, qui aurait mérité de périr sur le bûcher ?

Rien sur un quelconque procès le concernant !

Quelle honte !

  

Quel est ce supplice nommé « l’estrapade » ?

 Méthode de torture inventée par les Italiens et en usage jusqu’en Russie et que François 1er ramena des guerres d’Italie.

Châtiment que les Italiens appelaient urlo soit « le hurlement ».

Les bras attachés dans le dos par des cordes, le supplicier était hissé en haut d’un mât et suspendu dans le vide. Le bourreau le laissait alors tomber, arrêtant la chute brusquement avant que le corps touche le sol. Opération répétée plusieurs fois.

Des poids allant de 60 à 125 kgs était parfois fixés aux pieds de la pauvre victime, entraînant la dislocation des épaules, voire l’arrachement des bras.

Cette horrible torture fut, largement, utilisée par l’Inquisition.

Ce fut Louis XVI qui abolit l’estrapade en 1776.

 

Comment pouvait-on être aussi cruel ?



[1] Rorschwihr, ville située  à  5 km de Ribeauvillé, à10 km de Sélestat et à 15 km de Colmar.

 

Un gringalet ?

 


Un gringalet

Nom et adjectif.

 

Ce mot est attesté depuis 1611, au sens de « bouffon amusant ».

 

Ce terme, proviendrait, mais sans certitude aucune, de :

·         Gränggeli (Suisse Allemande) introduit en France avec l’arrivée des troupes de mercenaires suisses : homme peu considérable – homme chétif.

·         Gringalet (ancien français – 1165-1170) : beau cheval.

 

Gringalet, nom du cheval de Gauvain dans l’Erec de Chrétien de Troyes.

 

Si le mot gringalet est encore utilisé aujourd’hui, il a perdu son sens de « beau cheval » pour reprendre le sens « d’homme chétif ».

 

Gringalet possède un féminin : gringalette, mais ce féminin n’est pas utilisé.

 

Quand un gringalet rencontre une gringalette, ils ne peuvent que parler de Gringalet, le fier destrier !

 




Complément :


Gringalet, solide destrier, appartenait à Sir Gauvain, personnage de la légende arthuriennne.

Sir Gauvain, neveu du roi Arthur, fils du roi Lot d’Orcanie et de Morgause. Chevalier de la Table Ronde.







Chrétien de Troyes - né vers 1130 et mort entre 1180 et 1190 - écrivain, romancier et poète. Il est considéré comme le fondateur de la littérature arthurienne écrit en ancien français.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

jeudi 8 août 2024

Bergheim

 


Je vous propose de vous emmener pour une petite promenade en Alsace et plus exactement dans la commune de Bergheim, à 17 kilomètres au nord de Colmar et à dix kilomètres de Sélestat.

Bergheim se trouve également sur la route des vins.

Ce n’est pas pour vous parler « vins » que je vous invite à effectuer cette petite balade, mais parce que cette ville a une triste réputation : le nombre très impressionnant de condamnations de femmes pour faits de sorcellerie.

Pas moins de quarante-trois femmes, brûlées vives après des simulacres de procès vite bâclés, entre 1582 et 1630, dont vingt-deux en 1630 sur une période de cinq mois.

Pas glorieux !

 

Le temps d’effectuer un petit recensement et je vous raconte tout cela dans le détail, à partir de la semaine prochaine.