jeudi 15 août 2019

HISTOIRE VRAIE – DANS LE PARIS DE 1901 - le procès de Manda



30 mai 1902 – Cour d’Assises de la Seine – le procès
A chacun sa vérité... je vous laisse juge !


La salle d’audience bien que bondée, on se bousculait encore pour entrer. Les forces de l’ordre repoussaient le flux  des personnes tenant absolument à entrer. On voulait entendre. On voulait voir.
Cette frénésie s’expliquait par les nombreux articles de presse étalés dans les divers journaux depuis plusieurs mois, décrivant avec force détails les accrochages, les rixes, les tentatives de meurtres et le sang qui coulait, entre deux bandes rivales.
Une vraie publicité journalistique qui avait fait de ces délinquants de petites zones, de ces petites frappes ne payant pourtant pas de mine, des héros aux exploits fabuleux et tout cela pour « l’amour d’une belle blonde », qu’un journaliste inspiré avait baptisée « Casque d’or », tout comme il avait nommé  ces mauvais garçons, les « Apaches », en raison de leurs ruses rappelant celle de ces Indiens d’Amérique du Nord.
Un véritable « roman à l’eau de rose », mais qui lors du procès ne se révéla, malheureusement, pas à la hauteur de cette publicité, surtout pour les jeunes femmes qui rêvaient, en douce, se voir être l’enjeu de tant d’amour !
Egalement dans le public, des dames de la « haute bourgeoisie », en toilettes printanières se pressaient, bataillaient même, pour être assises à la meilleure place, pour voir, savoir. Une manière de s’encanailler en toute légalité, sans doute.
Tous les regards se tournaient vers le box des accusés, dans lequel trois hommes comparaissaient sous l’accusation de tentative d’homicide.

Il y avait donc là :
Joseph Pleigneur dit Manda, vingt-six ans, la terreur de Belleville dénommé ainsi dans le 20ème arrondissement de Paris, mais qui n’avait rien pour faire frémir.
Trapu, d’une grande laideur, il possédait une tête volumineuse bombée par derrière, un nez écrasé, une mâchoire inférieure proéminente, des yeux petits et ronds.
Pour l’occasion il s’était correctement vêtu d’un complet veston gris-clair et d’une chemise à col blanc cassé aux angles.
Il avait connu la maison de correction jusqu’à sa majorité, ce qui ne l’avait pas raisonné pour autant puisqu’il avait effectué, depuis, de nombreux mois de prison.
Louis Heil, âgé de vingt-et-un ans, avait le même passé que Joseph Pleigneur, ayant, lui aussi, séjourné dans « une école pénitentiaire » jusqu’à sa majorité.
C’était un gros gaillard, court, rond, imberbe, avec un air plutôt doux.
Maurice Ponsart, dit le Petit Rouquin. Agé de vingt ans, il n’avait aucun antécédent judiciaire et comparaissait pour la première fois devant un tribunal.
Un garçon très pâle, imberbe, des cheveux roux-fauve qui lui avaient valu son sobriquet de Petit-Rouquin. On lui aurait donné le « Bon Dieu sans confession », mais certains ne se privaient pas d’affirmer qu’il aurait fait mourir sa mère de chagrin.

L’audience débuta à midi, présidée par Monsieur le Conseiller Chérot. Le Ministère Public était représenté par l’avocat général Trouant-Riolle.
Les avocats de la défense, au nombre de trois, se nommaient Maîtres Belley, Salmon et Lavigerie.

Le Président Chérot demanda aux accusés de décliner leur identité, puis énonça les faits avant de procéder aux interrogatoires.
Le premier mis sur la sellette, fut Joseph Pleigneur et la première question concernait ses moyens d’existence et notamment certains, voire la totalité, de ses revenus qui lui viendraient de la fille  Elie.
Joseph Pleigneur s’insurgea aux insinuations du président.
Non, il n’était pas un souteneur, il avait un métier, polisseur sur métaux, même si il se trouvait de temps à autre au chômage.
« l’Amélie  me donnait parfois vingt sous, pour mon tabac. Rien de plus. C’est  pourtant pas défendu de vivre avec une fille ! »
A cela le président rétorqua, non sans humour :
« Non, ce qui est défendu, c’est de recevoir son argent. Si il fallait poursuivre tous ceux qui vivent avec des filles, ce ne serait pas possible, il y en aurait trop ! »
Après cette remarque qui souleva quelques rires dans la salle, le président Chérot poursuivit :
« Sur les quatre années pendant lesquelles vous viviez, vous et mademoiselle Elie, en couple, vous n’avez travaillé que deux ans. Ne niez pas ! Votre maîtresse payait votre loyer et vous donnait de l’argent.
-          Oh, par exemple ! s’exclama Manda, elle aura pas le toupet de le dire devant moi ! j’ai resté quatre ans avec elle. J’ lui ai seulement jamais porté une seule fois la main d’ssus. C’est des racontars de Leca qui m’en veut.
-          C’est plutôt vous qui lui en voulez d’avoir pris votre maîtresse.
-          J’ai jamais eu de jalousie pour la fille Elie.
-          Oh, je ne parle pas de jalousie ! Mais en vous enlevant votre maîtresse, il vous enlevait votre soutien.
-          Je travaillais. Elle m’a peut-être prêté quelquefois vingt sous, quarante sous, pour acheter du tabac, mais pas pour m’ nourrir.

L’interrogatoire porta ensuite sur l’agression du 30 décembre, rue Popincourt.
Joseph Pleigneur démentit avoir commencé le premier, comme il l’avait déjà raconté le 13 février dernier, au juge d’instruction Le Poittevin.
Il ne varia pas d’un mot. Leca avait tiré un coup de revolver qui ne l’atteint pas, précisant :
« C’est alors que je lui ai porté un coup à la tête, sans lui faire grand mal d’ailleurs.
-          Des témoins affirment le contraire. Ils vous accusent formellement bien que Leca soit revenu sur ses accusations. Pourquoi ? Par crainte ? Nous l’ignorons !

Le président prit une feuille sur son bureau et s’adressant à l’accusé :
«  J’ai là le rapport du docteur Socquet qui a examiné la blessure de ..... Leca après l’agression. Ce rapport affirme que le coup porté à la nuque était un coup de couteau.
-          Un coup de couteau ! s’exclama Manda. Ça c’est la meilleure ! C’est avec une clef que j’ l’ai frappé.
-          A la suite de cette agression, Leca a déménagé, rue Godefroy Cavaignac où vous êtes venu le relancer. Vous avez d’ailleurs fait usage de votre arme à feu.
-          Si j’y suis allé, c’est que l’ Leca m’avait écrit. Il voulait m’ parler. Alors j’y suis allé. Mais pas d’ coup de revolver. C’est c’ jour-là que l’ Leca m’a dit : « C’est maintenant entre nous un duel à mort », j’ lui ai répondu : « C’est accepté. Comme tu voudras ! »

Puis, le président en vint à la tentative de meurtre du 9 janvier 1902.
Manda précisa :
« Leca est un homme qui attaque tout le temps, un être malfaisant. Il a le vice du revolver dans l’ sang. »
A cela, il lui fut répondu par le président :
« Enfin, à toutes les bagarres où Leca a été blessé[1], vous étiez présent. Vous le reconnaissez ?
-          Oh, j’ sais bien. J’ai tout contre moi. L’opinion publique est contre moi. Les circonstances sont contre moi. Leca m’a pris une femme que j’avais eu quatre ans et j’étais là quand on l’a poignardé, seulement, c’est pas moi ! Je n’ai jamais eu de haine contre Leca. Certes les apparences sont contre moi, mais je suis innocent. Telle est la vérité.
-          Leca se croyant alors mourant a tout de même révélé à son père que c’était vous qui l’aviez frappé. Un mourant ne peut mentir.
A la dernière réplique du Président, manda répondit, sans sourciller :
« Leca avait menti plusieurs fois, alors pourquoi pas aussi cette fois-ci. D’ailleurs, Leca, il a été arrêté en Belgique pour tentative de meurtre[2]. C’est donc un individu malfaisant. Rien d’étonnant à ce qu’il ait voulu se venger de moi en m’accusant.

Le président procéda ensuite à l’interrogatoire des deux autres prévenus, Heil et Ponsart.
Les réponses qu’il obtint n’apportèrent rien de précis pouvant éclairer les circonstances des faits.
Heil eut le même système de défense que son chef. Ce n’était pas lui. Il n’était au courant de rien.
Ponsart non plus ne savait rien et n’avait rien fait d’ailleurs. N’avait-il pas, lui-même été blessé d’une balle dans le dos :
« Oui, moi qui ne ferais pas de mal à qui que ce soit, qui n’a rien à se reprocher. Je suis blessé et par-dessus le marché, arrêté ! C’est à n’y rien comprendre ! déclara-t-il d’un ton indigné.

Il ne restait plus qu’une seule personne à faire venir à la barre.
Elle était très attendue d’ailleurs.
N’était-ce pas pour elle qu’autant de monde s’était déplacé ?


.........................  à suivre  ...................



[1] Evocation de l’attaque de la rue d’Avron : Leca blessé de deux balles de  et transporté à l’hôpital Tenon – Tentative d’assassinat de la rue de Bagnolet, pour laquelle les trois hommes comparaissaient.
[2] Leca s’était réfugié en Belgique. Voilà pourquoi il n’avait pas plus être entendu comme témoin lors du procès de Manda. Nous verrons pourquoi il était recherché par la police un peu plus avant dans le récit.

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