jeudi 29 août 2019

HISTOIRE VRAIE - ELBEUF SUR SEINE - 1911






Incendie en pleine nuit.
Février 1911



En rentrant chez lui à une heure avancée, dans la nuit du dimanche 26 au lundi 27 février, Jules Veret[1]  perçut, en passant sur la place du Coq, une lueur qui attira son attention.
Instinctivement, il leva les yeux vers le haut de la façade du magasin « A Sainte Marie », là où lui semblait provenir cette clarté. Son cœur se glaça et il mit quelques secondes à réaliser qu’elle provenait d’un début d’incendie dans les combes du magasin où étaient entreposées les réserves.
Malgré la fatigue de sa longue journée, il se précipita vers la caserne des pompiers située dans la cour de la poste.
Tout alla alors très vite. D’ailleurs il n’y avait pas de temps à perdre, car déjà à l’arrivée d’une première équipe de pompiers, dirigée par le capitaine Martin, la toiture de l’immeuble était déjà embrasée.      
Pour faire face à ce sinistre, un  matériel conséquent fut déployé. Non seulement, il fallait circonscrire le foyer incendiaire, mais également préserver les commerces et habitations mitoyens.   
Quelle batterie !  
Quatre lances à incendie, rue du Coq.
Le même nombre à l’angle de la rue de la République et du Centre.
Trois autres à l’angle des rues de la Nation et Jacquard.

Pendant que les hommes du service d’incendie menaient une bataille acharnée, le receveur principal des postes, Monsieur Delacour, appelait la caserne de Caudebec-lès-Elbeuf, afin de demander du renfort.     

Déjà un attroupement de curieux que les agents de la sécurité de la ville avaient bien du mal à maîtriser grossissait aux abords du sinistre.
Malgré les recommandations de prudence, souhaitant voir avant les autres, certains s’approchaient dangereusement, poussés par une curiosité quelque peu déplacée.
« N’approchez-pas ! L’endroit est dangereux !
-          Reculez ! Vous gênez les secours !   

Rien n’y faisait.  Les yeux rivés sur les flammes, tous ces badauds réveillés en plein sommeil voulaient être là, aux premières loges, comme au spectacle. Les commentaires allaient bon train.


Le lieu de départ du feu, le magasin « A Sainte Marie », appartenait à monsieur Fayette. Ce grand magasin prospère employait trente personnes qui allaient, en raison de cette catastrophe, se retrouver sans emploi.
Faisant partie d’un bloc commercial, à ses côtés, se situaient d’autres magasins, comme la pâtisserie Rouen que les flammes dévoraient avec appétit, mais bien moins goulûment que le magasin de vannerie de Mademoiselle Vivien contigu à la pâtisserie. Il était vrai que ce second endroit comptait matière à embrasement.

Le débit de Madame Lebret ne fut pas épargné non plus.
Plus le brasier s’étalait, plus il montait en intensité.
Les flammes, pourtant, furent maîtrisées avant de s’étendre au magasin de mode de mademoiselle Lemoine.

Les sapeurs-pompiers se démenaient. Il fallait faire la part du feu, aussi percèrent-ils des trous dans le mur d’un immeuble mitoyen, appartenant à Madame Houiller, pour stopper l’avancée du feu de ce côté.

Vers une heure du matin, l’équipe de Caudebec-lès-Elbeuf, sous le commandement du capitaine Albert Vaas[2], installa trois lances dans la cour du bureau de bienfaisance.

C’était devenu une vision apocalyptique. Des flammes et bouquets d’étincelles engendrés par la chute des étages et de pans de mur auréolaient le spectre des maisons torturées. Un bruit infernal produit par le crépitement et les explosions des divers matériaux, par l’éclatement des vitres, auxquels s’ajoutaient les cris, pleurs et lamentations de la foule et surtout des habitants des lieux qui, au fur et à mesure de l’amplitude que prenait le sinistre, avaient émergé de leur sidération et réalisaient l’étendue de leur malheur.

Sur place, plus que jamais pour maintenir l’ordre et la sécurité :
·         Les gendarmes sous le commandement du Lieutenant Garnier.
·         Les troupes, sous les ordres du commandant Guery.
·         Les agents de sécurité, avec à leur tête Monsieur Léon, commissaire de Police.

« Mais je ne vois pas monsieur le Maire ? dit une femme en chemise de nuit, en scrutant alentour les officiels présents.
-          C’est vrai ça ! rétorqua une autre, où c’est qu’il est !
-          Y parait qu’on est parti le chercher chez lui, mais qu’il n’a pas répondu, ajouta une troisième qui semblait bien renseignée.

En effet, dès le début de ce désastre, quelqu’un était allé quérir le premier magistrat d’Elbeuf, comme il se devait. Il avait carillonné à la porte, mais personne n’avait répondu. Dans son premier sommeil, Monsieur Charles Mouchel[3], n’avait rien entendu.
Il en fut d’ailleurs bien désolé et alla présenter ses excuses aux sinistrés, dès le lendemain matin.
Cette absence fut remarquée et largement critiquée par l’opposition, bien évidemment.


Un peu après une heure du matin, un hurlement mit la foule en émoi :
« Sauve qui peut ! »
La fin de cet avertissement se noya dans le fracas de la chute d’une grande partie de la façade bordant la rue de la République.
Dans sa chute, le mur renversa un lourd pylône électrique en fonte. Crépitements, étincelles, puis tout le nord et l’ouest de la ville d’Elbeuf plongèrent dans le noir. Une terrible déflagration, ensuite, due à l’explosion d’un compteur à gaz.
Un enchaînement dramatique qui se poursuivit par l’affaissement de murs dont les pierres avaient été chauffées ardemment, créant un mouvement de panique dans la foule dont les yeux rivés sur cette incroyable catastrophe,  observaient la façade de l’immeuble osciller dangereusement, comme prise de convulsions sous la morsure du feu.
Un tableau aux nombreux rebondissements sorti tout droit de l’enfer et qui était loin de s’achever, comme purent le constater les personnes présentes, car ....
Un pompier, Albert Auvrard, n’écoutant que son courage et faisant fi de tout danger, sauta sur l’appui d’une fenêtre du rez-de-chaussée armé d’une hache avec laquelle il se mit à défoncer volets et cloisons afin d’opérer une ouverture permettant de noyer les décombres pour étouffer le feu à sa base. Voyant les pierres du mur se désolidariser, il sauta à l’intérieur de l’immeuble avant que la façade ne s’abatte sur la chaussée de la rue de la République.
Hurlements !
Frissons de terreur !
Silence pesant dans la foule !
Albert Auvrard ne pouvait qu’avoir péri écrasé sous l’amas des blocs de pierre incandescents. Son corps serait retrouvé noirci et méconnaissable dans les ruines encore fumantes.
Hourras de victoire !
Applaudissements de soulagement !
Le héros du feu venait de réapparaître dans le vide et l’absence totale du mur, indemne bien qu’un peu sonné par le fracas de l’effondrement.

Vers les trois heures du matin, le feu sembla perdre de son intensité. Bref répit. Des flammes jaillirent avec violence par la toiture du débit de Madame Lebret. Par chance, elles furent maîtrisées rapidement.

Une heure plus tard, le spectacle s’achevait enfin ! Les curieux s’en allèrent se remettre au lit, en commentant ce qui venait de se produire.
Quant aux pompiers, après leur combat démentiel, commençaient, pour eux à présent, de longues heures de surveillance. Il fallait éviter que quelques braises couvant sournoisement ne reprennent de l’ampleur.

Une surveillance qui ne fut pas de tout repos en raison de fortes bourrasques de vent provoquant de   nombreuses reprises de feu, comme notamment vers les cinq heures du matin, au premier étage du 81 rue de la Nation, dans l’appartement de Madame Lebret, ainsi qu’au premier étage de la maison de Mademoiselle Vivien.
Attention extrême et précieuse aussi, lorsque le grand mur du bâtiment incendié, d’une hauteur de quatre étages, donnant sur la cour de Monsieur Rouen, qui, en s’affaissant, endommagea le mur mitoyen de la propriété de Madame Veuve Houlier.
Et encore, lorsque qu’il fallut intervenir sur cette conduite de gaz en plomb d’un diamètre de quarante millimètres, qu’un sapeur dut aller écraser sous un mètre d’eau dans le sous-sol de l’immeuble.
Et puis aussi, une grande vigilance, en raison des va-et-vient des badauds, venant constater le résultat du sinistre.

 
Un lourd bilan.
Huit cents mètres-carrés de surface complètement anéantis, laissant un amoncellement de poutres noircies, barres métalliques, pierres calcinées, objets informes....
Des dégâts dont la première estimation s’élevait à sept-cent-mille francs, mais qui pourraient se révéler être bien au-delà de cette somme.



Mais par chance, aucune victime !
Un vrai miracle !
Deux pompiers, toutefois, Messieurs Vassout et Albert Auvrard eurent quelques contusions, mais l’examen du docteur Grosclaude[4] ne décela rien de grave. Ils furent soignés par monsieur Neveu, pharmacien à Elbeuf.
A déplorer le malaise de monsieur Fayette, propriétaire du magasin « A Sainte-Marie », qui fut ramené chez lui où il garda le lit plusieurs jours.

Un constat
Cet épisode dramatique fut l’occasion de voir l’utilité de la grande échelle acquise en juillet 1910 et affirma  la nécessité de doter cette ville industrielle d’une pompe à vapeur.

A déplorer.....
Le mauvais état du matériel des pompiers dont beaucoup de tuyaux, percés, laissaient échapper l’eau, privant les lances d’une pression indispensable.
La suppression de la sonnerie de clairon avertissant la population en cas de danger. Avec cette sonnerie Mademoiselle Vivien, chez son neveu à deux cents mètres de son domicile, alertée, aurait pu sauver quelques papiers utiles avant que son logement ne parte en fumée et monsieur le Maire aurait été efficacement réveillé.

Mais avec des « SI », ne referions-nous pas le monde !!










Texte écrit à partir d’un article découvert dans
« le journal de Rouen »,   
en date des 27 et 28 février et 1er mars 1911.
Illustrations : « Mémoire en Images » - Elbeuf - Des évènements et des hommes – tome 2 de Pierre Largesse – Editions Alan Sutton – septembre 2006


[1] Jules Raymond Veret – mécanicien – né le 14 juillet 1878 à Elbeuf – habitait 10 rue des Moulins à Elbeuf.
[2] Louis Albert Vaas – né le 30 juin 1872 à Caudebec-lès-Elbeuf.
[3] Charles Mouchel né le 4 février 1855 à Elbeuf. Après être entré dans l'industrie avec son père, il se consacre à l'enseignement (professeur de mathématiques à la Société industrielle et au Petit Lycée). Élu conseiller municipal en 1892, il est nommé maire d'Elbeuf le 17 octobre 1894. Aux élections législatives de 1910, il est élu député au second tour, inscrit au groupe des Républicains socialistes. Il se suicide dans sa mairie d'Elbeuf le 22 octobre 1911.
 [4]  Victor Alphonse Grosclaude né le 24 août 1845 (Besançon) - Décédé le 8 février 1917 –(Elbeuf).


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