mercredi 27 novembre 2019

HISTOIRE VRAIE - DES SIECLES D'EMPOISONNEUSE



L'AFFAIRE LAFARGE


Chapitre 7


La première audience[1], pour « vol », devait se dérouler au Tribunal Correctionnel de Brives-la-Gaillarde, le 9 juillet 1840.
L’audience avait été annoncée pour onze heures.

Déjà depuis la veille, voire l’avant-veille, tous les hôtels affichaient complet, et le matin même, dès trois heures, de nombreux curieux s’étaient déjà amassés devant le nouveau palais de justice.
A dix heures, la salle était déjà comble.
Pour accéder aux places des trois premiers rangs, il fallait posséder un carton de réservation, comme au théâtre. N’avaient eu droit à ce privilège que les « femmes du monde ». Elles étaient là toilettées comme aux grands jours, venues pour voir, mais aussi pour être vues.

Les plaignants, également présents, se trouvaient auprès de leurs défenseurs.
Tous les regards étaient tournés vers eux. Il y avait, drapés dans leur dignité et leur bon droit :
·         Madame Marie Leautaud, née de Nicolaï, constituée partie civile représentée par Maître Coralli, avocat, assisté de Maître Miallet, avoué. Elle était accompagnée de son mari. Une jeune femme belle et distinguée, habillée avec élégance. Elle paraissait souffrante, mais n’était-ce pas en raison de son état de grossesse arrivant à son terme ?
·         Monsieur et madame de Leautaud – père et mère.
·         La famille Nicolaï.
·         Madame Lafarge-mère, le visage sévère, l’œil noir.

A onze heures et dix minutes, Marie Lafarge, apparaissait entre deux gendarmes. Elle s’installa sur le banc des accusés juste au-dessus du banc des avocats où déjà, Maître Théodore Bac et Maître Lachaud, ses deux avocats, assistés de Maître Peyredieu, avoué, avaient pris place.

Puis, arrivèrent les magistrats.
·         M. Lavialle de Masmorel, Président.
·         M. Dumont de Saint-Priest, du ministère public.
·         M. Rivet, procureur du roi.

Ce jour-là, rien.
Les débats et plaidoiries tournèrent autour d’une seule question :
« L’accusation pour vol, ne devait-elle pas être jugée, après l’accusation pour empoisonnement ?

A la fin des débats, Maître Peyredieu déposa une demande de sursis qui fut rejetée, après une courte délibération d’une demi-heure.
Les raisons étant que le vol était antérieur à l’empoisonnement et que les deux affaires ne dépendaient pas de la même juridiction.
M. le Président déclara que le prononcé du jugement était renvoyé au samedi 11 juillet.
Fin de l’audience.

Madame Lafarge, par la voix de son avocat, fit appel.



Audience du 11 juillet 1840

Un peu moins de monde que l’avant-veille, un tout petit peu moins....
Sauf du côté des « dames du grand monde » qui, endimanchées de plus belle, affichaient toilettes aux teintes roses et blanches et chapeaux volumineux.
L’atmosphère était palpable dans l’enceinte de la salle d’audience. Une bagarre s’engagea, une dame se trouva mal et il fallut l’intervention des forces de l’ordre pour que le calme revînt......

Onze heures, quarante-cinq minutes, l’audience commença.

Il fut question de la demande d’appel effectué lors de la précédente audience.
L’appel fut rejeté pour les mêmes raisons.

L’audience fut renvoyée au surlendemain.


Audience du 13 juillet 1840

Une journée qui s’annonçait lourde, car vingt-deux témoins devaient être appelés à déposer sous la foi du serment dont, entre autres :
·         M. Lecointe, bijoutier à Paris
·         M. Fauveau Commis de M. Lecointe
·         Mme la vicomtesse de Leautaud
·         M. le vicomte de Leautaud
·         Mme la baronne de Montbreton, sœur de Mme la vicomtesse de Leautaud
·         Mme la marquise de Nicolaï
·         M. le marquis de Nicolaï
·         Melle Delvaux, gouvernante de Mme Leautaud
·         M. Allard, chef de police à Paris
·         Mme la comtesse de Nieuwerkerke
·         M. le comte de Nieuwerkerke
·         M. de Lapeyriere, ami de M Clavé
·         M. Coulboeuf
·         M. Manceaux
·         Mme Lafarge-mère
·         Mme Buffières, fille de Mme Lafarge-mère
·         M. Buffières
·         M. Denis, commis des Forges au Glandier
·         M. Sigisbert Mariot Thiery, ancien domestique de M. de Nicolaï

Maître Bac demanda dès le début de l’audience la possibilité que, sa cliente, Marie Lafarge, se retire. En effet, d’une pâleur extrême, elle ne paraissait pas en bonne forme, déjà l’avant-veille elle avait une toux persistante et sèche.
La partie adverse, ainsi que les magistrats, n’opposèrent aucun refus et Marie Lafarge se retira.

Ce fut donc en l’absence de l’accusée que M. le substitut du procureur du Roi exposa les faits. L’auditoire buvait ses paroles.

Puis ce fut au tour de maître Coralli de prendre la parole remontant son exposé au mois de janvier 1836, date du début des relations de la famille de Nicolaï avec Marie Capelle. C’était Madame de Montbreton, sœur de Marie de Nicolaï qui, à cette époque,  n’était pas encore la vicomtesse de Léautaud qui avait présenté la jeune Marie à ses parents comme une jeune orpheline, d’une éducation distinguée, d’une famille honorable. Très vite, Marie Capelle et Marie de Nicolaï était devenu inséparable......
Bien évidemment, il en vint à la rencontre des deux jeunes filles avec le jeune Félix Clavé qui entretint, par la suite, par l’intermédiaire de Marie Capelle, une correspondance avec Marie de Nicolaï dont il était amoureux. Mais Marie Capelle échangeait également des courriers avec le jeune homme, échanges plus amicaux.
Maître Coralli précisa que ces lettres étaient bien innocentes et qu’il apparaissait à leur lecture que M. Clavé ne recevait pas en retour l’amour qu’il portait à la demoiselle de Nicolaï. Malgré tout, Marie de Nicolaï prit peur, cette peur que ressentaient les jeunes filles de bonne éducation, celle d’être compromise. Aussi cessa-t-elle toute relation.
Quant à Marie Capelle, elle poursuivit avec insistance sa correspondance au point que Félix Clavé pensa que cette jeune femme était amoureuse de lui. Il s’en ouvrit d’ailleurs à un ami.
Maître Coralli passa un long moment à lire les courriers échangés, à les analyser, puis conclut :
« Selon Marie Capelle, son amie, Marie de Nicolaï avait peur que Félix Clavé révèle leurs échanges épistolaires, bien innocents cependant, et voulut le faire taire en achetant son silence. Les diamants de la parure devaient servir de monnaie d’échange ! Nous verrons à l’audition des témoins que la vérité était bien autre ....... »


Audience du 15 juillet 1840

Dehors, une pluie battante avait rebuté un grand nombre de personnes à se déplacer.
Juste avant que l’audience ne commence, le garçon de salle fit une petite annonce, après avoir salué le public rassemblé.
«  .......vous savez sans doute que notre Palais de Justice n’étant pas fini, nous n’avons pas encore un meublier assorti pour les besoins du public. Or donc, les chaises que vous occupez ne sont pas à nous. Elles ont des droits à payer à la paroisse, comme de juste. Vous êtes donc priés de laisser un souvenir pour la récompensation de celles qui auraient été abîmées. »

En clair, faites attention ou payez !!!!

Puis la séance commença avec l’appel des témoins[2].
Madame veuve Garat ne se présenta pas. Son absence fut excusée par un certificat médical.

Puis ce fut M. Joseph Moronet qui se présenta à la barre.
« Quel est votre état, demanda le Président.
-          Commissaire exploitateur à Paris.
-          Faites votre déclaration.
-          Je suis en relation d’affaires avec M. Zalayetta du Mexique qui est un homme de bonne réputation. Il partit en février dernier pour ce pays avec femme et enfants, ses beaux-parents une tante et son beau-frère Félix Clavé. Je connais très peu M. Clavé, mais je sais qu’il est instruit et très distingué. J’ai toujours ouï dire que c’était un homme honorable, un cœur noble et généreux et avec des principes.
-          Avait-il des moyens d’existence ?
-          Oui, il s’en faisait de très avantageux avec sa plume, ses travaux littéraires. D’ailleurs, ses parents pouvaient subvenir sans problème à ses besoins.
-          Menait-il une conduite régulière ?
-          Jamais on n’a rien eu à lui reprocher. C’était un jeune homme comme il faut.
-          Vous ne savez rien de relatif au procès ?
-          Non, absolument rien, Monsieur le Président.

Lui succéda, M. Eloi Joachim Lecointe, bijoutier – 12, rue Castiglione
« Les diamants saisis au Glandier, commença M. Lecointe, m’ont été présentés à Paris par M. le juge d’instruction. Parmi ces diamants, il s’en trouvait qui avaient été fournis par moi. Je n’ai pu reconnaître que quelques fragments qui étaient restés montés, et une pierre d’une couleur et d’une forme très particulières. Une partie de la monture était restée dans le double-fond de l’écrin. Dans l’écrin, il y avait aussi sept à huit perles.
-          Tous les diamants saisis représentaient-ils la quantité des diamants fournis par vous-même ? s’enquit le Président.
-          Ils représentaient à peu près le même poids. La facture est aux pièces, il y en a environ 25 carats.
-          Comment fait-on pour démonter des diamants ?
-          On les pousse avec un outil pointu en arrière de la monture.
-          Avec un canif ?
-          Non, monsieur, c’est un instrument trop faible.
-          Avec des ciseaux ?
-          Oui, monsieur.
-          Avez-vous fourni quelque chose à Mme Lafarge ?
-          Oui, monsieur, à l’époque de son mariage, je lui ai fourni, du moins, j’ai fourni à Mme Garat, pour elle, des parures entièrement neuves.

Un écrin fut alors présenté à M. Lecointe. Dedans des perles et des diamants. Certaines pierres furent reconnues par le bijoutier comme appartenant à la parure de Marie de Nicolaï.

Puis ce fut à M. Pierre Allard de venir déposer à la barre. Agé de 49 ans, il était chef du service de sûreté à Paris.
« J’ai été, Monsieur le Président, appelé par la justice à donner dans cette affaire les renseignements qui sont parvenus à  la police.
-          Parlez-nous d’abords des vols faits au préjudice de Mme veuve Garat, demanda le Président.
-          Je fus averti de plusieurs vols commis dans la maison de cette dame, et notamment, récemment on lui avait pris un billet de 500 fr. Je me suis rendu chez cette dame et examiné attentivement le logement. Je fis une attention particulière aux meubles, surtout celui où le billet pris avait été renfermé. Aucune trace d’effraction, ce qui aurait été le cas si ce fut un voleur de profession. J’en conclus que le vol avait été commis par quelqu’un de la maison. Une surveillance fut effectuée, sans résultat. Mme Garat m’apprit alors que ce n’était pas la première fois que des sommes d’argent disparaissaient. Ce fut 40 fr, puis une autre fois 80 fr, et puis d’autres sommes plus petites, 5 fr par-ci, 5 fr par-là. Un an plus tard, M. le préfet de police me fit savoir qu’un vol de diamants avait été fait au préjudice de M. de Leautaud. Ce dernier vint me voir accompagné de M. de Nicolaï. Selon eux, le vol n’avait pu être commis que par quelqu’un qui se trouvait au château. Après plusieurs entrevues, il me dit que ce ne pouvait être un des domestiques qui avaient tous sa confiance, mais qu’il y avait bien une personne sur laquelle des propos avaient été tenus ; mais qu’il n’osait pas se prononcer affirmativement. La personne en question devait se marier et partir bien loin de Paris, difficile de poursuivre, dans ces conditions, une surveillance rapprochée. Lorsque M. de Leautaud me révéla le nom et l’adresse de la jeune personne, je fis tout de suite le rapprochement avec la disparition des 500 fr. Voilà pourquoi après l’empoisonnement du mari de la personne en question, M. de Leautaud est revenu me voir pour demander une perquisition au domicile de cette dame.

Le Président posa d’autres questions, toutes concernant d’autres vols chez Mme Garat : une boîte à portrait, un jonc à pomme d’or, trois pièces d’or. Monsieur Allard n’avait pas été informé de ces autres vols.

Maitre Coralli demanda à interroger le témoin :
« M. Allard, lorsque vous vous êtes rendu chez Mme Garat pour le vol du billet de 500 fr, Mlle Capelle demeurait-elle chez sa tante ?
-          Je ne sais pas. Il y avait avec Mme Garat deux jeunes femmes. L’une d’elle était très brune, avec un visage fort pâle.
-          A votre avis, était-ce Marie Capelle.
-          Je le pense, mais ne peux l’affirmer.

Antoine Nicolas Fauveau, commis chez M. Fossin, bijoutier à Paris, rue Richelieu, au n° 62.
« Mme Lafarge m’a apporté plusieurs perles dans un panier pour les faire monter. J’en ai fait pour elle deux petites épingles réunies entre elles par une petite chaîne, une bague chevalière et deux bracelets. Ce n’était pas des perles de grande qualité.
-          Avez-vous eu plusieurs perles à monter ?
-          Sept, huit ou neuf.
-          Est-elle venue seule ?
-          Elle était accompagnée d’une femme qui est restée dehors.
-          Avez-vous reconnu Mme veuve Garat ?
-          Non. J’ai demandé à Mlle Capelle si elle avait des diamants pour mettre à la place des perles, elle m’a répondu qu’elle n’avait pas de diamants.

Laissons le tribunal prendre une petite pause avant de poursuivre l’audition des témoins........




[1] Sources :  « Les poisons » de Arthur Mangin – Le journal de Rouen, juillet 1840.
[2] En italique, uniquement les grandes lignes des questions et réponses ont été recopiées..... et parfois légèrement modifiées, tout en gardant le ton, le sens et la véracité des propos.

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