LES EMPOISSONNEUSES
LES EMPOISSONNEUSES
L'AFFAIRE BODIN-BOURSIER
CHAPITRE 7
En cette fin de séance du 29 novembre
1823, la parole fut donnée à l’avocat général.
Pour ce magistrat, aucun doute,
l’origine de la mort était bien due à la prise, volontaire ou non, d’arsenic.
Suicide ?
Accident ?
Crime ?
L’avocat se lança donc dans un monologue
question-réponse des plus éloquents.
Reprenant l’idée d’un
« crime »....
Dans cette dernière hypothèse, qui dit
« crime », dit « criminel » ?
Mais, qui pouvait avoir un intérêt
quelconque à la disparition (définitive) du sieur Boursier ?
La fille Blin ?
Assurément pas ! Elle était depuis
peu au service des Boursier et y était entrée grâce à d’excellentes
recommandations. De plus, courageuse, elle faisait bien son ouvrage. Mme
Boursier en était satisfaite.
Les soupçons ne pouvaient donc que se
porter sur la maîtresse de maison, la veuve Boursier, car seule cette femme,
avait pu, sans attirer l’attention, entrer dans la salle à manger et
s’approcher de la soupe au riz.
Bien sûr, elle disait avoir mangé de ce
mets, mais qui, à part elle-même, pouvait l’affirmer ?
Personne !!
Et ce fait qui en dit long, très
long...... La veuve Boursier avait lavé le récipient, aussitôt !!
Pourquoi ????
Pour prouver à son époux que ce
récipient, justement, était propre... avant d’y avoir mis la soupe à cuire.
Quelle galéjade !!
Bien, évidemment, débarrassé du restant
de potage et récuré minutieusement, ce récipient ne pouvait être que propre.
Pourquoi avoir jeté le reste de
soupe ? Pourquoi avoir récuré la casserole ?
C’était l’évidence même, pour masquer
toutes les preuves de cet ignominieux acte criminel.
Quant à Kostolo, avait-il été, à un moment ou un autre,
l’instigateur de l’acte abominable de cette épouse amoureuse, souhaitant se
débarrasser d’un mari gênant, afin de filer le parfait amour avec son
amant ?
Kostolo qui comparaissait dans le box
des accusés et que les diverses dépositions avaient dessinés sous les traits d’un
homme sans moralité, d’une bassesse d’âme extrême, n’avait nullement l’étoffe
d’un assassin.
D’ailleurs, avait-il eu, un seul
instant, le désir d’épouser Marie Adélaïde Bodin-Boursier ?
L’argent de sa maîtresse était sa seule
convoitise.
La seule, l’unique personne capable de
l’acte criminel dont il était question, n’était autre de la veuve
Boursier !!!
-=-=-=-=-
Après une courte suspension de séance,
Maître Couture, défenseur de la femme veuve Boursier lançant son réquisitoire.
Il essaya, au cours de celui-ci, de
contrecarrer les attaques de l’avocat général avec effets de voix, effets de
manches.
Bien évidemment, la seule coupable ne
pouvait être que Marie Adélaïde Boursier qui venait d’être décrite, peu
charitablement d’ailleurs, comme une femme sans morale, une mère dénaturée, un
monstre.
Etait-ce donc de cette même femme dont
on parlait ? Celle qui avait reçu
la meilleure des éducations par des parents aimants dont le père, approchant
les quatre-vingts ans[1], avait exercé comme
magistrat et fonctionnaire.
Elle avait été mariée, depuis quinze années,
cette femme, avec un homme pas toujours facile, mais bon.
Et aujourd’hui, cette même femme, était
accusée d’empoisonnement ?
Comment pouvait-on l’affirmer ?
M. Boursier n’avait-il pas, la veille ou
l’ avant-veille, dîné dehors ?
Selon les explications de l’expert, M.
le docteur Orfila, les effets d’un poison pouvaient apparaître trois, voire
quatre jours, après l’absortion.
La fille Blin qui, selon ses dires,
avait mangé de cette soupe. Mais, tout comme pour sa maîtresse, personne n’a pu
en témoigner.
Alors, pourquoi ajouter plus foi aux
affirmations de la servante ?
Les relations amoureuses de Mme Boursier
et de Kostolo ?
Pourquoi une femme devrait être plus
vertueuse qu’un homme ? Etre plus fidèle ?
Surtout que concernant la marche de sa
maison, son attention à ses enfants, le commerce aussi, rien n’avait été
négligé par la veuve Boursier.
Et voilà l’amant blanchi de tout
soupçon !
Cet homme, pas amoureux, loin s’en faut,
profitant, abusant même des largesses de la maison Boursier. Détournant par
quelque manipulation une épouse, une mère de famille, pour obtenir...
Quoi ? De l’argent !! Acceptant ses dons, sans scrupule, sachant le
mari dans l’ignorance des détournements financiers en sa faveur.
Car Kostolo connaissait la fortune de la
maison Boursier, l’ayant apprise par le défunt lui-même.
Kostolo prodiguant compliments et
caresses pour arriver à ses fins.
Et, le comble, c’était dans les bras de
cet homme que le pauvre Boursier était mort !!
Quel cynisme !!
Quelle trahison !!
Non !! Mme veuve Boursier n’était
pas cette criminelle qu’on voudrait qu’elle soit.
Une femme troublée par les regards d’un
autre homme, plus jeune.... Voilà toute
son erreur, toute sa culpabilité !!
Mais cela ne faisait pas d’elle une meurtrière.
Maître
Théodore Perrin de Grenoble, défenseur de Kostolo, prit ensuite la parole.
Un très
bref plaidoyer qui se voulut de défendre au mieux son client qu’il qualifia d’aventurier,
d’homme sans scrupules, certes, mais tous ces traits de caractère ne faisaient
pas de lui un assassin.
-=-=-=-=-=-
Les
jurés mirent huit heures à délibérer dans la chambre de délibération contiguë à
la salle d’audience.
A leur retour pour énoncer le verdict, M. le président posa les
deux questions résultant de l’acte d’accusation :
1.
Marie Adélaïde Bodin, veuve Boursier, est-elle
coupable d’avoir, le 28 juin, attenté à la vie de Guillaume Etienne Boursier
son mari, par l’effet d’une substance pouvant donner la mort ?
2.
Nicolas Kostolo est-il coupable d’avoir, de
complicité et avec connaissance de cause, aidé ou facilité l’exécution de ce
crime ?
Réponse
à la première question :
Non, la
veuve Boursier n’est pas coupable
Réponse
à la seconde question :
Non,
Kostolo n’est pas coupable
Avant de clore la séance, mettant fin au procès, Monsieur le président ajouta, en
s’adressant à la veuve Boursier :
Femme Boursier, vous allez recouvrer la
liberté que les plus graves soupçons vous avaient fait perdre ; le jury
vous a déclaré non-coupable du crime qui vous était imputé.
Puissiez-vous trouver la même absolution dans
le témoignage de votre conscience !
Mais n’oubliez jamais que la cause de vos
malheurs et du déshonneur qui couvrira peut-être votre nom, fut le désordre de
vos mœurs et la violation des nœuds les plus sacrés
Que votre conduite à venir efface la honte de
votre conduite passée et que le repentir remplace l’honneur que vous avez
perdu.
Aucune « leçon de morale », par contre, à l’encontre de Kostolo !!
-=-=-=-=-=-
Mme veuve Boursier ne fit plus parler
d’elle, elle se fondit dans les brumes des années qui suivirent.
Kostolo fit de même. Gageons toutefois
qu’il continua à poursuivre sa vie...... au crochet de la gent féminine !!
[1] Charles Thomas Bodin, né à Gournay-en-Bray le 11 juin
1744 - Avocat au baillage de Gournay –
est décédé dans sa ville natale le 15 octobre 1835. Il n’a pas été appelé comme
témoin lors du procès de sa fille, la mère de Marie Adélaïde, née le 14
décembre 1851 dans l’Oise, décéda à l’âge de quarante ans, le 8 décembre 1792,
à Gournay-en-Bray.
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