jeudi 30 avril 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES



LES EMPOISSONNEUSES

L'AFFAIRE BODIN-BOURSIER


CHAPITRE  7



En cette fin de séance du 29 novembre 1823, la parole fut donnée à l’avocat général.
Pour ce magistrat, aucun doute, l’origine de la mort était bien due à la prise, volontaire ou non, d’arsenic.
Suicide ?
Accident ?
Crime ?

L’avocat se lança donc dans un monologue question-réponse des plus éloquents.
Reprenant l’idée d’un « crime »....

Dans cette dernière hypothèse, qui dit « crime », dit « criminel » ?
Mais, qui pouvait avoir un intérêt quelconque à la disparition (définitive) du sieur Boursier ?

La fille Blin ?
Assurément pas ! Elle était depuis peu au service des Boursier et y était entrée grâce à d’excellentes recommandations. De plus, courageuse, elle faisait bien son ouvrage. Mme Boursier en était satisfaite.

Les soupçons ne pouvaient donc que se porter sur la maîtresse de maison, la veuve Boursier, car seule cette femme, avait pu, sans attirer l’attention, entrer dans la salle à manger et s’approcher de la soupe au riz.
Bien sûr, elle disait avoir mangé de ce mets, mais qui, à part elle-même, pouvait l’affirmer ?
Personne !!

Et ce fait qui en dit long, très long...... La veuve Boursier avait lavé le récipient, aussitôt !!
Pourquoi ????
Pour prouver à son époux que ce récipient, justement, était propre... avant d’y avoir mis la soupe à cuire.
Quelle galéjade !!
Bien, évidemment, débarrassé du restant de potage et récuré minutieusement, ce récipient ne pouvait être que propre.
Pourquoi avoir jeté le reste de soupe ? Pourquoi avoir récuré la casserole ?
C’était l’évidence même, pour masquer toutes les preuves de cet ignominieux acte criminel.

Quant à Kostolo,  avait-il été, à un moment ou un autre, l’instigateur de l’acte abominable de cette épouse amoureuse, souhaitant se débarrasser d’un mari gênant, afin de filer le parfait amour avec son amant ?
Kostolo qui comparaissait dans le box des accusés et que les diverses dépositions avaient dessinés sous les traits d’un homme sans moralité, d’une bassesse d’âme extrême, n’avait nullement l’étoffe d’un assassin.
D’ailleurs, avait-il eu, un seul instant, le désir d’épouser Marie Adélaïde Bodin-Boursier ?
L’argent de sa maîtresse était sa seule convoitise.

La seule, l’unique personne capable de l’acte criminel dont il était question, n’était autre de la veuve Boursier !!!

-=-=-=-=-


Après une courte suspension de séance, Maître Couture, défenseur de la femme veuve Boursier lançant son réquisitoire.
Il essaya, au cours de celui-ci, de contrecarrer les attaques de l’avocat général avec effets de voix, effets de manches.

Bien évidemment, la seule coupable ne pouvait être que Marie Adélaïde Boursier qui venait d’être décrite, peu charitablement d’ailleurs, comme une femme sans morale, une mère dénaturée, un monstre.
Etait-ce donc de cette même femme dont on parlait ?  Celle qui avait reçu la meilleure des éducations par des parents aimants dont le père, approchant les quatre-vingts ans[1], avait exercé comme magistrat et fonctionnaire.
Elle avait été mariée, depuis quinze années, cette femme, avec un homme pas toujours facile, mais bon.
Et aujourd’hui, cette même femme, était accusée d’empoisonnement ?
Comment pouvait-on l’affirmer ?
M. Boursier n’avait-il pas, la veille ou l’ avant-veille, dîné dehors ?
Selon les explications de l’expert, M. le docteur Orfila, les effets d’un poison pouvaient apparaître trois, voire quatre jours, après l’absortion.

La fille Blin qui, selon ses dires, avait mangé de cette soupe. Mais, tout comme pour sa maîtresse, personne n’a pu en témoigner.
Alors, pourquoi ajouter plus foi aux affirmations de la servante ?

Les relations amoureuses de Mme Boursier et de Kostolo ?
Pourquoi une femme devrait être plus vertueuse qu’un homme ? Etre plus fidèle ?
Surtout que concernant la marche de sa maison, son attention à ses enfants, le commerce aussi, rien n’avait été négligé par la veuve Boursier.

Et voilà l’amant blanchi de tout soupçon !
Cet homme, pas amoureux, loin s’en faut, profitant, abusant même des largesses de la maison Boursier. Détournant par quelque manipulation une épouse, une mère de famille, pour obtenir... Quoi ? De l’argent !! Acceptant ses dons, sans scrupule, sachant le mari dans l’ignorance des détournements financiers en sa faveur.
Car Kostolo connaissait la fortune de la maison Boursier, l’ayant apprise par le défunt lui-même.
Kostolo prodiguant compliments et caresses pour arriver à ses fins.
Et, le comble, c’était dans les bras de cet homme que le pauvre Boursier était mort !!
Quel cynisme !!
Quelle trahison !!

Non !! Mme veuve Boursier n’était pas cette criminelle qu’on voudrait qu’elle soit.
Une femme troublée par les regards d’un autre homme, plus jeune....  Voilà toute son erreur, toute sa culpabilité !! Mais cela ne faisait pas d’elle une meurtrière.

Maître Théodore Perrin de Grenoble, défenseur de Kostolo, prit ensuite la parole.
Un très bref plaidoyer qui se voulut de défendre au mieux son client qu’il qualifia d’aventurier, d’homme sans scrupules, certes, mais tous ces traits de caractère ne faisaient pas de lui un assassin.
-=-=-=-=-=-
Les jurés mirent huit heures à délibérer dans la chambre de délibération contiguë à la salle d’audience.
A leur retour pour énoncer le verdict, M. le président posa les deux questions résultant de l’acte d’accusation :
1.       Marie Adélaïde Bodin, veuve Boursier, est-elle coupable d’avoir, le 28 juin, attenté à la vie de Guillaume Etienne Boursier son mari, par l’effet d’une substance pouvant donner la mort ?
2.       Nicolas Kostolo est-il coupable d’avoir, de complicité et avec connaissance de cause, aidé ou facilité l’exécution de ce crime ?
Réponse à la première question :
Non, la veuve Boursier n’est pas coupable
Réponse à la seconde question :
Non, Kostolo n’est pas coupable

Avant de clore la séance,  mettant fin au  procès, Monsieur le président ajouta, en s’adressant à la veuve Boursier :
Femme Boursier, vous allez recouvrer la liberté que les plus graves soupçons vous avaient fait perdre ; le jury vous a déclaré non-coupable du crime qui vous était imputé.
Puissiez-vous trouver la même absolution dans le témoignage de votre conscience !
Mais n’oubliez jamais que la cause de vos malheurs et du déshonneur qui couvrira peut-être votre nom, fut le désordre de vos mœurs et la violation des nœuds les plus sacrés
Que votre conduite à venir efface la honte de votre conduite passée et que le repentir remplace l’honneur que vous avez perdu.

Aucune  « leçon de morale »,  par contre, à l’encontre de Kostolo !!

-=-=-=-=-=-
Mme veuve Boursier ne fit plus parler d’elle, elle se fondit dans les brumes des années qui suivirent.

Kostolo fit de même. Gageons toutefois qu’il continua à poursuivre sa vie...... au crochet de la gent féminine !!



[1] Charles Thomas Bodin, né à Gournay-en-Bray le 11 juin 1744  - Avocat au baillage de Gournay – est décédé dans sa ville natale le 15 octobre 1835. Il n’a pas été appelé comme témoin lors du procès de sa fille, la mère de Marie Adélaïde, née le 14 décembre 1851 dans l’Oise, décéda à l’âge de quarante ans, le 8 décembre 1792, à Gournay-en-Bray.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.