DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES
L’AFFAIRE
BODIN - BOURSIER
CHAPITRE 3
Les procès attiraient beaucoup de monde,
surtout lorsqu’il y avait eu meurtre, et bien évidemment lorsque derrière tout
cela se cachait un adultère.
La première audience de ce procès eut
lieu le jeudi 27 novembre 1823.
Les deux inculpés furent introduits dans
le box des accusés, ils comparaissaient :
·
La femme Boursier pour avoir le 23 juin 1823, attenté à la vie de Guillaume Etienne Boursier,
par l’effet de substances pouvant donner la mort.
·
le sieur Nicolas Kostolo pour s’être rendu complice de ce crime en aidant et assistant avec
connaissance de cause la veuve Boursier dans l’exécution de son crime.
Marie Adélaïde Bodin, veuve Boursier
était d’assez petite taille. Quatre pieds et cinq pouces[1].
Pas vraiment jolie. Son visage, marqué
par la petite vérole, possédait des
traits épais.
Vêtue sobrement d’une robe d’étamine
noire, d’un bonnet de gaze noire sur lequel avait été jeté un voile, également
noir, elle gardait les yeux baissés.
Nicolas Kostolo avait une taille très
élevée[2], un visage aux traits
réguliers.
Vêtu de noir lui aussi, il gardait
néanmoins la tête haute, le regard droit et fier qu’il promenait alentours sur
la salle d’audience, comme l’aurait fait un touriste[3].
L’audience débuta à dix heures et demie
par la déclinaison de l’identité des deux prévenus.
D’abord, la jeune veuve qui se leva chancelante
et répondit d’une voix d’une extrême faiblesse et déclara se nommer :
Marie Adélaïde Bodin, veuve Boursier,
âgée de trente-sept ans, de son état épicière et demeurant rue de la Paix.
D’une voix forte et assurée, Nicolas
Kostolo, après avoir donné son nom, poursuivit :
« Trente ans. Je n’exerce aucune
profession. Je demeure rue de Grammont au numéro 15. Je suis né à
Constantinople ».
Le greffier lut l’acte d’accusation et
le président de séance commença une série de questions, afin d’exposer aux
jurés, les faits.
Mme veuve Boursier fut la première sur
la sellette.
« Vous avez épousé la victime le 2
février 1809 et avez eu avec lui cinq enfants. Vous avez fait la connaissance
de Nicolas Kostolo par l’intermédiaire de votre tante Mme veuve Flamand qui
habite un petit appartement rue de la Paix, au-dessus de l’épicerie, qui
elle-même l’avait connu d’un M. Charles, domestique. Kostolo cherchait du
travail et vous vous êtes proposé de l’aider.
-
Oui, répondit timidement Marie Adélaïde.
L’interrogatoire prit alors un aspect
plus direct, mais n’était-ce pas pour cela que beaucoup de personnes s’étaient
déplacer, en ce lieu ?
« Avez-vous eu des relations
intimes avec Kostolo ? Ne vous en êtes-vous pas confiée à la fille Reine,
votre servante ?
Bien gênantes toutes ces questions
devant cette assemblée. Dévoiler, là,
toute son intimité, salir ce qu’elle croyait être une histoire d’amour. Mais
que pouvait-elle faire d’autre que de répondre et essayer de convaincre ?
Alors, elle avoua qu’elle rencontrait Kostolo à l’insu de son
mari. Elle admit avoir prêté de l’argent à son amant, à hauteur de
deux-cent-cinquante ou trois cents francs. Mais, cet argent devait l’aider à récupérer
des effets qu’il avait déposés au Mont-de-piété. Son mari n’était pas au
courant de ces prêts.
« Un prêt de deux ou trois cents
francs, s’étonna le président, Kostolo, dans sa déposition, a parlé de sept
cents, voire huit cents francs. Qu’en est-il exactement ?
-
Je ne sais plus, répondit avec lassitude la veuve
Boursier.
Puis, le président de séance en vint à
l’achat de mort-aux-rats et d’arsenic effectué par M. Boursier. Là encore la
veuve n’en avait pas eu connaissance, ce genre d’achat était l’affaire de son
époux.
On en vint au jour de la mort et au
refus par la veuve de pratiquer une autopsie.
Avait-elle peur de ce que les médecins pouvaient découvrir ?
« J’avais, avait-elle répondu, demandé
avis à ma famille et à mes amis. Et m’avait été répondu : « ne fais
pas cette bêtise ». Ce fut plus tard, sur le conseil du docteur Bordot que
j’ai accepté. C’était pour savoir la raison du décès, pour les enfants, en cas
de maladie héréditaire. Pour moi, il s’agissait d’un coup de sang.
-
Et pourquoi cette
inhumation précipitée ?
-
Parce qu’il faisait chaud....
-
Des témoignages confirment que c’est sur votre insistance,
et pas en raison de la chaleur. Bon, nous verrons cela plus tard. Avez-vous
poursuivi votre liaison coupable avec Kostolo après le décès de votre
mari ?
-
Non, uniquement un baiser parce qu’il insistait.
-
Il venait pourtant tous les jours vous rendre
visite ? Kostolo, qu’avez-vous à répondre ?
Nicolas Kostolo, se leva à la question
qui lui était directement adressée, puis affirma :
« Nous avons eu une relation
intime, dans la chambre du mort, quinze jours après l’enterrement.
-
Cela est faux, s’insurgea Marie Adélaïde, ayant tout à
coup retrouvé toute la puissance de sa voix.
Elle fut, quelques minutes plus tard,
totalement anéantie lorsque à la question du président :
« Kostolo, n’avez-vous pas proposé
le mariage à la veuve Boursier ? »
La réponse fut : « Non,
jamais !!! »
La séance s’interrompit, sur ce « non »
catégorique et sans appel, pour reprendre en début d’après-midi.
[1] Quatre
pieds et cinq pouces, soit environ 1 m 44 (les mesures des pieds et pouces
variés selon les régions - à Paris : 1 pied = 32.80 cm et 1 pouce = 2.54
cm) – taille moyenne pour une femme en ce début de XIXème siècle.
[2] Sans
aucune précision. Mais qu’entendait-on par « taille élevée », à cette
époque où la moyenne tournait autour d’un mètre soixante ?
[3] J’ai eu
un doute sur l’emploi de ce mot, mais il est apparu dans notre langage vers
1803. (vient de l’anglais « tourist » (1790), voyageur.
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