jeudi 16 juillet 2020

HISTOIRE VRAIE - DES SIÈCLES D'EMPOISONNEUSES

LES EMPOISONNEUSES

L'AFFAIRE LACOSTE




Chapitre 10   -  VERDICT


Ce fut ensuite  le moment des plaidoiries, à commencer par l’avocat de Joseph Meilhan, Maître  Canteloup.
Comment pouvait-il définir son client, Joseph Meilhan ?
Comme un brave homme, apprécié de beaucoup de personnes, au regard des bons certificats délivrés par la commune, mais pas seulement, délivrés également par le recteur de Cahors.
Bien évidemment, il lui avait été reproché cet avortement, celui de la fille Lescure
.
Mais quelles preuves pouvait-on apporter ?
Aucune !!
N’avait-on pas dit que M. Lescure, le père de la jeune fille en question, l’avait mis à la porte de son auberge ?
Mais pour aller le rechercher avec mille excuses quelques jours plus tard.
N’était-ce pas la preuve de sa non-implication dans cet acte ?
Et qui avait recueilli Meilhan lorsqu’il s’était retrouvé à la rue ? Monsieur le curé !
Cet homme de Dieu, même par bonté d’âme, aurait-il donné asile à un avorteur ? Non, assurément !

Pour en venir à l’accusation d’homicide par empoisonnement, l’avocat mit en avant le flou le plus total qui entourait cette mort.
Rien ne disait qu’il y avait eu empoisonnement intentionnel et criminel, mais que la vérité tanguait plutôt vers une imprudence de dosage dans le traitement que prenait, de sa propre initiative, Monsieur Lacoste. Les témoignages avaient révélé, avec certitude, que le défunt s’auto-médicamentait.
alors, le verre de vin, soi-disant bu avec Meilhan, n’avait aucune valeur assassine !!
Si Meilhan avait voulu faire boire un verre de vin additionné d’arsenic à son ami, l’aurait-il fait un jour de foire, en plein midi, dans la salle bondée du cabaret du village ?
C’était insensé !!

Ne reprochait-on pas également à Meilhan d’être allé rendre visite à la veuve le jour même du décès de Lacoste. D’avoir dîné à sa table.
Mais si Meilhan ne s’était pas rendu au domicile du défunt, la rumeur publique n’aurait-elle pas crié, hurlé même, que cet « assassin », en raison de son ignoble geste, n’avait pas voulu  rendre le dernier hommage dû à son ami.

Maître Canteloup acheva par :
« Non seulement, Meilhan n’est pas coupable, mais il est innocent des faits qui lui sont reprochés !!! »
Quelle belle analyse !!


Ce fut alors que Maître Alem-Rousseau, défenseur de madame veuve Lacoste, prit la parole.
Toutefois, avant de plaider, il souhaita poser quelques questions à Monsieur Navarre. Ce dernier eut d’ailleurs bien du mal à atteindre la barre, tant le public était innombrable.
N’était-ce pas à la fin de cette séance que le verdict serait rendu ?

Maître Alem-Rousseau souhaitait que le témoin Navarre, présent aux derniers moments de vie de Lacoste, relatât ce qu’il avait vu et entendu.
« C’est bien simple, expliqua M. Navarre d’une voix forte et claire, Lacoste a tendu une main vers sa femme, lui demandant d’approcher et lui a donné des instructions sur la gestion de ses biens, les bons et mauvais payeurs, ceux à qui il n’était pas souhaitable de donner de l’herbe[1]. Je n’ai pas tout entendu, parce qu’il parlait bas. Madame Lacoste prenait des notes sur un carnet. Lacoste a aussi évoqué ses dispositions testamentaires. Il avait l’air très en confiance, très apaisé. » 

Voilà bien un témoignage en faveur de l’accusée.

Ce fut ensuite un grand moment d’éloquence ! Et ce fut quelque chose, toutes les personnes présentes purent le certifier !!.....
En voilà les grandes lignes, car, parole prise, l’avocat ne la lâcha pas et cela dura, dura, dura ..... des heures !!!

Les auditeurs attentifs, repartirent vers le passé, celui de la naissance d’Euphémie Vergès dans une famille de paysans, peu fortunée.
Son père, Bernard Vergès, maire de Mazerolles, possédait quelques terres qu’il cultivait.
En 1839, au moment des négociations de mariage de sa fille avec Lacoste, il avait était convenu que la future épousée, apporterait, en plus de sa renommée sans tache, une dote de 20 000 francs. D’ailleurs, Henry Lacoste, qui n’avait pas encore hérité de son frère,  le richissime de la famille, ne possédait en tout que 45 000 francs.
Ce n’était donc pas pour sa fortune que Euphémie Vergès avait accepté ce mariage.
Mais, certains avait avancé qu’elle comptait bien sur l’argent de son beau-frère.
Faux !!
Juste avant les noces, en 1841, Philibert Lacoste avait légué, par voie testamentaire, tous ses biens à un jeune homme qui était, selon ce qu’on disait, son fils.
Et puis, Philibert n’avait-il pas menacé son frère, Henry, de le déshériter si il se remariait ?
Euphémie était au courant de cette menace, toute verbale d’ailleurs.

Non, aucune animosité de la part de la jeune mariée qui se dévouait pour son mari, un vieillard maladif. Et chacun de constater ce parfait dévouement, dénué  d’hypocrisie.
Et ce ne furent que calomnies, les dires prétendant que Lacoste était malheureux. N’affirmait-il pas, lui-même, qu’il avait une « petite femme merveilleuse ».

Puis ce fut le décès brutal !
Euphémie Lacoste aurait pu quitter Riguepeu, s’enfuir avec l’argent, loin, très loin, et vivre à sa manière.
Elle aurait eu de quoi !
Mais, elle n’en fit rien.
Elle séjournait de temps à autre à Tarbes, revenant toujours à Riguepeu.
Elle vivait sans excès, comme une femme aisée de la campagne, sans plus.
Elle s’occupait des affaires de feu son mari, devenues    siennes, avec beaucoup d’attention.

Vint alors l’accusation, celle qui faisait d’elle une empoisonneuse, une meurtrière, une « veuve noire ». Elle en fut meurtrie, demandant l’exhumation du corps afin de prouver sa bonne foi.
A la découverte d’arsenic dans le corps de son mari défunt, ce fut l’incompréhension, l’anéantissement. Un gouffre s’ouvrait à ses pieds.

Là encore, elle aurait pu fuir, mais elle n’en fit rien !
Pourquoi l’aurait-elle fait ?
Elle se savait innocente !

L’angoisse au ventre, elle avait subi les pires calomnies, les pires accusations.
Elle était devenue, aux yeux des autres, de ceux qui du vivant de Henry Lacoste la saluaient avec respect, un monstre hideux avide d’argent.
Injures, mensonges, diffamations. Euphémie avait tout subi.

Dans le box des accusés, au fil des audiences, il avait été découvert l’utilisation abusive de remèdes secrets. Et que contenaient ces remèdes ?
De l’arsenic !

Oui, Henry Lacoste prenait, de lui-même, ces remèdes !
Henry Lacoste s’est lui-même empoisonné !
Henry Lacoste s’est lui-même donné la mort !

Mais quelle  différence pouvait-on faire entre arsenic-remède et arsenic-poison ?
Les experts n’avaient-ils pas expliqué que tout était « affaire de dosage » ?

Et Joseph Meilhan dans cette affaire.
Veuve, Euphémie Lacoste dînait souvent avec lui.
Tous deux faisaient des promenades en discutant.
Où était le mal ?

Oui, mais les habitants de Riguepeu voyaient d’un mauvais œil cette amitié entre cette jeune femme et cet instituteur septuagénaire.
Mais, cette complicité n’était pas nouvelle ! N’avaient-ils pas, ensemble, aidé le pauvre Lacoste à passer de vie à trépas ? (Mais cette dernière affirmation restait encore à démontrer... à prouver....)

Et comme il fallait alimenter les médisances, et que la jeune femme souhaitait se remarier, il fut question d’un homme, jeune celui-là !! Et qui passait ses nuits auprès de cette veuve dévergondée aux mœurs dégradées.
Il était pourtant bien légitime que cette femme d’une vingtaine d’années songeât à prendre époux, et cette fois, un époux de son âge et à son goût.
Mais, « on » ne le voyait pas ainsi. Veuve elle était devenue, veuve toute de noire vêtue, elle devait rester, repliée sur son chagrin qui se devait éternel.
Et pourquoi pas l’enfermement dans un couvent ?

L’accusation reposait uniquement sur le fait que :
Madame Lacoste aurait tué son mari parce qu’elle ne lui avait pas  donné d’héritier et craignait, de ce fait, être déshéritée. D’autant plus que son époux distribuait allégrement promesses d’argent à celles qui le feraient père.


Il aurait été possible à Maître Alem-Rousseau de poursuivre ainsi, encore et encore, sur bien des points anodins que les débats avaient soulevés, tel le mariage des Lacoste qui n’aurait pas été béni par l’Eglise.
En voilà encore une histoire qui n’avait rien à voir avec l’affaire, mais avait provoqué des polémiques à n’en plus finir.

« Encore une accusation sans fondement pour « faire de la peine » à l’accusée, avait lancé le défenseur de Mme veuve Lacoste.

Alors, pour calmer les esprits sur ce chapitre, l’avocat avait expliqué que M. Lacoste, athée, avait eu des réticences pour un tel mariage. Mais, pour satisfaire la famille de sa future, il avait fléchi. Ce fut l’abbé Rey, un ami de la famille Vergès qui avait béni l’union.
Dans quelle paroisse ?
Dans aucune, M. Lacoste refusant de passer le seuil d’une église, la cérémonie s’était déroulée dans une petite chambre, non loin de la cathédrale de Tarbes.....

Une plaidoirie qui s’acheva enfin et que maître Alem-Rousseau conclut par la demande, pure et simple, de l’acquittement de madame Lacoste.

L’avocat était épuisé. Les traits tirés de son visage, les cernes noirs sous ses yeux l’attestaient.
Avait-il convaincu ?

Le 14 juillet 1844 – Dernière audience.
Le président de séance demanda à madame Lacoste et à monsieur Meilhan, si ils avaient quelque chose à dire avant de clore définitivement les débats.
Réponse négative des deux accusés.

Alors, une dernière fois, cet homme de Haute Justice retraça les grandes lignes du procès.

12 h 30                 -  les membres du jury entrèrent en délibération.
13 h                       -  les membres du jury pénétrèrent à nouveau dans la salle d’audience, et le chef du jury prononça d’une voix forte et monocorde afin que chacun puisse entendre clairement :
«  Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les Hommes, la déclaration du jury sur toutes les questions : NON. »

Un brouhaha survola la salle.
Quelques applaudissements.
Quelques désapprobations.
La sonnette du Président arrêta difficilement tout ce bruit.
Le calme revenu, le président prononça l’ordonnance d’acquittement.


Une heure plus tard, ce fut en calèche que Madame Veuve Lacoste rejoignit sa demeure de Riguepeu où son père l’attendait
Tandis que Meilhan s’éloignait d’un pas calme, entouré de ses fidèles amis dont le capitaine Mothes.


Je ne pourrais vous dire exactement ce que devinrent Euphémie Lacoste et Joseph Meilhan.
Sauf toutefois que Euphémie se remaria avec un certain Armand Taurias qui, en peu de temps, dilapida toute sa fortune.
Madame Euphémie Taurias, veuve Lacoste, née Vergès, décéda en 1854, lors d’une épidémie de choléra.

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Décevant de ne pas connaître la « vraie fin de l’histoire ».
Meilhan viva-t-il de ses rentes ? Alla-t-il vivre chez son fils ? Quand décéda-t-il ?
Quant à Euphémie, elle se remaria, mais où et quand ? Eut-elle des enfants ?

Peut-être, au détour d’un écrit, les réponses jailliront d’elles-mêmes.....


[1]  Donner de l’herbe : louer des prés.

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