LES EMPOISONNEUSES
L'AFFAIRE LACOSTE
Chapitre 10 - VERDICT

Comment
pouvait-il définir son client, Joseph Meilhan ?
Comme
un brave homme, apprécié de beaucoup de personnes, au regard des bons
certificats délivrés par la commune, mais pas seulement, délivrés également par
le recteur de Cahors.
Bien
évidemment, il lui avait été reproché cet avortement, celui de la fille
Lescure
.
Mais
quelles preuves pouvait-on apporter ?
Aucune !!
N’avait-on
pas dit que M. Lescure, le père de la jeune fille en question, l’avait mis à la
porte de son auberge ?
Mais
pour aller le rechercher avec mille excuses quelques jours plus tard.
N’était-ce
pas la preuve de sa non-implication dans cet acte ?
Et
qui avait recueilli Meilhan lorsqu’il s’était retrouvé à la rue ? Monsieur
le curé !
Cet
homme de Dieu, même par bonté d’âme, aurait-il donné asile à un avorteur ?
Non, assurément !
Pour
en venir à l’accusation d’homicide par empoisonnement, l’avocat mit en avant le
flou le plus total qui entourait cette mort.
Rien
ne disait qu’il y avait eu empoisonnement intentionnel et criminel, mais que la
vérité tanguait plutôt vers une imprudence de dosage dans le traitement que
prenait, de sa propre initiative, Monsieur Lacoste. Les témoignages avaient
révélé, avec certitude, que le défunt s’auto-médicamentait.
alors, le verre de vin, soi-disant bu avec
Meilhan, n’avait aucune valeur assassine !!
Si
Meilhan avait voulu faire boire un verre de vin additionné d’arsenic à son ami,
l’aurait-il fait un jour de foire, en plein midi, dans la salle bondée du
cabaret du village ?
C’était
insensé !!
Ne
reprochait-on pas également à Meilhan d’être allé rendre visite à la veuve le
jour même du décès de Lacoste. D’avoir dîné à sa table.
Mais
si Meilhan ne s’était pas rendu au domicile du défunt, la rumeur publique
n’aurait-elle pas crié, hurlé même, que cet « assassin », en raison
de son ignoble geste, n’avait pas voulu
rendre le dernier hommage dû à son ami.
Maître
Canteloup acheva par :
« Non
seulement, Meilhan n’est pas coupable, mais il est innocent des faits qui lui
sont reprochés !!! »
Quelle
belle analyse !!
Toutefois,
avant de plaider, il souhaita poser quelques questions à Monsieur Navarre. Ce
dernier eut d’ailleurs bien du mal à atteindre la barre, tant le public était
innombrable.
N’était-ce
pas à la fin de cette séance que le verdict serait rendu ?
Maître
Alem-Rousseau souhaitait que le témoin Navarre, présent aux derniers moments de
vie de Lacoste, relatât ce qu’il avait vu et entendu.
« C’est
bien simple, expliqua M. Navarre d’une voix forte et claire, Lacoste a tendu
une main vers sa femme, lui demandant d’approcher et lui a donné des
instructions sur la gestion de ses biens, les bons et mauvais payeurs, ceux à
qui il n’était pas souhaitable de donner de l’herbe[1]. Je n’ai
pas tout entendu, parce qu’il parlait bas. Madame Lacoste prenait des notes sur
un carnet. Lacoste a aussi évoqué ses dispositions testamentaires. Il avait
l’air très en confiance, très apaisé. »
Voilà
bien un témoignage en faveur de l’accusée.
Ce
fut ensuite un grand moment d’éloquence ! Et ce fut quelque chose, toutes
les personnes présentes purent le certifier !!.....
En
voilà les grandes lignes, car, parole prise, l’avocat ne la lâcha pas et cela
dura, dura, dura ..... des heures !!!
Les
auditeurs attentifs, repartirent vers le passé, celui de la naissance
d’Euphémie Vergès dans une famille de paysans, peu fortunée.
Son
père, Bernard Vergès, maire de Mazerolles, possédait quelques terres qu’il
cultivait.
En
1839, au moment des négociations de mariage de sa fille avec Lacoste, il avait
était convenu que la future épousée, apporterait, en plus de sa renommée sans
tache, une dote de 20 000 francs. D’ailleurs, Henry Lacoste, qui n’avait
pas encore hérité de son frère, le richissime de la famille, ne possédait
en tout que 45 000 francs.
Ce
n’était donc pas pour sa fortune que Euphémie Vergès avait accepté ce mariage.
Mais,
certains avait avancé qu’elle comptait bien sur l’argent de son beau-frère.
Faux !!
Juste
avant les noces, en 1841, Philibert Lacoste avait légué, par voie
testamentaire, tous ses biens à un jeune homme qui était, selon ce qu’on
disait, son fils.
Et
puis, Philibert n’avait-il pas menacé son frère, Henry, de le déshériter si il
se remariait ?
Euphémie
était au courant de cette menace, toute verbale d’ailleurs.
Non,
aucune animosité de la part de la jeune mariée qui se dévouait pour son mari,
un vieillard maladif. Et chacun de constater ce parfait dévouement, dénué d’hypocrisie.
Et
ce ne furent que calomnies, les dires prétendant que Lacoste était malheureux.
N’affirmait-il pas, lui-même, qu’il avait une « petite femme
merveilleuse ».
Puis
ce fut le décès brutal !
Euphémie
Lacoste aurait pu quitter Riguepeu, s’enfuir avec l’argent, loin, très loin, et
vivre à sa manière.
Elle
aurait eu de quoi !
Mais,
elle n’en fit rien.
Elle
séjournait de temps à autre à Tarbes, revenant toujours à Riguepeu.
Elle
vivait sans excès, comme une femme aisée de la campagne, sans plus.
Elle
s’occupait des affaires de feu son mari, devenues siennes, avec beaucoup d’attention.
Vint
alors l’accusation, celle qui faisait d’elle une empoisonneuse, une meurtrière,
une « veuve noire ». Elle en fut meurtrie, demandant l’exhumation du corps
afin de prouver sa bonne foi.
A
la découverte d’arsenic dans le corps de son mari défunt, ce fut
l’incompréhension, l’anéantissement. Un gouffre s’ouvrait à ses pieds.
Là
encore, elle aurait pu fuir, mais elle n’en fit rien !
Pourquoi
l’aurait-elle fait ?
Elle
se savait innocente !
L’angoisse
au ventre, elle avait subi les pires calomnies, les pires accusations.
Elle
était devenue, aux yeux des autres, de ceux qui du vivant de Henry Lacoste la
saluaient avec respect, un monstre hideux avide d’argent.
Injures,
mensonges, diffamations. Euphémie avait tout subi.
Dans
le box des accusés, au fil des audiences, il avait été découvert l’utilisation
abusive de remèdes secrets. Et que contenaient ces remèdes ?
De
l’arsenic !
Oui,
Henry Lacoste prenait, de lui-même, ces remèdes !
Henry
Lacoste s’est lui-même empoisonné !
Henry
Lacoste s’est lui-même donné la mort !
Mais
quelle différence pouvait-on faire entre
arsenic-remède et arsenic-poison ?
Les
experts n’avaient-ils pas expliqué que tout était « affaire de
dosage » ?
Et
Joseph Meilhan dans cette affaire.
Veuve,
Euphémie Lacoste dînait souvent avec lui.
Tous
deux faisaient des promenades en discutant.
Où
était le mal ?
Oui,
mais les habitants de Riguepeu voyaient d’un mauvais œil cette amitié entre
cette jeune femme et cet instituteur septuagénaire.
Mais,
cette complicité n’était pas nouvelle ! N’avaient-ils pas, ensemble, aidé
le pauvre Lacoste à passer de vie à trépas ? (Mais cette dernière
affirmation restait encore à démontrer... à prouver....)
Et
comme il fallait alimenter les médisances, et que la jeune femme souhaitait se
remarier, il fut question d’un homme, jeune celui-là !! Et qui passait ses
nuits auprès de cette veuve dévergondée aux mœurs dégradées.
Il
était pourtant bien légitime que cette femme d’une vingtaine d’années songeât à
prendre époux, et cette fois, un époux de son âge et à son goût.
Mais,
« on » ne le voyait pas ainsi. Veuve elle était devenue, veuve toute
de noire vêtue, elle devait rester, repliée sur son chagrin qui se devait
éternel.
Et
pourquoi pas l’enfermement dans un couvent ?
L’accusation
reposait uniquement sur le fait que :
Madame
Lacoste aurait tué son mari parce qu’elle ne lui avait pas donné d’héritier et craignait, de ce fait,
être déshéritée. D’autant plus que son époux distribuait allégrement promesses
d’argent à celles qui le feraient père.
Il
aurait été possible à Maître Alem-Rousseau de poursuivre ainsi, encore et
encore, sur bien des points anodins que les débats avaient soulevés, tel le mariage
des Lacoste qui n’aurait pas été béni par l’Eglise.
En
voilà encore une histoire qui n’avait rien à voir avec l’affaire, mais avait
provoqué des polémiques à n’en plus finir.
« Encore
une accusation sans fondement pour « faire de la peine » à l’accusée,
avait lancé le défenseur de Mme veuve Lacoste.
Alors,
pour calmer les esprits sur ce chapitre, l’avocat avait expliqué que M. Lacoste,
athée, avait eu des réticences pour un tel mariage. Mais, pour satisfaire la
famille de sa future, il avait fléchi. Ce fut l’abbé Rey, un ami de la famille
Vergès qui avait béni l’union.
Dans
quelle paroisse ?
Dans
aucune, M. Lacoste refusant de passer le seuil d’une église, la cérémonie s’était
déroulée dans une petite chambre, non loin de la cathédrale de Tarbes.....
Une
plaidoirie qui s’acheva enfin et que maître Alem-Rousseau conclut par la demande,
pure et simple, de l’acquittement de madame Lacoste.
L’avocat
était épuisé. Les traits tirés de son visage, les cernes noirs sous ses yeux l’attestaient.
Avait-il
convaincu ?
Le
14 juillet 1844 – Dernière audience.
Le
président de séance demanda à madame Lacoste et à monsieur Meilhan, si ils
avaient quelque chose à dire avant de clore définitivement les débats.
Réponse
négative des deux accusés.
Alors,
une dernière fois, cet homme de Haute Justice retraça les grandes lignes du
procès.
12 h 30 - les membres du jury entrèrent en délibération.
13 h
- les membres du jury pénétrèrent à nouveau
dans la salle d’audience, et le chef du jury prononça d’une voix forte et monocorde
afin que chacun puisse entendre clairement :
«
Sur mon honneur et ma conscience, devant
Dieu et devant les Hommes, la déclaration du jury sur toutes les questions :
NON. »
Un
brouhaha survola la salle.
Quelques
applaudissements.
Quelques
désapprobations.
La
sonnette du Président arrêta difficilement tout ce bruit.
Le
calme revenu, le président prononça l’ordonnance d’acquittement.

Tandis
que Meilhan s’éloignait d’un pas calme, entouré de ses fidèles amis dont le
capitaine Mothes.
Je
ne pourrais vous dire exactement ce que devinrent Euphémie Lacoste et Joseph
Meilhan.
Sauf
toutefois que Euphémie se remaria avec un certain Armand Taurias qui, en peu de
temps, dilapida toute sa fortune.
Madame
Euphémie Taurias, veuve Lacoste, née Vergès, décéda en 1854, lors d’une
épidémie de choléra.
-=-=-=-=-
Décevant de ne pas connaître la « vraie fin de l’histoire ».
Meilhan viva-t-il de ses rentes ? Alla-t-il vivre chez son fils ?
Quand décéda-t-il ?
Quant à Euphémie, elle se remaria, mais où et quand ? Eut-elle
des enfants ?
Peut-être, au détour d’un écrit, les réponses jailliront d’elles-mêmes.....
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