mercredi 22 juillet 2020

HISTOIRE VRAIE - SOUVENIR D’ENFANCE




Je vous soumets, aujourd’hui, un texte que j’ai écrit pour un concours de nouvelles, dont le thème était « DIX ».
Je n’ai pas eu le prix, même pas celui du « sourire ». Et pourtant !!!
Dommage !!

Mais est-ce que cela a réellement de l’importance ?
Au moins, j’ai osé !!!!
Oserais-je à nouveau..... Pas sûr !!


Alors, qu’en pensez-vous ?
Ai-je réussi à vous amuser ?
Et....... Je certifie que tous les personnages sont VRAIS..... Je les ai tous connus !!!!


Espiègleries des années 1910

« Dix ! »
En clamant victorieusement ce nombre, Madeleine se retourna et regarda alentour.
« Vous êtes cachées ? »
Aucune réponse.
Peut-être bien qu’en tendant l’oreille, il lui aurait été possible d’entendre quelques rires étouffés, mais la petite fille était bien trop absorbée. Ne devait-elle pas découvrir la cachette de ses sœurs ?
« Vous êtes où ? »
Aucune réponse.
Mais ce jeu n’avait-il pas pour règle de ne piper mot ?
Et les deux aînées de Madeleine se gardaient bien de ne pas bouger, de ne pas broncher, afin d’être un peu tranquilles, tout en surveillant leur petite sœur dont elles avaient la garde, lorsqu’il n’y avait pas classe.

Germaine, dix ans et Yvonne huit ans, devaient toujours avoir l’œil sur leur cadette, Madeleine, cinq ans, fillette espiègle et pleine de malice.
Pas de place dans la maison trop exiguë. Pour jouer, par tous les temps, c’était dehors, dans la cour ou dans un des bâtiments servant de remise.

Leur terrain de jeu de prédilection se situait autour de l’église Saint-Hilaire, à Rouen.
Lieu privilégié, avec vue plongeante sur la ligne de chemin de fer donnant tout loisir de regarder passer les trains de voyageurs et de marchandises en provenance de Paris et se dirigeant vers Le Havre. Les fillettes comptaient le nombre de wagons. Pour Madeleine, tous les trains n’avaient que dix wagons. Au-delà de dix, les nombres prenaient des voies tellement chaotiques qu’il était plus prudent qu’elle s’arrêtât à la première dizaine.

Et puis il y avait l’église Saint-Hilaire, formidable espace de jeux. L’endroit possédait de nombreux avantages. Celui, notamment, de leur offrir un abri sec en temps de pluie, et frais l’été en temps de canicule.
L’extérieur, mais surtout l’intérieur de cet édifice religieux, recélaient un nombre impressionnant de coins et recoins leur permettant de s’adonner à leur jeu préféré, le jeu de cache-cache.
C’était le plus souvent, Madeleine qui collait, appuyée contre un mur, les yeux fermés, comptant à haute voix : un – deux – trois...... jusqu’à dix, ne sachant, pour l’instant quels  étaient les nombres suivant.
Les parties de cache-cache se passaient fréquemment dans l’église, sauf lorsque Monsieur le Curé découvrait les fillettes dissimulées sous l’autel de la Vierge ou dans le confessionnal. Ce comportement n’était pas acceptable. Si tous les enfants fréquentant le catéchisme de sa paroisse en faisaient autant, l’église perdrait de sa quiétude, devenant cour de récréation.
Malgré son attitude faussement fâchée, Monsieur le Curé regardait avec bienveillance, celles qu’il appelait « ses enfants » et qui représentaient la vie, ici bas.


L’épicerie-café familiale, rue Martainville, à proximité du lieu sacré, présentait un avantage. Il ne fallait pas beaucoup de temps pour s’y rendre en cas d’une petite faim, d’une envie de gourmandise ou pour aller chercher un jouet.
Ah ! Ces envies de gourmandises ! Le ravitaillement en revenait à la petite Madeleine.
Et elle avait la tactique.
Elle passait par la porte donnant dans l’épicerie déclenchant un « drelin enroué », annonciateur de clientèle. Alors la petite voix flûtée lançait :
« C’est moi ! Je viens chercher ma poupée ! » 
La gamine allait, en effet, chercher sa poupée puis ressortait, pour revenir quelque temps après.
Même scénario.
« C’est moi !  Je rapporte ma poupée. »
Les prétextes divers et variés ne manquaient pas. Madeleine possédait une imagination débordante.
Une fois, deux fois, trois fois...... dix fois, certains jours, le manège se reproduisait et, à chaque voyage, juste avant d’ouvrir la porte vers l’extérieur déclenchant la clochette chevrotante, la petite main de Madeleine plongeait dans un des bocaux exposés sur le comptoir, ces grands bocaux en verre où se trouvaient les bonbons tant convoités.....
Larcins partagés et dégustés dans l’ombre protectrice du clocher de l’église Saint-Hilaire ou à l’intérieur, sous le regard protecteur des Saints au sourire figé pour l’éternité.
N’était-ce pas qu’un tout petit  pêché de gourmandise ? Pêché véniel que tout enfant confessait à monsieur le curé et qui était pardonné après un Pater et dix Ave.

Les sucreries donnaient la pépie....
Comment se désaltérer sans retourner à la maison ?
Madeleine, les lèvres et la langue sirupeuses d’avoir englouti un trop plein de bonbons dérobés, se posait la question. Tout à coup, elle se leva et devant le regard étonné de ses deux aînées, se dirigea vers le bénitier, à gauche juste en entrant, puis sur la pointe de ses pieds aux dix petits orteils, plongea ses deux mains aux dix doigts étroitement serrés, afin d’en faire une coupelle, les immergea dans le liquide, puis les retirant doucement pour ne pas perdre une seule goutte de cette boisson désaltérante, but avec délectation cette eau bénite ainsi recueillie.

« Ah !!  s’écrièrent Germaine et Yvonne avec une grimace de dégoût. Tu vas être malade !
-          Bah ! C’est pas sale, c’est de l’eau ! Et pis, j’avais soif ! rétorqua la gamine en s’essuyant la bouche d’un revers de manche.

D’ailleurs, en effet, pourquoi aurait-elle été malade ? L’eau n’avait-elle pas été bénie ?

Quelques décennies plus tard, alors que Madeleine, devenue Grand-mère approchait les soixante-dix ans, elle racontait encore et toujours, les diverses fois, où assoiffée, elle s’était abreuvée à l’eau du bénitier de l’église Saint-Hilaire à Rouen.
Pendant ce récit d’antan, nous, ses petits-enfants, pouvions apercevoir, dans les yeux de notre aïeule, l’éclair malicieux de dix millions d’étoiles, étoiles réfléchissantes des rires et facéties de son enfance.

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