mercredi 1 mars 2023

L’aubergiste de Sotteville-lès-Rouen - Deuxième partie : Les Bénard

 

 

Il avait emménagé sur la rive gauche de la Seine, dans le quartier Saint-Clément, au 80 rue des Brouettes à Rouen, dans une petite chambre meublée sous les toits. Il y faisait bien froid l’hiver et l’été, l’air y était étouffant.

Peu lui importait, il avait un toit au-dessus de la tête, après les journées harassantes dans la manufacture, dans le bruit infernal des métiers à tisser.

Et puis, le loyer était modeste, ce qui lui permettait d’économiser sur son salaire.

Economiser ? Ce n’était pas vraiment le mot, puisque cette somme, rognée sur le prix de son logement, il la remettait à sa mère afin que celle-ci, veuve depuis peu puisse vivre plus décemment. Elle travaillait pourtant sa mère, mais le taux de sa journée de travail, en sa qualité d’ouvrière était nettement inférieur à celui d’un homme, pour le même emploi.

Et il ne fallait surtout pas rechigner.

« Pas contente ? La porte, tu la vois ? Alors va voir ailleurs ! »

Et ailleurs, c’était le même traitement pour les femmes.

 

Athanase Victor Bénard était heureux de son sort.

Un toit au-dessus de la tête.

Un emploi comme tisserand dans une manufacture.

Et surtout, au rez-de-chaussée de la maison du 80 rue des Brouettes, vivait la famille Sénéchal dont la fille lui avait, il fallait bien le dire, tourneboulé la tête.

Cette jeune fille, répondant au prénom d’Émilie Adélaïde, ne semblait pas, d’ailleurs, indifférente à sa personne.

 

Très rapidement, travaillant au même lieu, ils avaient pris l’habitude de faire route ensemble.

Au tout début, le parcours n’était accompagné que par un échange de banalités.

« Fait beau, c’ matin ! »

« L’ temps change, ça sent l’automne qu’arrive ! »

Le temps, premier sujet de conversation quand la timidité l’emporte, quand on ne veut pas poser de questions trop personnelles qui pourraient passer pour de l’indiscrétion.

Athanas Victor se montrait prudent pour ne pas effaroucher la jeune fille et garder, ainsi, la possibilité de passer un peu de temps avec elle.


 

Petit à petit, ils en vinrent à parler de leur emploi, des événements qui se passaient dans le quartier, des fêtes à venir et enfin, d’eux. Une grande avancée qui avait tout de même pris plusieurs semaines.

 

Du trajet quotidien, Athanase Victor proposa à Émilie Adélaïde, une promenade un dimanche après-midi.

Leurs pas les menèrent sur les promenades le long des quais de la Seine, puis un autre dimanche, ils allèrent à Bonsecours où ils admirèrent les méandres du fleuve Seine et la ville de Rouen hérissée de ses multiples clochers.


Un magnifique panorama, d’autant plus que ce dimanche-là, le ciel était dégagé.

 

Ce fut ainsi que peu à peu, le jeune homme s’enhardit à prendre la main d’Émilie qui ne lui refusa pas, puis ce fut un premier baiser, timide, emprunté. Athanase ne voulait pas aller trop vite pour ne pas effaroucher Emilie qui ne le fut pas du tout, d’ailleurs.... et puis, il y eut des promesses et des engagements.

 

Les parents Sénéchal acceptèrent de recevoir ce garçon que leur fille appelait déjà « son fiancé ».

Pour se rendre chez les Sénéchal, Athanase n’eut que l’escalier à descendre.

Après avoir discuté un peu, bu un verre, Athanase fit sa demande en mariage en bonne et due forme au père, comme le voulait la tradition.

 

Les jeunes gens, officiellement fiancés, se rendirent à Sotteville-lès-Rouen, faire une visite à Madame veuve Bénard, la mère d’Athanase, pour lui annoncer leur futur mariage.

 

Ce fut le 7 avril 1856, à Rouen, que les deux amoureux, Émilie Adélaïde Sénéchal et Athanase Victor Bénard convolèrent en justes noces. Familles et amis, rassemblés autour du jeune couple prodiguaient vœux de bonheur et félicité.

Mais leur vie ne pouvait être que des meilleures car ils s’aimaient !

 

Le couple, ne pouvant vivre dans la chambre meublée de célibataire d’Athanase, trop exiguë, emménagea à Sotteville-lès-Rouen, au numéro 31 de la rue du Nouveau Monde.

 

Ce fut en ce lieu que naquit, le 24 août 1957, leur premier-né, un garçon, qui fut prénommé, Athanase Bernard.

La maman reprit son travail aussitôt la naissance.

 

Il leur fallut attendre plus de sept années, pour qu’arriva dans leur foyer, le 18 novembre 1864, une petite fille, Ernestine Palmire.

 

Deux petits !!

La maison n’était plus assez spacieuse.

Voilà pourquoi, il fut décidé d’emménager dans un autre lieu, tout proche d’ailleurs, puisqu’il se situait au numéro 33 de la même rue. En fait, juste à côté, dans  la même cour.

 

Ce fut dans ce nouveau logement que Louis Alexandre poussa son premier cri, le 2 juin 1866[1].


 

Était-ce en raison d’un emploi plus lucratif que la famille quitta Sotteville-lès-Rouen pour s’installer à Darnétal, au numéro 7 de la rue Pavée[2] ?

 

Sans doute.

À cette époque, le travail ne manquait pas et même s’il fallait faire valider son livret d’ouvrier par son patron pour embaucher ailleurs, cette formalité n’était pas un obstacle pour changer d’emploi.

 

N’était-ce pas aussi en raison du décès de la mère d’Athanase, survenu le  5 avril 1870[3] ?

 

Le séjour dans la rue Pavée ne fut qu’une succession de malheurs.

Joséphine Blanche y naquit le 26 juillet 1870 et y décéda le 30 août suivant.

Prosper Augustin y vit le jour le 2 novembre 1871 et fut inhumé le 26 décembre de la même année.

 

Après ces deux deuils, le couple Bénard quitta Darnétal et emménagea, rue Hoche[4] à Sotteville-lès-Rouen. À cette adresse, tous deux tenaient une épicerie-débit-de-boisson et accueillaient aussi quelques pensionnaires.

 

Un couple sans histoire.

Un couple qui se soutenait dans les moments difficiles.

Un couple qui avait toujours travaillé et avait mis quelques pécules de côté.



[1] Le recensement de Sotteville-lès-Rouen, année 1866, note :

·         Bénard Athanase – encolleur – 36 ans – chef de ménage.

·         Sénéchal Emilie Adélaïde Antoinette – épouse – 31 ans.

·         Bénard Athanase – fils – 9 ans.

·         Bénard Olympe ( ?) Ernestine – fille 20 mois.

·         Louis Alexandre – fils – 3 semaines.

Ce qui fait penser que le recensement avait eu lieu fin juin 1866.

[2]  La rue Pavée à Darnétal porte aujourd’hui le nom de : rue Pierre Lefebvre. Au moment de l’arrivée des Bénard, il existait dans cette rue une filature de coton appartenant aux sieurs Turgis-frères. Cette filature fut rachetée dans les années 1880 par M. Boulouze et devint une manufacture de tissage de coton.

Je suppose que le couple Bénard travailla dans cette filature, car à cette époque, Emilie était bobineuse.

[3] Virginie Mauger, veuve Bénard, est décédée le 5 avril 1870 en son domicile de Sotteville-Lès-Rouen, rue des Capucins. Elle était âgée de soixante-neuf ans.

[4] La rue Hoche à Sotteville-Lès-Rouen est parallèle à la rue Pierre Corneille et aboutit à ses extrémités : rue Hyacinthe Vincent et rue Gustave Fouache.

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