Il avait emménagé sur la rive
gauche de la Seine, dans le quartier Saint-Clément, au 80 rue des Brouettes à
Rouen, dans une petite chambre meublée sous les toits. Il y faisait bien froid
l’hiver et l’été, l’air y était étouffant.
Peu lui importait, il avait un
toit au-dessus de la tête, après les journées harassantes dans la manufacture,
dans le bruit infernal des métiers à tisser.
Et puis, le loyer était modeste,
ce qui lui permettait d’économiser sur son salaire.
Economiser ? Ce n’était pas
vraiment le mot, puisque cette somme, rognée sur le prix de son logement, il la
remettait à sa mère afin que celle-ci, veuve depuis peu puisse vivre plus
décemment. Elle travaillait pourtant sa mère, mais le taux de sa journée de
travail, en sa qualité d’ouvrière était nettement inférieur à celui d’un homme,
pour le même emploi.
Et il ne fallait surtout pas
rechigner.
« Pas contente ? La
porte, tu la vois ? Alors va voir ailleurs ! »
Et ailleurs, c’était le même
traitement pour les femmes.
Athanase Victor Bénard était
heureux de son sort.
Un toit au-dessus de la tête.
Un emploi comme tisserand dans
une manufacture.
Et surtout, au rez-de-chaussée de
la maison du 80 rue des Brouettes, vivait la famille Sénéchal dont la fille lui
avait, il fallait bien le dire, tourneboulé la tête.
Cette jeune fille, répondant au
prénom d’Émilie Adélaïde, ne semblait pas, d’ailleurs, indifférente à sa
personne.
Très rapidement, travaillant au
même lieu, ils avaient pris l’habitude de faire route ensemble.
Au tout début, le parcours
n’était accompagné que par un échange de banalités.
« Fait beau, c’
matin ! »
« L’ temps change, ça sent l’automne
qu’arrive ! »
Le temps, premier sujet de
conversation quand la timidité l’emporte, quand on ne veut pas poser de
questions trop personnelles qui pourraient passer pour de l’indiscrétion.
Athanas Victor se montrait prudent pour ne pas effaroucher la jeune fille et garder, ainsi, la possibilité de passer un peu de temps avec elle.
Du trajet quotidien, Athanase
Victor proposa à Émilie Adélaïde, une promenade un dimanche après-midi.
Leurs pas les menèrent sur les
promenades le long des quais de la Seine, puis un autre dimanche, ils allèrent
à Bonsecours où ils admirèrent les méandres du fleuve Seine et la ville de
Rouen hérissée de ses multiples clochers.
Un magnifique panorama, d’autant
plus que ce dimanche-là, le ciel était dégagé.
Ce fut ainsi que peu à peu, le
jeune homme s’enhardit à prendre la main d’Émilie qui ne lui refusa pas, puis ce
fut un premier baiser, timide, emprunté. Athanase ne voulait pas aller trop
vite pour ne pas effaroucher Emilie qui ne le fut pas du tout, d’ailleurs....
et puis, il y eut des promesses et des engagements.
Les parents Sénéchal acceptèrent
de recevoir ce garçon que leur fille appelait déjà « son fiancé ».
Pour se rendre chez les Sénéchal,
Athanase n’eut que l’escalier à descendre.
Après avoir discuté un peu, bu un
verre, Athanase fit sa demande en mariage en bonne et due forme au père, comme
le voulait la tradition.
Les jeunes gens, officiellement
fiancés, se rendirent à Sotteville-lès-Rouen, faire une visite à Madame veuve
Bénard, la mère d’Athanase, pour lui annoncer leur futur mariage.
Ce fut le 7 avril 1856, à Rouen,
que les deux amoureux, Émilie Adélaïde Sénéchal et Athanase Victor Bénard convolèrent
en justes noces. Familles et amis, rassemblés autour du jeune couple
prodiguaient vœux de bonheur et félicité.
Mais leur vie ne pouvait être que
des meilleures car ils s’aimaient !
Le couple, ne pouvant vivre dans
la chambre meublée de célibataire d’Athanase, trop exiguë, emménagea à
Sotteville-lès-Rouen, au numéro 31 de la rue du Nouveau Monde.
Ce fut en ce lieu que naquit, le
24 août 1957, leur premier-né, un garçon, qui fut prénommé, Athanase Bernard.
La maman reprit son travail aussitôt
la naissance.
Il leur fallut attendre plus de
sept années, pour qu’arriva dans leur foyer, le 18 novembre 1864, une petite
fille, Ernestine Palmire.
Deux petits !!
La maison n’était plus assez
spacieuse.
Voilà pourquoi, il fut décidé
d’emménager dans un autre lieu, tout proche d’ailleurs, puisqu’il se situait au
numéro 33 de la même rue. En fait, juste à côté, dans la même cour.
Ce fut dans ce nouveau logement
que Louis Alexandre poussa son premier cri, le 2 juin 1866[1].
Était-ce en raison d’un emploi
plus lucratif que la famille quitta Sotteville-lès-Rouen pour s’installer à
Darnétal, au numéro 7 de la rue Pavée[2] ?
Sans doute.
À cette époque, le travail ne
manquait pas et même s’il fallait faire valider son livret d’ouvrier par son
patron pour embaucher ailleurs, cette formalité n’était pas un obstacle pour
changer d’emploi.
N’était-ce pas aussi en raison du
décès de la mère d’Athanase, survenu le
5 avril 1870[3] ?
Le séjour dans la rue Pavée ne
fut qu’une succession de malheurs.
Joséphine Blanche y naquit le 26
juillet 1870 et y décéda le 30 août suivant.
Prosper Augustin y vit le jour le
2 novembre 1871 et fut inhumé le 26 décembre de la même année.
Après ces deux deuils, le couple
Bénard quitta Darnétal et emménagea, rue Hoche[4]
à Sotteville-lès-Rouen. À cette adresse, tous deux tenaient une épicerie-débit-de-boisson
et accueillaient aussi quelques pensionnaires.
Un couple sans histoire.
Un couple qui se soutenait dans
les moments difficiles.
Un couple qui avait toujours
travaillé et avait mis quelques pécules de côté.
[1] Le recensement de Sotteville-lès-Rouen, année 1866,
note :
·
Bénard Athanase –
encolleur – 36 ans – chef de ménage.
·
Sénéchal Emilie
Adélaïde Antoinette – épouse – 31 ans.
·
Bénard Athanase –
fils – 9 ans.
·
Bénard Olympe
( ?) Ernestine – fille 20 mois.
·
Louis Alexandre –
fils – 3 semaines.
Ce qui fait penser que le recensement avait eu lieu fin juin 1866.
[2] La rue Pavée à
Darnétal porte aujourd’hui le nom de : rue Pierre Lefebvre. Au moment de
l’arrivée des Bénard, il existait dans cette rue une filature de coton
appartenant aux sieurs Turgis-frères. Cette filature fut rachetée dans les
années 1880 par M. Boulouze et devint une manufacture de tissage de coton.
Je suppose que le couple
Bénard travailla dans cette filature, car à cette époque, Emilie était
bobineuse.
[3] Virginie Mauger, veuve Bénard, est décédée le 5 avril
1870 en son domicile de Sotteville-Lès-Rouen, rue des Capucins. Elle était âgée
de soixante-neuf ans.
[4] La rue Hoche à Sotteville-Lès-Rouen est parallèle à la
rue Pierre Corneille et aboutit à ses extrémités : rue Hyacinthe Vincent
et rue Gustave Fouache.
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