Un beau parleur.
Voilà ce que chacun disait de
lui, mais on le qualifiait également de paresseux ou tire-au-flanc.
Élisa Désirée ne voulait pas
prêter l’oreille aux racontars des uns et des autres, pensant à juste titre,
sans doute, que ce n’était que des racontars.
Elle n’avait voulu voir, cette
jeune fille, que des yeux couleur châtaigne qui riaient lorsqu’ils la
regardaient, une fossette au menton qui le différenciait des autres, une
cicatrice au-dessus de l’oreille gauche qui lui donnait un air de baroudeur et
les tatouages sur ses bras.
Lui, c’était Félix Joseph, le
garçon qui lui avait fait chavirer le cœur.
Et Élisa Désirée, amoureuse au
plus haut point, n’avait pris en compte aucun des avertissements sur les
mauvais côtés de l’élu de son cœur. Non, rien ne pouvait la détourner de lui.
Il avait donc bien manœuvré,
Félix Joseph pour attirer la jeune fille. Des compliments, des petits cadeaux,
des promenades innocentes main dans la main et quelques baisers volés.
Toutes ces attentions, elle le
savait, n’étaient que pour elle et aucune autre.
Alors, la douce jeune fille avait
succombé au charme du jeune homme, bien au-delà de ce qu’elle aurait dû.
Quelle imprudence !
Pourtant, elle avait été mise en
garde : beau parleur, cavaleur....
« Mais, se disait-elle, s’il
a eu de nombreuses conquêtes, je serai la dernière, celle de toute sa
vie ! »
Les deux jeunes gens, Élisa
Désirée et Félix Joseph, travaillaient dans une des nombreuses fabriques de
draps de Saint-Pierre-lès-Elbeuf, commune où ils demeuraient également.
Félix Joseph louait un petit
meublé, rue du Diguet.
Élisa Désirée demeurait chez ses
parents, rue de la Gazouillère.
Deux rues qui n’étaient pas très
éloignées l’une de l’autre[1].
En août 1872, la jeune fille,
tout juste âgée de dix-neuf ans se retrouva enceinte.
Pas prévue, cette situation pour
Félix Joseph qui en prit ombrage. Il ne se voyait pas en père de famille, mais
alors, pas du tout.
Élisa Désirée qui pensait que
cette nouvelle allait enchanter le futur père, s’aperçut très vite que ce
dernier avait des tendances à se défiler.
Les relations entre les amoureux
se dégradèrent, d’autant plus que le jeune homme rejetait la faute de cette
grossesse non-désirée sur sa presque fiancée.
Le temps passa et il fallut bien
trouver une solution.
Et celle-ci fut le passage devant
Monsieur le Maire.
En ce 15 février 1873, la mariée,
Élisa Désirée Picard[2],
arborait un ventre bien rebondi. Le marié, Félix Joseph Alavoine[3],
arrosa un peu trop l’événement. Peut-être histoire d’oublier qu’il se mariait !
Présents à cette cérémonie, le
père du marié, Alexandre Félix Alavoine[4],
seul, puisque veuf depuis déjà plusieurs années, et les parents de la jeune fille[5].
Quant aux témoins, ils faisaient
tous partie de la famille d’Élisa Désirée Picard :
·
Benoni Alfred
Carbonnier : oncle du côté maternel.
·
Louis Eugène, Eleonor
Noël et Benoni Constant Picard : les trois frères de la mariée.
Un peu plus de deux mois après le
mariage de ses parents, Ernest Félix vint au monde au domicile paternel, rue du
Diguet, le 22 avril 1873.
La jeune maman reprit le chemin
de la fabrique, car il n’était pas question de se passer de son salaire.
La vie au foyer n’était pas des
plus heureuses. Félix Joseph se montrait jaloux et violent. Et surtout, il
n’avait pas abandonné ses habitudes de garçon, fréquentant assidûment les
estaminets et revenant au foyer très éméché. Bien sûr, Élisa Désirée n’osait
rien dire pour ne pas attiser la colère de son époux. Elle faisait ce qu’elle
pouvait pour subvenir aux frais du ménage, surtout lorsque le salaire passait,
en partie, dans la boisson.
Quand une nouvelle grossesse
s’annonça, la pauvre jeune femme fut effondrée.
Une bouche de plus à
nourrir !
Et en plus, le logement devenu
trop petit pour accueillir le nouveau bébé, le ménage dut quitter
Saint-Pierre-lès-Elbeuf pour s’installer de l’autre côté de la Seine à
Caudebec-lès-Elbeuf, rue de la Chaussée.
Pour éviter de faire de trop
longs trajets, Élisa Désirée et Félix Joseph trouvèrent à embaucher dans une
manufacture d’Elbeuf-sur-Seine.
Ce fut à cet endroit qu’Elise
Albertine poussa son premier cri, le 12 juin 1875.
Élisa Désirée se donnait beaucoup
de mal pour tenir son ménage, mais malgré tous ses efforts, ce n’était jamais
assez bien pour son époux qui s’absentait de plus en plus pour aller boire.
Fatiguée, à la limite de
l’épuisement, la jeune femme n’en pouvait plus.
Quand en mai 1876, elle comprit
qu’une nouvelle naissance s’annonçait, elle fut anéantie. Avec un troisième
enfant, elle ne pourrait plus travailler.
Que faire ?
La grossesse fut des plus
difficiles. Nausées. Fatigues. Malaises.
Quand le moment de la délivrance
arriva, Élisa Désirée n’avait plus aucune force.
Elle regarda, le cœur serré, la petite fille à qui elle venait de donner
la vie. Une petite chose fragile. Cette naissance en ce milieu de janvier 1877[6]
n’apporterait pas au bébé la chaleur nécessaire.
La maman avait pris sa petite
Marceline contre elle afin de lui donner un peu de sa chaleur. Elle se
demandait si elle aurait suffisamment de forces pour assumer ce nouvel enfant,
elle déjà si lasse.
Élisa Désirée avait bien raison
d’avoir peur. Son état déclina de plus en plus.
Élise Désirée décéda cinq jours
après la venue au mondez de sa petite fille, le 20 janvier 1877.
Félix Joseph se retrouva seul,
avec trois petits en bas âge.
Réalisa-t-il, à ce moment, l’importance
d’une femme dans un foyer, de sa femme dans son foyer ?
[1] Les deux rues se situaient à l’entrée de la commune de
Saint-Pierre-lès-Elbeuf en arrivant par la route de Louviers.
[2] Élisa Désirée Picard, née le 3 juillet 1853 à
Pont-de-L’arche
[3] Félix Joseph Alavoine, né le 18 septembre 1846 à Elbeuf-sur-Seine.
[4] Son épouse, Clotilde Aglaé Quesney, était décédée le
22 septembre 1869 à Rouen.
[5] Les parents de
la mariée : Eugène Désiré Picard et Louise Félicité Carbonnier.
[6] Marceline Eugénie Alavoine naquit le 15 janvier 1877.
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