vendredi 24 mars 2023
L’aubergiste de Sotteville-lès-Rouen - Cinquième partie : Un décès qui bouleversa le cours de la vie
Émilie Adélaïde n’osait sermonner
son pensionnaire, pensant qu’il avait le droit à quelques distractions.
N’avait-il pas été cruellement
éprouvé par la vie ?
La vie ! Elle en réservait
toujours et pas du meilleur.
En effet, Athanase Victor Bénard
décéda brusquement le 25 octobre 1887, à son domicile, au numéro 6 de la rue
des Capucins à Sotteville-lès-Rouen.
Pas à un âge avancé, puisqu’il
venait de fêter ses quarante-sept ans. Pas vieux, non, mais usé par les lourdes
journées de labeur.
Depuis l’annonce de la mort
d’Athanase, la maison Bénard ne désemplissait pas. Amis et voisins venaient
réconforter Émilie Adélaïde.
Le jour des funérailles, il y
avait foule à l’église et dans le cimetière. On l’aimait bien, Athanase. Un
brave homme !
Émilie Adélaïde, veuve Bénard, se
retrouva seule, avec à charge deux enfants, Ernestine Palmyre et Louis
Alexandre. La première âgée de douze ans et le second de dix ans.
Heureusement, il y avait le commerce
qui prenait beaucoup de temps, n’en laissant ainsi que peu aux cogitations et
aux lamentations.
Depuis le décès du
« patron », Félix Joseph Alavoine ne sortait plus le soir. Aussitôt
sa journée achevée aux ateliers du Chemin de fer, il rentrait et aidait au
café.
Émilie Adélaïde y vit une marque
de déférence et l’apprécia beaucoup.
Le soir, tous deux restaient à
discuter avant d’aller dormir. Ils parlaient du passé, des bons et mauvais
moments, et de l’avenir un peu sombre et surtout incertain.
« Faut qu’ le commerce
marche, pour que vous viviez, dit un soir Félix Joseph.
— Faudrait, en effet ! affirma
Émilie Adélaïde. Mais les temps sont durs pour tout l’ monde. Chacun compte ses
sous, pas vrai ?
Un long silence s’établit alors.
Émilie Adélaïde pensait à son
époux trop tôt disparu, à ses deux jeunes enfants, encore au foyer, à sa vie, à
présent, sans le soutien de son homme.
Félix Joseph tournait dans sa
tête la manière d’aborder la question qui le taraudait. Il voulait connaître,
sans montrer une curiosité excessive et intéressée, le montant d’éventuelles
économies en possession de la veuve. Les mots tournaient dans le cerveau de cet
homme sans qu’ils ne puissent être formulés.
« Tant pis, se dit-il, il
faut que j’ sache ! »
Puis, après une grande
inspiration, il lança :
« Vous avez ben mis un peu
d’ côté avec vor’ mari ? Ce qui permettrait de voir venir, en cas d’
problèmes ! »
Émilie Adélaïde ne répondit pas
tout de suite.
« Où voulait-il en
venir ? »
Et puis, on ne parlait pas
d’argent et encore moins de son argent. Donner le montant de sa fortune,
c’était un peu se mettre à nu devant les autres. Le seul devant qui il était
possible d’étaler le montant de ses biens, c’était le notaire.
Le notaire ! En voilà un qui
détenait bien des secrets de toute sorte.
Alors, Émilie Adélaïde, en bonne
Normande, répondit :
« Oui et non ! »
« En voilà une
réponse ! » se dit Félix Joseph Alavoine un peu vexé, mais il n’osa
insister.
Une telle réponse, ambiguë,
prouvait toutefois qu’il y avait de l’argent, car si le couple n’avait eu aucune
économie, la réponse de la veuve aurait été plus catégorique. Elle aurait dit :
« Non ! »
Dans l’esprit de Félix Joseph,
commença à s’échafauder un plan de séduction.
Cette gentillesse de tous les
instants n’échappa pas à la femme veuve Bénard, mais elle n’y vit pas de malice.
En ce début d’année 1878, elle
avait quarante-quatre ans et son locataire, trente-deux ans.
Elle se jugeait bien trop âgée
pour convoler de nouveau et surtout, avec un homme ayant presque treize années
de moins qu’elle.
Pourtant, peu à peu, au fil des
jours, leurs regards se croisèrent de plus en plus souvent et une complicité
s’instaura.
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