mercredi 29 mars 2023
L’aubergiste de Sotteville-lès-Rouen - Sixième partie : Demande en mariage
Peu à peu, les scrupules d’Émilie
Adélaïde s’estompèrent.
Sous le regard de son amant, elle
avait rajeuni, et puis, il était si gentil, si prévenant.
Pourquoi refuser le bonheur,
uniquement en raison de ces treize années de différence d’âge ?
Dans le quartier, pourtant, les
langues, les mauvaises bien évidemment, allaient bon train.
Et il n’était pas rare d’entendre :
— I’ s’en passe de belles dans l’
commence !
— C’est qu’elle s’est vite
consolée, l’Émilie !
— Avec un homme aussi jeune, moi
non plus, j’aurais point hésité.
— Toi, forcément, t’as toujours le
feu au jupon !
— En attendant, moi, j’ trouve ça
vraiment peu convenable, surtout sous le même toit qu’ les enfants !
Des propos acerbes et offensants.
La plupart de ces femmes aurait
bien voulu être à la place d’Émilie Adélaïde, mais elles s’en gardaient bien de
l’admettre. Il était bien plus aisé de cacher la jalousie sous de la
réprobation.
Émilie Adélaïde, bien qu’offensée,
faisait mine de rien. Dans le commerce, il fallait toujours garder le sourire
de crainte de voir la clientèle prendre ses habitudes dans le commerce d’à
côté. Toutefois, une mauvaise réputation due à des mœurs dissolues atteindrait
le même résultat.
Elle en parla, un soir, comme ça
à Félix Joseph, histoire de...
« Les gens causent, tu sais.
— Et alors ! Laisse causer !
— Tout d’ même, les propos sont
point élogieux.
— C’est toi qui veux pas qu’on s’
marie !
Et en effet, Félix Joseph avait
évoqué le mariage, il y avait quelque temps et c’était Émilie Adélaïde qui
avait écarté la proposition.
Félix Joseph, lui, souhaitait
mettre la bague au doigt de sa maîtresse, pour une raison bien évidente, celle
de devenir le patron de l’épicerie-café et mettre la main sur les économies que
le couple Bénard avait mises de côté et dont il n’avait pu obtenir le montant
exact.
Le mariage lui permettrait de
bénéficier des biens de son épouse.
Il devait donc manœuvrer en
finesse.
Suite au refus d’Émilie Adélaïde
de passer devant Monsieur le Maire, bien que vexé, Félix Joseph n’avait rien
dit, sauf :
« On f’ra comme tu l’ veux ! »
Devant ce soudain revirement, en
raison des commérages, il répliqua en prenant sa maîtresse dans ses bras :
« On est point bien comme ça ?
Pas besoin ni du maire, ni du curé. Pas vrai ?
Ce fut au tour d’Émilie Adélaïde
de se sentir repoussée. Assurément, cet homme ne tenait pas vraiment à elle. Sûr
qu’elle n’était plus très jeune et qu’il y en avait de bien plus jolies qu’elle.
Elle ravala des larmes de dépit et s’en retourna à ses occupations, sans piper
mot.
Félix Joseph la regarda s’éloigner,
non sans un certain plaisir. Sa stratégie avait l’air de bien fonctionner. Il
suffisait d’attendre encore un peu.
« À moi les économies, se
réjouissait-il alors. Encore un peu de patience ! »
En attendant, il se fit toute
douceur, toute gentillesse, tout en gardant une certaine distance.
Lorsqu’ Émilie Adélaïde se rapprochait
de lui, il la repoussait avec ménagement, arguant :
— On pourrait nous voir !
— Attention, on nous épie !
Ce qui mettait les nerfs à vif de
la pauvre femme qui commençait fortement à douter de l’amour de son locataire,
si empressé quelques jours plus tôt.
Aurait-il trouvé ailleurs et
mieux ?
Une pointe de jalousie la
tenaillait de plus en plus.
À certains moments, elle avait
une forte envie de voir cet homme quitter son foyer.
« J’ me débrouill’rait ben
tout’ seule ! Et pis, j’ai d’ quoi vivre sans lui. »
Mais à d’autres, l’envie des bras
de son amant autour d’elle et de ses caresses lui manquaient, cruellement. Avec
lui, elle se sentait vivre une nouvelle jeunesse.
Alors, lorsque Félix Joseph,
après un laps de temps que lui sembla suffisant, lui demanda :
« Alors, t’es toujours d’accord
pour l’ mariage ? »
Elle lui sauta au cou, toute
ragaillardie, et pleine d’espoirs retrouvés.
« Et pour l’occasion, on
ferm’ra l’ commerce », répondit-elle en le couvrant de baisers.
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