« Où il est encore, c’ t’
gosse ?
— Encore
à fouiner dans un coin !
—
I’ réapparaîtra ben quand il aura
faim, va !
— I’
doit êt’ près d’ la rivière, à c’t’ heure !
Le gamin dont il était question avait
été accueilli à l’hospice de la ville de Louviers, suite au décès de son père[1].
Turbulent, effronté, vif d’esprit, on
ne pouvait, malgré tout, que tomber sous son charme.
Très longtemps livré à lui-même, il
n’en faisait qu’à sa tête, sans tenir compte des conseils et des mises en
garde.
Un galopin comme il y en avait tant
d‘autres.
-=-=-=-=-=-
Lorsque sa mère, Marie Rose Prévost,
avait épousé, le 5 mars 1803, René Roussel, veuf d’Anne Duteurtre, âgé de
soixante ans passés alors qu’elle affichait seulement vingt-sept ans, cela fit
jaser.
Quand naquit le petit Louis Jacques[2], sept
ans plus tard, cela fit sourire.
Mais Marie Rose n’en avait que faire
de tous ces ragots.
Quant à René Roussel, il n’était pas
peu fier d’aller présenter le petit à la mairie, en ce 27 avril 1810.
« Un beau gars ! R’gardez
moi ça ! », disait-il à tous ceux qu’il rencontrait sur son parcours.
Et « son gars », comme il
disait, il ne le quittait pas des yeux. Il voulait en profiter de ce petit. Il
était vrai qu’à son âge, il savait bien qu’il avait peu de chances d’être
présent le jour de son mariage.
Alors, il le dévorait des yeux à
longueur de temps, n’acceptait pas qu’il criât, prenait peur lorsqu’il le
trouvait un peu chaud.
Son « gars » était le centre
du monde, de son monde à lui.
En effet, il n’en profita pas
longtemps, pas assez longtemps, juste celui de le voir faire ses premiers pas
et de l’entendre articuler ses premiers mots, car, René Roussel décéda le 29
décembre 1812.
-=-=-=-=-=-
Au bord du bras de Saint Taurin qui
bordait le terrain, derrière l’hospice de Louviers, le jeune Louis Jacques
essayait d’attraper des poissons. C’était son occupation favorite.
« Tu vas finir par tomber dans la
rivière, lui avait dit la sœur chargée des enfants hébergés à l’hospice. C’est
dangereux !
— Que
non ! répondait le gamin. Pas dangereux. Pis, j’ sais nager, moi !
—
Il est interdit d’aller près de l’eau.
Tu entends ?
— Oui,
oui, finissait-il par répondre pour avoir la paix, et puis, il disparaissait en
courant, faisant entendre un rire cristallin, plein de fraîcheur et de malice.
-=-=-=-=-=-
Le ciel était bas, en ce milieu
d’après-midi de début d’automne. Il charriait des nuages aux formes étranges et
mouvantes que l’enfant aimait à observer. Une petite pluie fine tombait,
rendant la berge glissante.
-=-=-=-=-=-
« Ça fait ben longtemps qu’on l’a
pas vu, l’ gamin ! »
Alors, on se mit à le chercher et bien
entendu, les pas menèrent, sans tarder, vers son lieu de prédilection : le
bord de la rivière.
Là, en effet, se trouvait l’enfant, flottant
le nez dans l’eau, inanimé.
« J’ lui avais ben dit, d’ pas
venir pécher, dit une femme en apprenant la nouvelle le soir même.
— On
lui avait tous dit, répondit la sœur, en se signant. Que Dieu accueille son
âme !
Le 6 octobre 1819, Pierre Guesnon,
économe de l’hospice, alla déclarer au service de l’état-civil, que la veille à
cinq heures du soir, était décédé le jeune Roussel, âgé de neuf ans et six mois,
fils de feu René Roussel et de Marie Rose Prévost. Il était accompagné de
Guillaume Huet, sonneur de son état.
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Je n’ai malheureusement pas retrouvé
la trace de Marie Rose Prévost, fille de Jacques Prévost et Marie Lequeu, née
le 14 novembre 1776 (date notée sur son acte de mariage en date du 15 floréal
an 11).
Avait-elle abandonné son fils, Louis
Jacques, aux bons soins des sœurs de l’hospice de Louviers, juste après le
décès de son époux, afin de convoler avec un nouvel amoureux ?
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