jeudi 31 octobre 2024

Un chaland regarde un chat lent sur un chaland.

  

Que comprendrait un étranger, maîtrisant mal la langue française, en entendant la phrase suivante ?

 


Un chaland regarde un chat lent sur un chaland.

 

Premier « chaland » :

Nom masculin, ayant pour féminin une chalande. Une chalande, pas très courant !! D’ailleurs le chaland ainsi que la chalande prennent leur temps...

Le mot chaland connut évidemment différentes orthographes :

·         Chalant – 1174.

·         Chaulant – 1250/1300.

·         Chalan – XIVème siècle.

Chaland est le participe présent du verbe chaloir (importer – commercer).

 

Issu du latin calere = être chaud

Qui au sens figuré prit la signification de : être sur des charbons – s’inquiéter.

 

Un chaland,

·         celui qui s’inquiète pour..

·         qui trouve un intérêt à ...

Mais qui fut aussi employé pour :

·         Un ami – un compagnon (1250-1300).

·         Un amoureux (1771).

·         Ou encore, au XIIIème siècle, un compagnon exerçant le même métier qu’un autre.

·         Puis aussi, une personne qui achète habituellement chez le même commerçant, sens que lui attribua Rabelais en 1548, avec une petite nuance de coquin....

 

En ce qui concerne présentement notre chaland, il est un promeneur sans but, à l’affût d’un événement hors du commun.

Est-il inquiet ?

À vrai dire rien ne le précise.


 




Deuxième « chat lent » :

Un chat, un félin des plus ordinaires, qui est d’une grande lenteur dans les soins qu’il apporte à sa toilette, passant et repassant sa patte derrière son oreille, comme le chat de Marcel Aymé dans « les contes du chat perché ».

Un chat lent... Nonchalant en quelque sorte !

Un chat lent vivant sur un chaland !

 



Troisième chaland :

·         Caland en 1080.

·         Chaland vers 1160.

Un mot dont l’origine remonte au grec byzantin khelandion, terme de marine désignant un grand bateau plat servant à transporter des marchandises.

 

Ce chat lent se trouve donc sur un chaland qui passe nonchalamment sur un cours d’eau.

Le chaland sur le chemin de halage regarde passer le chaland sur lequel le chat lent fait lentement, paresseusement, sa toilette.

 

Une scène paisible, ne trouvez-vous pas ?

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

Les deux frères

 

 Georges et François Rimy étaient connus pour avoir fait, dans leur jeunesse les quatre cents  coups ! Quatre cents ? Peut-être même bien plus d’ailleurs.

Arrivés à l’âge adulte, ils vivaient tous deux de la fabrication du gruyère.

Dans leur commune, Charmey, ils n’étaient pas les seuls, beaucoup de paysans tout comme eux fabriquaient du fromage à partir du lait de leurs vaches.

Mais voilà ! Les deux frères Rimy faisaient un meilleur profit !

Il n’en fallut pas plus pour que des regards accusateurs se dirigent vers eux, que des langues assassinent les accusent.

Les accusent de quoi ? D’être des Milch-Zieher, des voleurs de lait.

Car si les deux frères avaient plus de lait, c’était bien évidemment parce qu’ils volaient celui de leurs voisins.

Et comme les Rimy n’avaient jamais été pris sur le fait, c’était parce qu’ils utilisaient la magie.

 

La rumeur grossit, s’enfla comme la « grenouille de la fable de La Fontaine », et voilà Georges et François accusés de sorcellerie comparaissant devant les juges.

Ils expliquèrent qu’ils ne volaient pas le lait de leurs voisins, mais que leur production venait tout simplement d’une bonne gestion de leur élevage.

D’abord, ils choisissaient leurs vaches.

« Une vache est toujours une vache, répondit le Juge qui n’en avait jamais fait l’élevage.

        Que non ! certaines sont meilleures laitières que d’autres !

        Et vous les trouvez où ces vaches exceptionnelles ?

        Sur les foires aux bestiaux, pardi ! Il faut choisir des vaches de race « Schwytzer[1] ».

        Et ces vaches produisent plus, dites-vous ? Comme ça ? D’un coup de magie ? Poursuivit le Juge.

        Nulle magie là-dedans, répondirent les frères. Une vache, même très bonne laitière comme la « Schwytzer » doit être bien soignée et bien nourrie.

 

Et voilà Georges et François rivalisant de commentaires, expliquant avec beaucoup de passion leur travail, l’amour de leur troupeau qui les remerciait par une abondance de lait à chaque traite.

 

Les voisins furent toutefois dubitatifs, pour eux, les deux frères utilisaient des sortilèges.

Les juges, malgré de forts soupçons, non convaincus, car n’y connaissant rien en matière de bovidés et de lait, libérèrent les frères Rimy.

 

L’histoire qui se passait au milieu du XVIIème siècle s’arrête là, n’ayant aucune information des suites de l’affaire.

 

Mais, en fouillant, j’ai découvert des accusations similaires.


 


En 1517, un certain Christian Born fut également accusé d’être un « voleur de lait ». Mais un siècle plus tôt, les croyances étaient bien plus ancrées et cet homme qui ne sut se défendre fut brûlé au Guintzet[2] pour sorcellerie.

Sa femme, Collette, fut mise au pilori, accusée uniquement de vol.

 

Le jeune Claude Bernard, âgé de douze ans, subit le même sort en 1651, son exécution eut lieu au Belluard[3].

 

Ils ne furent pas les seuls sorciers ou envoûteurs, nous le verrons bientôt.



[1] Vache de couleur grise de petit format, rustique, qui fournit des quantités respectables de viande et de lait - en moyenne 3 600 kg de lait par période de lactation. Avec son faible poids, elle ménage le sol. Elle est capable de paître même sur des terrains escarpés.

[2] Colline dominant la ville de Fribourg où se dressait le gibet et où le bûcher était élevé pour les exécutions.

[3] Autre lieu de Fribourg.



jeudi 24 octobre 2024

Les sorciers et envoûteurs

 

       

Il y en eut bien sûr, des sorciers, mais ils furent bien moins nombreux de leurs consœurs les sorcières.

Sylvestre Peterling fut exécuté le 3 mai 1596 à Sélestat dans le Bas-Rhin pour faits de sorcellerie.

Jean Stein subit le même sort le 1er août 1624.

Mais peu d’informations sur leur identité et leur procès.

Par contre pour d’autres, nous trouvons des renseignements permettant de reconstituer leur histoire.     

C’est le cas notamment pour Nicolas Desquinemare[1].

Fils de Antoine Desquinemare, avocat à Rouen, et de Marie Aublé[2], Nicolas était le cinquième enfant d’une fratrie qui en comptait sept.

Le couple avait eu sept enfants, mais seulement trois avaient atteint l’âge adulte.

Nicolas avait vu le jour le 12 mars 1666 à Rouen, paroisse de Saint-Vincent. Ses parrain et marraine furent :

  • ·         Maistre Guillaume Aublé, prêtre et curé de Boissay, non loin de Rouen.
  • ·         Catherine Febvrier.

 

Guillaume Aublé encouragea-t-il son filleul à entrer dans les ordres ?

Peut-être, car Nicolas Desquinemare devint prieur-curé dans la paroisse de Bullay-en-Bray, non loin de Neufchâtel.

Dans cette commune, depuis le début des années 1720 se passaient des faits bien étranges. Surnaturels. Diaboliques !

Les faits étaient tels que le prieur-curé  s’en inquiéta, s’en épouvanta, au plus haut point.

Il se disait que depuis neuf mois, plus de deux cents enfants et plus de soixante adultes y étaient décédés de différentes maladies. Mais le plus étrange, certains enfants au moment de leur mort blasphémaient et se contorsionnaient d’une étrange manière.

 

N’était-ce pas la marque du malin ?

 

Cinquante personnes se disaient ensorcelées dont Marie Terrier, épouse de René Serée et Anne Françoise Le Febvre, célibataire, toutes deux de la paroisse de Saint-Eloy de Bully.

 

Nicolas Desquinemare mena des exorcismes.

Puis, Anne-Françoise Le Fèbvre fut menée à l’abbaye de Saint-Evroult qui possédait une fontaine pouvant guérir de tout maléfice. Malgré les nombreux bains dans cette fontaine miraculeuse, la jeune femme ne fut nullement délivrée.

Par contre, par sa voix, se manifesta Béelzébut, accusant formellement Laurent Gandouet, laboureur, d’être le faiseur d’envoûtements. Ce que le pauvre accusé nia fortement.

 

Tout ce boucan se solda par l’arrestation de l’abbé Desquinemare par ordre du Roi et son incarcération au couvent de Bourg-Achard.

Etait-ce parce qu’il ne pouvait pas tenir ses paroissiens ?

Anne-Françoise Le Fèbvre, Marie Terrier et trois autres femmes furent conduites à la prison de Rouen.

 

Laurent Gandouet affirmait que ces femmes simulaient. L’abbé Desquinemare maintenait qu’elles avaient toutes des marques de possession, comme l’attestaient les descriptions notées dans son manuel.

 

Et quels étaient ces signes probants ?

Dans son mémoire, l’abbé Desquinemare les énumérait comme suit :

  • ·         Les possédées parlaient et comprenaient les  langues étrangères (latin – espagnol....)
  • ·         Elles mangeaient et manipulaient le feu sans se brûler.
  • ·         Elles mangeaient également des pierres, du verre, des araignées...
  • ·         Elles déplaçaient des charges que quatre hommes réunis avaient peine à bouger.
  • ·         Elles poussaient des cris continuels, imitant le loup, le chien, le bœuf...
  • ·         Elles se contorsionnaient avec une agilité incroyable.
  • ·         Elles pouvaient se jeter d’une hauteur de plusieurs mètres se relevant sans aucune blessure.

 

Mais le Parlement de Rouen conclut que « ces possédées » étaient des « affabulatrices en proie à des troubles digestifs ».

Il est certain que si ces femmes avalaient tout et n’importe quoi, leur estomac devait leur créer bien des malaises..... d’où les contorsions et les cris !!

 

Quant à l’abbé Desquinemare, il resta un temps détenu au prieuré de Bourg-Achard puis fut envoyé à Valognes dans la Manche où il décéda en 1738. Il était âgé de soixante-douze ans.

 

---------

Le prieuré Saint-Lô et Saint-Eustache, ancien prieuré de chanoines réguliers, situé à Bourg-Achard,  possédait au XIIe siècle plusieurs patronages ainsi que le prieuré Notre-Dame-du-Bosc, dans la forêt du Neubourg.

En 1770, il fut question de supprimer le prieuré. Il fut finalement, réuni au séminaire de Saint-Vivien de Rouen, en 1766.

 



[1] Ecrit inspiré du livre de Yves Lecouturier « sorciers, sorcières et possédés en Normandie ».

[2] Mariage du couple,  le 2 décembre 1656 à Rouen – paroisse Saint-Vincent.

mercredi 23 octobre 2024

Une seule lettre diffère... Le larbin a-t-il fait un larcin ?

 


 

Un larbin.

Ce nom masculin est apparu vers 1827. Son origine, bien qu’obscure, pourrait être rapprochée de l’argot habin désignant un chien (1460), dérivé du verbe happer : attraper par la gueule.

Peut-être aussi, d’un rapprochement avec le terme hubineux nommant ces gueux se disant faire un pèlerinage à Saint-Hubert et prétendant avoir été mordus par des bêtes enragées.

 

·         Hubert = hubin = chien.

·         Lubin = domestique.

 

 

Mais tout cela n’est qu’hypothèses.

 

Saint-Hubert, patron des chasseurs, mais aussi, celui des forestiers et de façon générale, de tous les métiers qui touchent à l'environnement. Par extension, il est aussi devenu le protecteur des chiens et des chevaux.

 

 

Un larbin :

·         Domestique – 1829

·         Homme servile - 1872

 

Autre mot de la même famille – populaires puis familiers : un larbinage (20e siècle) –un larbinisme (1962).

 

 

Un larcin ?

Nom masculin orthographié :

·         Larrecin (1130).

·         Larcin (1246).

 

Ce mot est issu de latocinium : vol à main armée – brigandage.

Nous trouvons, ayant la même origine : le larron.

 

Un larcin est donc un vol minime, par rapport à la valeur de l’objet dérobé.

La locution : « en larcin », soit en cachette, furtivement, montre que le voleur ne prémédite pas son geste. L’occasion faisant le larron.

 

Au sens figuré, le larcin prend une valeur quelque peu sentimentale. En 1566, il y avait des « larcins d’amour », faveur obtenue auprès d’une femme.

Si la faveur est « obtenue », il y a consentement, donc point de larcin !

 

Le larbin a-t-il commis un larcin ?

Voilà toute l’énigme. Quel objet fut dérobé ? Est-ce bien le larbin le coupable ?

À vous de prendre la plume pour résoudre cette énigme.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert

 

mercredi 16 octobre 2024

Une seule lettre diffère... Un lucane sur la lucarne ?

 

Un lucane est une sorte de scarabée.

Son nom est issu du latin lucanus.

Lorsque j’étais enfant, cet insecte de l’espèce des coléoptères dont la taille peut atteindre jusqu’à huit centimètres, appelé communément cerf-volant, m’effrayait avec ses grosses pinces. Néanmoins, il est inoffensif, car il se nourrit exclusivement de bois mort. Très utile, ce lucane, il nettoie les forêts.


 

Une lucarne.

Un mot apparu vers 1261 sous l’orthographe lucanne. Vers 1335, on l’écrivait luquarne.

Ce mot est issu du francique lukinna : ouverture dans le toit d’une maison.



 

La lucarne est donc une petite fenêtre sur un toit ou encore un trou dans un mur, ouverture restreinte toutefois.

 

Depuis 1965 environ, dans le domaine du football, la lucarne désigne chacun des angles supérieurs formés par les poteaux des buts.



 

Un lucarneau ou un lucarnon (1902) est une petite lucarne.

Celui-ci doit être vraiment très minuscule et ne laisser passer que peu de lumière.

 

Pour cette petite histoire autour d’un mot,

Je me suis aidée du

                   « Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert