Chapitre 3
Ce fut une explosion infernale, puis le trou noir, le néant.
Quand Joseph Marius reprit peu à peu conscience, sa première sensation
fut celle de la soif. Les lèvres sèches, la gorges serrée, un goût de terre et
de sang dans la bouche.
Puis ce fut les odeurs. Celle de l’éther d’abord arriva jusqu’à ses narines, forte et entêtante
mêlée de celles d’excréments, de sueur et celle, également, bien particulière
et malheureusement trop souvent perçue de chairs en putréfaction.
Où se trouvait-il ? Dans un lit assurément. Dans le lit d’une
salle d’hôpital, en raison de toutes les odeurs écœurantes qu’il venait
d’identifier.
Mais pourquoi était-il dans le noir ?
Etait-ce la nuit ?
En même temps que la perception de son corps et de son environnement,
lui revenait la mémoire.
Ce fut, à ce moment, qu’une forte angoisse l’étreignit. Ses
compagnons ! Combien avait échappé à la mort ?
Autour de lui ce n’étaient que gémissements, cris de douleurs, bruits
de chariots et d’ustensiles et de paroles réconfortantes murmurées.
Après avoir analysé tous les mouvements autour de lui, Joseph Marius
commença à prendre conscience de son propre corps, essayant de bouger chaque
membre l’un après l’autre, lentement avec précaution.
Avec satisfaction, il s’aperçut que ses mains et ses bras répondaient
aux commandements de sa volonté.
Il contrôla ensuite les réflexes de ses orteils. Ceux du pied gauche
répondirent sans problème, par contre ceux du pied droit, malgré des efforts
soutenus, semblaient paralysés.
Meurtri de partout, chaque geste de cet examen lui occasionna des
douleurs plus ou moins vives dans tout le corps.
« Normal, pensa-t-il, la secousse a été rude. Mais je suis
vivant ! Vivant oui, mais dans quel état ? »
Cette dernière pensée le saisit d’effroi et défilèrent en sa mémoire
les visages affreusement mutilés de certains soldats.
Non, ce n’était pas la nuit. Son visage était entouré de bandages.
Cette pensée lui arracha un hurlement qu’il ne put refréner
.
Aussitôt, des pas précipités se rapprochèrent de sa couche et il
perçut une caresse rassurante sur une de ses mains.
« Vous êtes réveillé ? J’en suis heureuse. Vous avez été
blessé, mais nous allons prendre soin de vous maintenant. Je préviens le
docteur, il va venir tout à l’heure pour vous ausculter. »
La voix claire et douce rassura le blessé. Il essaya de parler, mais
aucun son ne sortit de sa gorge.
« Je vais vous donner un peu d’eau, reprit la voix. »
Un bruit de liquide que l’on transverse, une main qui lui souleva
légèrement la tête, le contact d’un verre sur ses lèvres, un peu d’eau dans sa
bouche qu’il ne put avaler que difficilement et cette douleur qui lui vrilla le
cerveau avant de se localiser au niveau du nez et des yeux.
Gueule cassée ! Gueule cassée !......
Ces deux mots se mirent à résonner en lui comme une litanie morbide et
obsédante et avec cette pensée, la
perspective d’une vie future anéantie.
Il s’imagina un trou béant à la place du nez et des yeux, ce qui
expliquait les pansements et le noir complet dans lequel il était plongé.
Son épouse, Marie-Louise, accepterait-elle de poursuivre sa vie avec
lui, le voyant défiguré.
Et son petit Raymond François hurlerait-il de terreur en le
voyant ?
Gueule cassée ? Mieux aurait valu qu’il meurt dans sa tranchée.
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