mercredi 1 mai 2019

HISTOIRE VRAIE - AU DEBUT DES ANNEES 1900


 ŒIL POUR ŒIL


Chapitre 3




Ce fut une explosion infernale, puis le trou noir, le néant.

Quand Joseph Marius reprit peu à peu conscience, sa première sensation fut celle de la soif. Les lèvres sèches, la gorges serrée, un goût de terre et de sang dans la bouche.
Puis ce fut les odeurs. Celle de l’éther d’abord  arriva jusqu’à ses narines, forte et entêtante mêlée de celles d’excréments, de sueur et celle, également, bien particulière et malheureusement trop souvent perçue de chairs en putréfaction.
Où se trouvait-il ? Dans un lit assurément. Dans le lit d’une salle d’hôpital, en raison de toutes les odeurs écœurantes qu’il venait d’identifier.
Mais pourquoi était-il dans le noir ?
Etait-ce la nuit ?

En même temps que la perception de son corps et de son environnement, lui revenait la mémoire.
Ce fut, à ce moment, qu’une forte angoisse l’étreignit. Ses compagnons ! Combien avait échappé à la mort ?
Autour de lui ce n’étaient que gémissements, cris de douleurs, bruits de chariots et d’ustensiles et de paroles réconfortantes murmurées.
Après avoir analysé tous les mouvements autour de lui, Joseph Marius commença à prendre conscience de son propre corps, essayant de bouger chaque membre l’un après l’autre, lentement avec précaution.
Avec satisfaction, il s’aperçut que ses mains et ses bras répondaient aux commandements de sa volonté.
Il contrôla ensuite les réflexes de ses orteils. Ceux du pied gauche répondirent sans problème, par contre ceux du pied droit, malgré des efforts soutenus, semblaient paralysés.
Meurtri de partout, chaque geste de cet examen lui occasionna des douleurs plus ou moins vives dans tout le corps.
« Normal, pensa-t-il, la secousse a été rude. Mais je suis vivant ! Vivant oui, mais dans quel état ? »
Cette dernière pensée le saisit d’effroi et défilèrent en sa mémoire les visages affreusement mutilés de certains soldats.

Non, ce n’était pas la nuit. Son visage était entouré de bandages.
Cette pensée lui arracha un hurlement qu’il ne put refréner

.
Aussitôt, des pas précipités se rapprochèrent de sa couche et il perçut une caresse rassurante sur une de ses mains.
« Vous êtes réveillé ? J’en suis heureuse. Vous avez été blessé, mais nous allons prendre soin de vous maintenant. Je préviens le docteur, il va venir tout à l’heure pour vous ausculter. »
La voix claire et douce rassura le blessé. Il essaya de parler, mais aucun son ne sortit de sa gorge.
« Je vais vous donner un peu d’eau, reprit la voix. »
Un bruit de liquide que l’on transverse, une main qui lui souleva légèrement la tête, le contact d’un verre sur ses lèvres, un peu d’eau dans sa bouche qu’il ne put avaler que difficilement et cette douleur qui lui vrilla le cerveau avant de se localiser au niveau du nez et des yeux.

Gueule cassée ! Gueule cassée !......
Ces deux mots se mirent à résonner en lui comme une litanie morbide et obsédante  et avec cette pensée, la perspective d’une vie future anéantie.
Il s’imagina un trou béant à la place du nez et des yeux, ce qui expliquait les pansements et le noir complet dans lequel il était plongé.

Son épouse, Marie-Louise, accepterait-elle de poursuivre sa vie avec lui, le voyant défiguré.
Et son petit Raymond François hurlerait-il de terreur en le voyant ?

Gueule cassée ? Mieux aurait valu qu’il meurt dans sa tranchée.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre commentaire. Il sera lu avec attention.