Œil pour œil !
Ou
Là où intervint ENCORE un tire-bouchon
Chapitre 6 – le procès
Ce fut un homme brisé qui se présenta devant ses juges, en ce 7
décembre 1927.
Un homme qui regrettait son
geste désespéré, irraisonné, fait dans un moment de panique, presque de survie.
Dans la salle d’audience, régnait un silence pesant. Tous les regards se posaient sur cet homme
anéanti, aux épaules basses, au visage émincé qu’un bandeau noir barrait,
cachant son œil gauche.
Près de lui, devant le box des accusés, maître César Campinchi, son défenseur, le rassurait. Maître Campinchi était assisté
de maître Robert Loewel.
« On va se défendre lui avait-il dit la veille ! »
Se défendre ! Se défendre de quoi ? Du mauvais sort ?
De la misère ? De la vie qui n’épargnait personne ?
Et puis, défendable, l’était-il vraiment ?
Et par-dessus tout cela, il allait lui falloir raconter sa vie, tous
les épisodes de sa vie, sa guerre, ses blessures, sa vie conjugale avec tous ses
déboires….. Il allait lui falloir se mettre à nu, attirer la pitié pour obtenir
la peine la plus faible possible.
A bien réfléchir, quel que soit le verdict du jugement, il aurait
toujours la vision horrible de son acte qui reviendrait hanter ses rêves, mêlée
à celles des tranchées dans lesquelles grand nombre de ses camarades ont agonisé.
La pire des peines.
Le Tribunal de la Seine était présidé par Monsieur le juge
d’instruction Doreau.
L’accusé, Joseph Marius Chevalier-Joly, comparaissait pour avoir donné
la mort à son épouse, le 30 avril 1927. Meurtre qu’il reconnaissait et pour
lequel il plaidait « coupable ».
A la barre défilèrent exclusivement des témoins à décharge.
Il était considéré Joseph Marius Chevalier-Joly.
Un brave homme, mal marié à une femme qui lui en avait fait voir des
« vertes et des pas mûres » comme le précisa une brave femme.
Un employé modèle qui ne rechignait pas à la tâche. Méticuleux, ne
laissant rien passer dans les comptes, comme le certifia son employeur.
Oui, tous le disaient haut et fort, même les connaissances et amis de
la défunte, il avait été plus que patient devant le caractère insupportable de
son épouse, devant ses nombreuses infidélités, devant ses reproches
incessants…..
Le jeune Raymond François, âgé de quinze ans, fut entendu. Bien
évidemment, son témoignage n’était pas recevable en qualité de fils de
l’accusé, mais pouvait apporter une vision claire de la vie au foyer.
« Ma mère commençait
toujours. Ce n’était que reproches, puis des cris. Papa restait calme et
faisait tout pour l’apaiser. Quand maman avait ses crises, qui étaient fréquentes,
la vie était difficile. »
Joseph Marius Chevalier-Joly répondit aux questions du juge.
Décrivant son long calvaire, sa vie
impossible.
Le juge demanda alors :
« Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé le 30 avril
1927 ? »
L’accusé se leva, prit une grande inspiration et entama son récit au commencement duquel les
mots semblaient avoir du mal à sortir. Mais, peu à peu, le flux des paroles
s’accéléra, se déversant comme l’eau d’un barrage venant de céder.
« Ce jour-là, tout a commencé comme d’habitude, pour un rien, une
broutille. Elle se plaignait, encore et toujours, disant qu’elle allait mal. Je
lui ai dit qu’il fallait qu’elle se fasse soigner. Ce fut une erreur, car cette
observation la mit hors d’elle. Elle hurlait que les médecins étaient des
incapables, d’ailleurs, la dernière fois, la piqûre qu’on lui avait faite
n’était pas un remède, mais du poison. Elle le savait, en était persuadée comme
à chaque fois. N’avait-elle pas toujours raison ? Je réussis à la calmer,
mais elle revint à la charge et cette fois-ci, c’était à cause d’une lettre
qu’elle avait reçue de sa mère et qu’elle avait mise dans son sac. Elle ne la
trouvait plus. Elle m’accusa de lui avoir volé.
Une furie, Monsieur le Juge, une furie. Elle hurlait. Elle se
démenait. Elle m’injuriait. Elle a saisi une bouteille qui était sur la table
et voulut m’assommer avec. C’est alors qu’elle s’arrêta net, me regarda d’un
air féroce. C’est alors, qu’elle me
lança :
« J’ va
te l’crever ton œil, va. J’ va te l’crever ! »
Puis elle
attrapa le tire-bouchon qui se trouvait sur la table et me menaçant avec, elle
me poursuivit dans l’appartement.
Je fus pris de panique. En une fraction de seconde, je me suis revu
dans les tranchées, dans le noir….. Ça cognait dans ma tête. Le noir !!
Non, perdre mon second œil, ce n’était point possible ! Aveugle,
moi ! Une peur panique, oui. Une envie de fuir ce danger, de fuir cette
femme menaçante.
Alors, je me suis précipité dans la chambre et j'ai pris le pistolet
qui se trouvait en haut de l’armoire. Quand je me suis retourné, elle était
face à moi, la bouche déformée par la haine, la main munie du tire-bouchon à
quelques centimètres de mon œil droit…….
J’ai tiré….. Pourquoi ai-je
acheté ce foutu pistolet ? Pour me donner la mort, mais pas pour tuer mon
épouse ! Si j’avais su….. Oh ! Je le regrette, ça oui !! Malgré
tout, je l’aimais…. »
Comme épuisé d’avoir tant parlé, il s’arrêta, tête baissée, perdu dans
ses pensées, sans doute revoyait-il le jour de son mariage et les bons moments,
trop rares malheureusement, de tendresse partagée.
Puis, il ajouta dans un souffle :
« Que vouliez-vous que je
fasse avec cette femme ? Elle était terrible ! »
Quels plaidoyers !! Maitres César Campinchi et Robert Loewel
redoublèrent d’éloquence.
Bien sûr, l’accusé était coupable.
Mais n’avait-il pas donné la
mort en « légitime défense », poussé à bout par quinze années d’une
vie insupportable.
Un héros de la guerre, cité à de multiples reprises pour son courage
face à l’ennemi.
Un homme qui avait surmonté le handicap de ses nombreuses blessures.
Un bon père, un mari
patient……….
Les jurés se retirèrent, mais ne mirent pas longtemps à délibérer.
Lorsque le juge prononça le verdict d’acquittement, tous dans la salle
d’audience se levèrent et applaudirent et poussant des cris de joie.
Joseph Marius sortit libre du tribunal[1].
-=-=-=-=-=-=-
Le 5 juin 1928, Joseph Marius Chevalier-Joly refit sa vie avec Marie
Françoise Marcelle Gonguet. Leur mariage fut célébré à Paris dans le
dix-huitième arrondissement.
Joseph Marius décéda le 15 avril 1946 dans le douzième arrondissement
de Paris.
Marie Françoise Marcelle Gonguet qui avait vu le jour le 20 mars 1896
à Lyon, quitta ce monde le 9 janvier 1981. Son décès fut enregistré à l’état
civil de Bry-sur-Marne.
[1]
Sources : les journaux : « Comedia » du 8 décembre 1927 –
« La presse » du 8 décembre 1927 -
« le grand écho du nord de la France » du 9 décembre 1927 –
« le petit parisien » du 8
décembre 1927 – « Journal des débats politiques et littéraires » du
98 décembre.
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