jeudi 9 mai 2019

HISTOIRE VRAIE - DEBUT DU XXème SIECLE



ŒIL POUR ŒIL


Chapitre 4

Dans l’attente de la venue du médecin, dans le noir du bandage lui couvrant les yeux, Joseph Marius se palpait, à de nombreuses reprises, le visage. Le crâne, les oreilles, le nez, les joues, le menton, la bouche.
Tout lui semblait en ordre. Aucune marque de « Gueule Cassée ».
Son interrogation, sa frayeur à présent, ses yeux qui lui occasionnaient d’horribles céphalées.
Etait-il aveugle ?
Lui venait alors, la vision intérieure d’un avenir d’assisté à la canne blanche, éternellement dans la nuit profonde d’un monde de lumière.
A la charge de son épouse. Un lourd fardeau.
Il ne verrait plus non plus les visages aimés. Il ne pourrait plus prendre soin de son fils.
Cette dernière pensée lui étreignait le cœur.

A l’approche du médecin, ce matin-là, il se sentit défaillir.
Lui, qui voulait savoir en quoi son avenir serait fait, n’avait plus le courage d’affronter la vérité.
Sa bouche devenait sèche. Il avait du mal à déglutir.

« Bonjour soldat ! lança le médecin-chef. Je peux vous dire que vous vous en tirez fort bien. »

Quelle prise de contact ! Quelle optimiste !

« Avec un peu de rééducation et de la volonté, vous remarcherez. Avec une claudication, mais vous pourrez vous déplacer. Nous avons dû à votre jambe droite opérer à l’ablation du péroné. De ce fait votre jambe droite restera plus faible. »

L’infirmière avait prévenu le blessé que le médecin-chef était un homme au franc parlé, un peu brusque dans sa façon d’annoncer les diagnostiques qu’il avait fort justes. Il en avait tant vu des blessures atroces pour lesquelles son savoir et son expérience n’avaient rien pu faire. Combien de fois, il avait recouvert d’un drap maculé de sang de jeunes hommes foudroyés par la mort  depuis le début de cette satanée guerre. Alors, pour avancer, pour que les autres avancent avec lui, il ne s’attendrissait pas et ne faisait ressortir dans son jugement uniquement que le bon côté des choses.
Et pour Chevalier-Joly l’important pour ce médecin était qu’il fût vivant. Rafistolé, mais vivant. Il en avait sauvé un et c’était une victoire.

Le blessé entendait la voix de cet homme de science comme dans un léger brouillard. Les mots résonnaient sans réelle consistance.
Pendant ce temps, l’infirmière ôtait avec précaution le bandage recouvrant ses yeux.
Joseph Marius sentit alors la fraîcheur de la pièce sur son visage. La lumière du jour lui fit mal et il mit un certain temps à lever les paupières. Mais sa vision restait floue avec une grande gêne, surtout du côté gauche.
Son premier réflexe fut de porter la main à ses yeux. L’infirmière arrêta son bras avant qu’il n’atteignît son but et garda sa main dans la sienne, geste réconfortant en ce moment critique.
Qu’allait-on lui annoncer ?
Il sentait le regard du docteur posé sur son visage et le silence présent à ce moment ne le rassura pas.

« Bon ! lança enfin le médecin-chef en connaisseur, belle cicatrisation.
-          Je vois très mal, docteur. Est-ce que j’aurais perdu en partie la vue ? s’inquiéta le blessé d’une voix blanche.
-          En partie, oui, répliqua le médecin. Un éclat d’obus a endommagé votre œil gauche et nous avons été obligés d’en faire l’ablation. Votre œil droit, par contre n’a rien. Il faudra vous habituer, peu à peu, à ne vous servir que de l’œil droit. Vous avez aussi quelques petites cicatrices sur le visage, mais avec le temps elles s’atténueront.
-          Puis-je voir mon visage dans un miroir ?
-          Dans quelques jours seulement. Il faut d’abord que vous acceptiez l’idée de ce qu’est à présent votre visage sans votre œil avant de le voir réellement. Pour cacher votre orbite gauche, nous vous mettrons un bandeau.


Les minutes qui suivirent cette annonce furent tumultueuses dans la tête du pauvre soldat.
Il avait perdu un œil. Comment ferait-il ? Bien sûr, comme aurait pu dire le médecin, il en avait gardé un, ce qui était une chance !! Une chance .......  Quelle chance !.....
Une jambe et un œil, c’était cher payé pour un acte de bravoure.
Il pensa alors à ses hommes qui, là-bas dans la tranchée, y avaient laissé leur vie.
« Oui, j’ai eu plus de chance qu’eux », murmura-t-il
Mais malgré tout, il n’en était pas tout à fait convaincu.


................A SUIVRE ..................




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