mercredi 3 juillet 2019

HISTOIRE VRAIE – DANS LE PARIS DE 1901




Une curieuse destinée

Paris - Mai 1898
Là où  la presse mentionna pour la première fois le nom d’Amélie Elie


La rue !
En cette fin de XIXème siècle, elle était grouillante de camelots, de charrettes de marchandes de quatre-saisons ou de poissons, de crieurs de journaux, de porteurs d’eau..... Tous lançaient leur cri chanté sur deux ou trois notes et quelques mots les identifiant, reconnaissable aux oreilles expertes.

La rue !
Vaste endroit de rassemblement où devant les fontaines ou bornes à eau, sous fond sonore des récipients se remplissant, les nouvelles circulaient à grande vitesse, faits divers et réels, mais qui, le soir venu, n’avaient plus qu’un lointain rapport avec le fait d’origine. Il était vrai qu’ainsi modifiés au fil des échanges verbaux, ils revêtaient plus de consistance. Presque plus crédibles !

La rue !
Immense oreille qui entendait tout, immense œil qui voyait tout, que ce soit dans ses venelles, passages, ruelles, rues, avenues, et boulevards et même jusque dans les logements vétustes ou  confortables, afin de déposer sur la place publique tout ce qui aurait, surtout, mérité de rester secret.

La rue !
Grand théâtre retentissant de chants, de rires, de cris, de hurlements, de querelles, de bagarres, de rixes et d’échanges de coups de feu.......

La rue !
Odeurs mêlées, entremêlées, différentes selon les saisons, selon les quartiers. Effluves pas toujours agréables, loin s’en faut.

La rue !
Lieu de vie plus vaste que les maisons et appartements trop exigus pour fuir la promiscuité familiale, se sentir libre.

La rue !
Face au réalisme des scènes crues s’y déroulant quotidiennement, dévoilant l’aspect sombre de l’humanité, on y perdait vite son innocence.
Il suffisait d’observer les femmes vendant leurs charmes, aguichantes et offertes, abordant les hommes, les ivrognes sortant des débits de boissons titubant sur la voie publique et y répandant le trop-plein d’alcool dans l’encoignure des portes cochères......
Mais qui cela gênait ?

La rue !
Dangereuse à la nuit tombée, car dans chaque recoin, à l’affût, guettaient les « mauvais garçons », ceux qui détroussaient les passants attardés, n’hésitant pas à jouer du surin.
Malheur à ceux qui se trouvaient sur leurs chemins ou pris dans l’une de leurs rixes, les risques étaient grands de recevoir une balle perdue.

La rue !
Pour y vivre, il fallait être fort.

Pourtant, cette rue, Amélie Elie la connaissait bien, s’y sentait bien. Elle avait été son terrain de jeu et de découverte depuis son enfance. A présent, elle y travaillait comme ouvrière-fleuriste, composant des bouquets, servant les clients, livrant les compositions florales.
Sa silhouette fine et souple, sa chevelure blond-roux, son minois agréable attiraient le regard des hommes qui se retournaient sur son passage, lui valaient quelques compliments galants et propositions osées, auxquels elle répondait par un sourire angélique et un rire cristallin.


Ce fut dans la rue qu’Amélie Elie croisa un camelot.
Elle avait tout juste dix-sept ans, lui vingt-deux. Ils se plurent et se mirent aussitôt en ménage dans un petit meublé au 15, passage de Bouchardy.
Le jeune homme, Emile Rolland, amoureux fou de sa jeune compagne possédait un caractère excessivement jaloux, d’autant plus qu’Amélie, aimant plaire, s’autorisait quelques petits écarts amoureux.

Des tromperies ?
Pour la jeune femme qui n’y voyait pas malice, ce n’était que plaisirs sans grande importance. Des rencontres, elle n’en faisait pas seulement dans la rue, mais aussi le dimanche, jour de repos où on « s’encanaillait » dans les guinguettes.
Dans ces lieux, l’alcool coulait à flots, la musique incitait à la danse, la danse provoquait le rapprochement des corps. Alors, pas besoins de préciser les effets qui en découlaient.

Emile Rolland devint de plus en plus suspicieux, de plus en plus jaloux, de plus en plus violent. Les coups tombaient régulièrement sur Amélie. Un homme qui battait sa femme, rien de bien extraordinaire. C’était malheureusement le lot de bien des femmes.
Alors, qui s’en souciait ?
Pas les hommes, en tout cas.
Pas toujours les femmes non plus qui avaient vu leurs mères et grands-mères subir le même sort en soupirant, sans oser protester de peur de voir leur peine doubler.
Pour que la société s’émeuve, il fallait qu’il y ait du sang !....

Amélie, elle, supporta un temps les mauvais traitements, mais elle n’était pas d’un tempérament à se soumettre.
Aussi, quitta-t-elle Emile Rolland, amoureux trop violent bien que repentant et suppliant, le mardi 17 mai 1898, avec la ferme et définitive intention de ne plus jamais revenir sur sa décision.
Emile, n’avait-il pas déjà promis à plusieurs reprises de ne plus la frapper ?
Emile, n’avait-il pas déjà à plusieurs reprises demandé son pardon ?
A plusieurs reprises, Amélie avait accepté de rester, mais cette fois-ci, c’en était trop !


Le lendemain, 18 mai 1898, aux alentours de midi, sur le boulevard Richard Lenoir, Amélie Elie rencontra Emile Rolland. Pas un réel hasard. Celui-ci semblait l’attendre.
En l’apercevant, son cœur s’emballa. Pas d’amour, non. Les agissements de son ancien amant avaient rompu définitivement les liens les unissant. Son cœur s’emballa, étreint par la peur. Elle s’efforça de ne rien laisser paraître. Elle prit, en le voyant s’approcher d’elle, un air bravache.
Le jeune homme s’approcha tout sourire, tout charmeur, tout repenti.
« Reviens ! supplia-t-il. Tu sais que j’ t’aime. Je t’ battrai plus, promis. Cette fois, c’est vrai. Et puis, tu feras ce que tu voudras. »
Il insistait, insistait.... Amélie restait que ses positions. Campée sur ses jambes un tantinet chancelantes, elle montrait un aplomb inflexible.
« Non, j’reviendrai pas ! J’y crois plus à tes promesses ! »

Le calme d’Emile s’amenuisait. Le ton monta progressivement. Les cris firent place aux hurlements de colère, jusqu’au moment où, sortant un poignard de sa poche, Emile Rolland en assena un coup violent à Amélie qui fut atteinte au-dessus du sein droit. Surprise par l’effroyable douleur, Amélie, le souffle coupé, ne pensa qu’à prendre la fuite, mais au moment où elle se retournait, un nouveau coup l’atteignit à l’épaule gauche. Paralysée par la douleur, la jeune femme s’affaissa sur le trottoir.

Emile Rolland ne lui vint aucunement en aide. Dans une semi-inconscience, ne réalisant pas les gestes meurtriers qu’il venait d’avoir sur celle qu’il disait aimer, il s’enfuit alors que des badauds se regroupaient autour du corps ensanglanté de la victime.

Amélie fut secourue par quelques passants. Relevée avec précautions, elle fut conduite dans l’officine la  plus proche. Le pharmacien prévint un médecin qui dispensa les premiers soins, avant de faire transporter la pauvre blessée à l’hôpital Saint-Louis.

Le 19 mai 1898, dans la matinée, des inspecteurs de la Sûreté vinrent arrêter l’agresseur, à son domicile, afin de le mettre à la disposition du commissaire de police Leygonie.

Ce fut ainsi qu’apparut pour la première fois le nom d’Amélie Elie dans la presse[1]. Ce ne fut que la première d’une longue saga.
Aucune suite à cette tentative de meurtre, du moins dans la presse.
Amélie Elie, porta-t-elle plainte ?
D’ailleurs, l’accusé Rolland, aurait assurément obtenu, pour cette tentatrice de meurtre, les circonstances atténuantes, pour « crime passionnel » et « sans préméditation ».
N’avait-il pas essayé de reconquérir sa maîtresse ?
Ne lui avait-il pas demandé son pardon ?
Ne lui avait-il pas promis de ne plus jamais lever la main sur elle ?
Des arguments en faveur de l’amoureux éconduit.
Seule la colère du désespoir l’avait poussé à ce geste.

Un habile et talentueux avocat aurait affirmé qu’il regrettait amèrement, même si certains prétendaient avoir entendu, cette phrase menaçante qu’il avait proférée par le meurtrier avant de frapper sa victime :
« Si tu ne restes pas avec moi, tu seras à personne d’autre ! »

Mais un habile et talentueux avocat, disais-je, aurait plaidé :
« Messieurs les Jurés, mon client,  l’accusé ici devant vous, si il a réellement prononcé cette phrase, ne pensait pas ce qu’il disait. Seul son désespoir en était la cause. »



[1] Sources : le « Petit journal » 20 mai 1898. Article sous le titre « Un meurtre boulevard Richard Lenoir ».

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